Produire ses propres graines est un bel enjeu pour le jardinier.

La démarche qui consiste à vouloir boucler le cycle complet de la plante (« de la graine à la graine ») est cohérente, elle est l’un des aboutissements de la vie de jardinier. Dans la réalisation d’une vie complète de jardinier, c’est aussi important à mon avis que de vivre toute l’année des produits de son jardin.
Et puis, une graine c’est tellement magique !
La graine est un maillon indispensable à la grande chaîne de la vie. Mais il n’y a pas que le fait de participer à ce grand cycle qui justifie qu’on produise ses propres graines.
D’où l’idée de cet article dans lequel j’aimerais récapituler les autres raisons de sélectionner soi-même ses propres semences (dans plusieurs chapitres, je prendrai l’exemple de la tomate mais beaucoup d’autres types de légumes se prêteraient également à ma démonstration) :
1 – Le coût des graines.
Quand on produit ses propres graines, celles-ci ne coûtent rien. Absolument rien, si ce n’est un peu de temps passé. Et zéro travail, car le jardinage ce n’est pas vraiment du travail, ceux qui jardinent le font avant tout par plaisir. D’un point de vue financier, 10 000 graines de tomates ne valent donc rien et en plus elles se récoltent en très peu de temps. Zéro centime, on est donc loin du coût prohibitif actuel. On en arrive aujourd’hui à trouver parfois des sachets de graines de tomates à plus d’un euro la graine – si si vous avez bien lu – c’est le cas par exemple de la variété Philovita qui est vendue 10,70 € les 10 graines et qui en plus n’a rien d’exceptionnel d’un point de vue gustatif. Le prix des graines est devenu tellement élevé que la plupart de mes amis, lorsqu’ils achètent des graines, le font soit à l’étranger, soit sur internet, soit même dans des magasins low cost de type Lidl.
2 – La qualité des graines.
Prenez 50 graines de vos tomates, vieilles de trois ou quatre ans, et faites les germer. Si vous les avez bien conservées, il en germera 49, peut-être même 50. Faites la même expérience avec des graines du commerce, vous verrez qu’on est loin de ce résultat. Les groupes semenciers vivent de leur réputation (acquise au 19ème siècle), mais la profession s’est bien dégradée, la sélection de graines qui était un vrai métier est devenue quelque chose de très aléatoire. Exemple : dans un sachet de graines de concombres, il y a plein de graines vides, il n’y a parfois que l’enveloppe, signe qu’il n’y a eu aucun tri de la part des semenciers. Et ce constat qui n’était valable que pour les marques bas de gamme, l’est aussi pour les grands noms de la distribution de graines. Je vois que cette baisse de qualité augmente année après année. Les vrais professionnels de la sélection de graines, ce sont aujourd’hui les amateurs. Il faut le dire et le répéter. Les vrais professionnels, aujourd’hui c’est donc vous !!! Pourquoi ? : Pour la simple et bonne raison que si vous gardez 100 graines de haricots pour votre semence de l’an prochain, vous les sélectionnerez avec soin et ne garderez que les plus belles graines, les plus régulières, chose que ne font plus les professionnels (on voit bien, vu l’hétérogénéité de l’aspect des graines achetées, lorsqu’on ouvre un sachet, que l’on a affaire maintenant à du « tout-venant »).
3 – La possibilité de prendre des risques.
Les aléas climatiques obligent maintenant à prendre des risques. De plus, expérimenter, oser, … a toujours été l’une des pratiques habituelles du jardinier. Mais qui osera risquer en pleine terre dès le mois d’avril 10 plants de tomate achetés en jardinerie à 2 € pièce ? Ou semer des janvier des graines de tomates que l’on a achetées très cher ? Quand on a par contre des centaines de plantules de tomates issues de ses propres graines, et des tonnes de graines en réserve, on s’en fiche de risquer graines ou plants car il y en a plein d’autres qui attendent en cas de problème.
4 – La possibilité de diffuser.
Comme il est très facile de récolter des milliers de graines, on peut en donner partout autour de soi. La graine est synonyme de partage. Elle a toujours été synonyme de partage d’ailleurs. Et si on connaît beaucoup de jardiniers, on peut vite arriver à diffuser chaque année plusieurs dizaines de sachets de graines. Et comme les jardiniers sont plutôt généreux par nature (enfin, tous ceux que je connais), vous recevrez souvent en échange d’autres variétés que vous n’avez pas.
5 – Anticiper la baisse des variétés disponibles.
Vous l’avez peut-être remarqué, le nombre de variétés hybrides proposées dans les catalogues (ou sous forme de plants en jardinerie) augmente chaque année de manière insidieuse. Or ces variétés hybrides ne sont pas reproductibles. Le risque est donc grand de se retrouver un jour à la merci complète des semenciers. C’est pourquoi il est urgent de récupérer les variétés non hybrides et de les reproduire soi-même avant qu’il ne soit trop tard. Et si dans 20 ans, vous trouvez quand même dans les catalogues des graines de tomate marmande, il y aura beaucoup de chances pour que cette marmande ne soit plus la vraie. Alors, faites vite car j’ai l’impression que tout s’accélère.
6 – Acclimater ses graines, c’est s’adapter aux changements climatiques
Je termine par ce dernier argument car il me semble essentiel. Je m’explique. On a tous des conditions de jardinage différentes qui varient d’une région à l’autre mais aussi d’un jardin à l’autre. Les phénomènes sont aujourd’hui amplifiés : augmentation des vents, pointes de chaleur, de froid, déphasage des saisons … Or, les graines qu’on nous vend sont produites dans des conditions optimales, sans excès dans un sens ou dans un autre. Les plantes qui ont produit ces graines n’ont jamais eu soif, elles n’ont jamais eu faim, elles n’ont jamais eu trop chaud, elles n’ont jamais eu trop froid, et comme elles sont cultivées la plupart du temps en serre, elles n’ont même jamais été sous la pluie ou dans les brouillards. Bref, ces plantes n’ont jamais connu la vraie vie. A nous de leur apprendre ! Bien entendu, il faut se procurer des graines au départ. Alors, si on n’a pas la possibilité d’échanger avec d’autres, achetons tout de même des graines qui viennent de plantes chouchoutées par les semenciers. Mais soyez sûrs qu’ensuite, année après année, en les semant dans les conditions qui sont celles de votre jardin et de votre climat, vous les adapterez à votre terre, plus facilement même que vous ne l’imaginez, l’acclimatation se fait déjà au bout de quelques années. Et si le climat évolue comme il est en train de le faire, certaines de vos plantes s’adapteront aussi (dans une certaine mesure) au manque d’eau, aux excès d’humidité … Les changements climatiques et les excès engendrés par ces modifications rapides font que certains jardiniers confirmés se posent même la question d’arrêter ou non la pratique du jardinage. Il est certain que dans 10 ans, ceux qui seront encore jardiniers seront ceux qui auront eu l’envie et la volonté de s’adapter et qui auront mis en place les méthodes de jardinage adéquates, la production de ses propres semences étant dans ce cas un passage (presque) obligé.
Mais la vraie raison de faire ses graines (s’il en fallait une) est résumée par cette phrase de Christian Boué (« Produire ses graines bio », éditions Terre Vivante) : « Faites-le tout simplement par amour de la vie comme, justement, une plante le fait pour ses graines ».