DISCOGRAPHIE DE BOB DYLAN (2)
Nous voilà donc en mars 1962. Le premier disque de Dylan, intitulé simplement « Bob Dylan » vient de sortir, sans connaître le succès espéré par la firme Columbia. John Hammond, le « découvreur de talents » va, contre vents et marées, continuer de croire en Dylan, alors qu’il ignorait encore tout du talent de compositeur de son jeune poulain, Dylan n’ayant enregistré dans son premier disque quasiment que des morceaux écrits par de vieux bluesmen et joueurs de country.
Dylan vivait alors avec Suze, qui fut sa première inspiratrice et qui était fortement engagée politiquement. C’est elle qui amena Dylan dans les milieux activistes, militant pour les droits civiques. Le moment était probablement idéal pour devenir un chanteur engagé : les droits des noirs étaient bafoués plus que jamais, la tension montait entre l’Amérique et le bloc soviétique, la jeunesse commençait de remettre en cause l’ensemble du système …
Dylan se met alors à écrire continuellement, puisant l’inspiration dans les journaux qui racontent les faits divers (le lynchage d’un noir, la chasse aux sorcières communistes…). Ses plus grandes chansons sont alors écrites en un temps record. Il écrit partout, même lorsque tout le monde bavarde et piccole autour de lui, il écrit des idées, des phrases, des fragments de poèmes sur des coins de nappe dans les cafés. Dans ces circonstances, il écrivait cinq chansons à la fois et les finissait toutes ! Il y a alors un processus de création qui relève de la magie, personne ne peut interrompre Dylan. Le chanteur Mark Spoelstra dira plus tard que Dylan semblait à cette époque « possédé, illuminé ».
Dylan écrivait, écrivait, écrivait, il disait à l’époque « Tout ce que je peux chanter, c’est une chanson. Tout ce que je ne peux pas chanter, c’est un poème. Et quand c’est impossible à chanter et trop long, c’est un roman ».
Dylan entre en studio avec 25 compositions majeures à son actif mais treize seulement paraîtront sur le deuxième disque mythique « The Freewheelin’ Bob Dylan » publié en mai 1963 (d’autres compositions extraordinaires ne seront publiées .. que trente cinq ans plus tard dans le disque « Bootlegs, vol. 1 » dont je parlerai … dans quatre ans je pense ! Laissez-moi le temps de souffler un peu !). Comme à chaque article consacré à la discographie de Dylan, je vous invite à écouter sur Amazon.fr des extraits de 30 secondes de chacune des chansons du disque.
Le disque commence par le célèbre « Blowin’ in the wind », écrite en moins d’une demie-heure, qui deviendra rapidement l’un des hymnes emblématiques de la jeunesse. L’interprétation de Dylan est très convaincante, il y a beaucoup de sincérité dans la voix mais c’est la version qu’en feront aussitôt Peter, Paul & Mary qui fera connaître la chanson dans toute l’Amérique et bien au-delà.
La plupart des chansons de ce disque sont engagées. Ainsi la chanson « A hard-rain’s a-gonna-fall » (écrite au moment de la crise de Cuba, au moment où les missilles nucléaires russes étaient aux portes de l’Amérique), « Masters of war » adressée aux dirigeants qui envoient les jeunes au casse-pipe, « Oxford Town » qui traite des droits civiques au Mississippi et « Talking World war III blues » qui traite de l’éventualité d’une guerre mondiale (dans le style parlé « talking blues » que Dylan avait inauguré dans son premier album).
Dylan a toujours accordé beaucoup d’importance à lui-même (il a toujours voulu, je crois, s’affirmer à la face du monde), d’où les titres dans lesquels il se met « un peu » en avant : « Bob Dylan’s blues » et « Bob Dylan’s dream » que l’on retrouve dans ce disque (avis très personnel : Dylan est, je pense, très orgueilleux, il ne fera jamais, même quarante ans plus tard, une seule concession à son public, c’est un peu le genre « je suis Bob Dylan, fier d’être Bob Dylan, je n’irai pas à la rencontre du public, c’est lui qui viendra à moi ». C’est d’ailleurs l’un des aspects du personnage que j’apprécie le plus).
Dylan a écrit deux chansons d’amour sur ce disque (que le chanteur Hugues Aufray popularisera plus tard en France) : « Don’t think twice, it’s alwright » (« N’y pense plus, tout est bien ») et « Girl from the north country » (« La fille du nord »).
La chanson « Don’t think twice it’s alwright » m’impressionne, même après des centaines d’écoute, c’est peut-être celle que je préfère de toute sa carrière. Même lorsqu’on ne comprend pas l’anglais, la chanson est bouleversante, il y a une maturité incroyable dans la voix. Il suffit de regarder la pochette, d’y voir un gars tout jeune de 22 ans au bras de sa belle Suze, et d’écouter en même temps la chanson ; on se dit alors « c’est pas possible, tant de force, tant de nuances et tant de maturité … avec ce visage de gamin ».
Le disque est devenu mythique. Quand j’ai revu le disque vinyle, trente cinq ans plus tard à Paris, il valait … 42 000 F !
Dylan a frappé très fort avec ce disque. Avant lui, il n’y avait pas de « chanson à texte » aux Etats-Unis (cette particularité n’existait qu’en France finalement). Grâce à ce disque et à ceux qui vont suivre, Dylan va devenir, à vingt deux ans (et malgré lui ?), le porte-parole de la jeunesse américaine. L’idole de Dylan, celui qui avait été son modèle, Woody Guthrie, est déjà dépassée. Aux aspects incisifs et engagés des textes de Guthrie, Dylan a insufflé la poésie, l’ironie, l’intelligence des mots et un côté probablement moins direct (plus oblique) que les paroles militantes de Woody Guthrie. Le génie est indubitable.
Avec ce disque, Dylan quitte le cercle restreint et confidentiel de Greenwich Village pour donner de vrais concerts. C’est là, dans ces « grand’ messes folk » qu’il va rencontrer Joan Baez. Mais c’est une autre histoire… Rendez-vous donc dans un mois pour la suite de la « saga Dylan ».
PS – Mon ami Jean-Louis est partie prenante de mon projet « Discographie Dylan ». Il traduit, de manière très libre et « à tours de bras » des chansons de Dylan et s’est engagé à présenter sur ce blog une chanson de chacun des disques (au moins pour la première décennie de la carrière). J’en suis très honoré. J’envisageais au départ d’inclure ces traductions dans chacun de mes articles mais ceux-ci étant déjà très (trop ?) denses, et les traductions de Jean-Louis si riches (elles devraient susciter pas mal de commentaires), j’ai pris le parti de les publier dans un article à part. La première traduction paraîtra demain dimanche.