Dernier article consacré à Venise.
Venise est construite sur une centaine d’îlots marécageux. Il a fallu beaucoup d’ingéniosité à ses habitants pour réussir à construire une véritable ville sur l’eau. Le défi était énorme : comment bâtir sur des pieux sans que la cité finisse tôt ou tard par s’enfoncer. Le travail réalisé est titanesque.
Tous les pieux installés avant le 20ème siècle ont été posés à la main selon une technique qui a peu varié au cours des siècles. On entourait d’abord la zone à construire de gros caissons afin d’assécher la zone et l’on enfonçait ensuite des pieux de chêne, de chêne rouvre ou de mélèze dans le sol. Le travail était fait entièrement à la main, il fallait de nombreux hommes pour enfoncer chaque pieu et ce travail se faisait au rythme d’un chant monotone. Quand les pieux ne pouvaient être enfoncés plus profondément, on les mettait à niveau, on les reliait par d’énormes madriers transversaux. On recouvrait ensuite ces madriers de planches qui étaient agglomérées entre elles par un mortier fait de chutes de pierres, de marbre et de brique. Il a ainsi fallu un million de pieux pour supporter la basilique Saint-Marc.
La solidité des pieux est éprouvée par le temps et, mis à part la chute du campanile de Saint-Marc en 1902 (le plus haut campanile de Venise), il n’y a pas eu beaucoup d’effondrements.
Mais la question de la survie de Venise demeure. Même si les pieux s’avèrent intacts pour la plupart, protégés par une gangue de boue, jusqu’à quand tiendront-ils ?
La montée des eaux met en danger cet équilibre fragile. Le phénomène d’acqua alta est de plus en plus fréquent, la plupart des rez-de-chaussées de maisons ne sont plus habités.
L’idée de mort est déjà fortement ancrée dans la ville de Venise elle-même car la ville vit de la splendeur de son histoire. Venise est presque entièrement tournée vers son glorieux passé. A cette idée de mort vient s’ajouter l’idée d’une mort programmée : Comment faire face à l’usure inévitable des pieux qui supportent la ville ? Comment faire face à la montée inéluctable des eaux ? Comment éviter le tourisme envahissant .) Il est évident que le tourisme de masse tue Venise. Mais sans tourisme à Venise, que serait aujourd’hui cette cité ?
Tout voyage à Venise est forcément empreint de nostalgie, nostalgie d’un certain âge d’or, nostalgie d’un idéal artistique, nostalgie d’un monde qui n’est plus. Mais ainsi en est-il de toutes choses : naissance, vie et mort. Venise n’échappe pas à la règle.
Venise la mort, Venise la nuit, le jardin de Venise, Venise couleur, Venise l’eau, Venise la pierre … et pour finir de nouveau Venise la mort. Ainsi la boucle est bouclée. Ainsi s’achève ce petit voyage.