LE COIN DU JARDINIER (9)
La tomate me passionne et il se peut que d’autres articles lui soient consacrés dans les prochaines semaines.
Les légumes que nous consommons sont tous issus d’espèces botaniques sauvages que l’Homme a su, au fil des millénaires, « domestiquer », améliorer et diversifier. Témoins de cette diversification due à l’Homme : des milliers de variétés de tomates qui existent aujourd’hui et qui sont toutes issues de la même espèce sauvage de départ.
Le 19ème sièce a été l’âge d’or de la sélection des variétés de légumes, grâce à des jardiniers passionnés qui ont su mettre tout leur talent, leur savoir et leur capacité d’observation au service de l’amélioration des variétés cultivées (exemple du jardinier Vilmorin). Il existe quelques domaines où le 20ème siècle a, lui aussi, apporté sa contribution à l’amélioration des variétés de légumes (exemples des salades, des haricots, potirons…).
Mais s’il est un domaine où les sélectionneurs de variétés ont régressé, c’est bien celui des tomates. En effet, la tomate d’aujourd’hui est insipide et sans attrait.
Comment a-t-on pu en arriver là ?
Jusqu’au début du 20ème siècles, les tomates avaient un type de croissance normal, elles étaient dites « à croissance indéterminée », c’est à dire qu’elles grandissaient tant que les conditions météo étaient bonnes et que le mildiou les laissait vivre. La production de tomates s’étalait ainsi sur plusieurs mois.
En 1914 est apparu spontanément sur un plant de tomate un nouveau type de croissance. La sève s’épuise en montant dans la plante et celle-ci s’arrête de grandir. C’est ce que l’on appelle la « croissance déterminée ». Autre caractéristique : les boutons de fleurs se forment en même temps et la production de tomates est très groupée : quelques semaines seulement, ce qui est un avantage énorme pour le professionnel (mais évidemment pas pour l’amateur). Les sélectionneurs de l’époque ont mis à profit cette découverte et se sont mis à ne sélectionner que des tomates issues de ce nouveau pied à croissance déterminée, délaissant des dizaines de variétés qui avaient fait leurs preuves. Au fil des décennies, seuls les critères d’ordre économique ont été pris en compte : production groupée, résistance au transport, calibrage des fruits, aspect rouge brillant qui doit plaire au consommateur de base… Jamais l’aspect gustatif n’a été pris en compte. De toute façon, il n’est pas certain que rendement et qualité gustative aillent de pair, il n’est pas certain non plus qu’une tomate qui résiste au transport puisse être, par principe, très bonne.
Les tomates anciennes ont par contre tous les avantages : qualité gustative, diversité de goût, diversité de formes et de couleurs (voir la galerie d’images que j’ai consacrée à la tomate), longue période de production de fruits… De plus, elles peuvent être facilement reproduites d’année en année si l’on prend soin de conserver les graines (ce qui est impossible avec les variétés modernes hybrides). La résistance au mildiou est un argument souvent avancé par les sélectionneurs de variétés modernes mais c’est de la publicité quasi-mensongère (j’ai déjà testé une centaine de variétés modernes et anciennes et ne constate aucune différence significative entre des deux groupes quant à la résistance au mildiou (j’y consacrerai peut-être un article prochainement, tellement le phénomène du mildiou me semble complexe).
J’ai lu il n’y a pas longtemps que les producteurs, constatant une baisse de la consommation, se désespèrent de la qualité gustative de leurs tomates et qu’ils engloutissent de grosses sommes d’argent dans la recherche pour retrouver le goût de la « tomate d’autrefois ». Or, pourquoi se fatiguer ? Ces tomates d’autrefois existent bel et bien encore aujourd’hui, conservées par des jardiniers amateurs qui se les transmettent de main à la main ou par des associations qui militent pour leur sauvegarde (exemple de Kokopelli). Simplement, on l’aura compris, les professionnels se doivent d’obtenir des variétés nouvelles afin de les breveter et de se remplir les poches au détriment du consommateur acheteur de graines ou de fruits. L’enjeu n’est donc qu’économique, une fois de plus !