Proposé par Oups :
« Existe-t-il d’autre tâche assignable à la poésie que celle consistant à chercher à voir l’autre côté du monde ?
Cette forme d’Ursprache, de langue des origines, n’est-elle pas d’abord, peut-être même exclusivement, le parler naturel de quiconque, cherchant à se désengluer du quotidien et du psychocosiologique, du circonstanciel aussi, s’efforce de percer la croûte de ce qui se dit aisément sans y penser, pour aller voir ce qui remue si fort dans le terreau de l’informulable ?
La poésie n’est-elle pas cette façon de faire s’effacer l’être social, si pesant en nous, afin de réintégrer l’usage de ces facultés et de ces dispositions dont les premiers êtres humains étaient les familiers ?
N’est-elle pas cet acte gratuit, sublime et désespéré, de réinvestissement de soi par soi-même, cette façon d’échanger les réflexes acquis contre ces réflexes innés qui ne nous viennent plus naturellement ?
Ce monde de mots suscité par le poète, et consolidé par notre lecture silencieuse, n’est-il pas en fait le seul monde authentique, la seule vraie patrie, celle qui, à l’écart des Etat et des nations, connaît par coeur les voies d’accès à notre identité, à notre évidence ?
Ce qui nous relie machinalement et instantanément aux virtualités latentes de notre patrimoine génétique, rien ne l’a sans doute mieux approché que la musique, et que certaines oeuvres de peinture. Toutefois, la poésie pousse plus loin l’avantage, elle qui confie aux mots le soin de donner valeur symbolique aux sens subtils et libres, semble-t-il, de toute entrave émotionnelle. »
Gil Jouanard , extrait de « la saveur du monde »
Bon, t’as pas commencé par un texte facile, Oups ! Surtout qu’il n’est pas d’une écriture aisée.
Je vois dans ce texte, à première vue, deux choses paradoxales et qui me déroutent complètement : le fait que la poésie serait quelque chose qui nous aide à comprendre le monde extérieur (« voir l’autre côté du monde ») et qui peut être aussi un outil de découverte de soi-même (« réinvestissement de soi par soi-même »). Y-a-til antagonisme entre ces deux visions ? Ou celles-ci sont-elles complémentaires ? En tous les cas, c’est donner beaucoup de valeur à la poésie que de la croire capable d’agir sur les deux tableaux.
J’ai l’impression que la vérité – ou plutôt « ma » vérité – ne relève ni de l’un ni de l’autre de ces deux aspects. La poésie va bien au-delà de ces deux aspects. Ou bien en deça au contraire, selon le point de vue où on se place. Je m’explique. Bien au-delà car la poésie est un summum, elle renvoie à la seule valeur qui a vraiment du sens dans notre monde : la beauté (cela renvoie au débat qui a déjà eu lieu sur ce blog il n’y a pas longtemps) : beauté du verbe, beauté de la forme, beauté du rythme des mots … Mais aussi bien en deça, car la poésie ne peut pas faire plus que de nous faire toucher du doigt cette beauté (pas la beauté du monde extérieur, juste la beauté qui est intrinsèque à la poésie elle-même). Ni plus, ni moins. C’est déjà pas mal et même beaucoup. Quand la beauté nous submerge, on se laisse envahir. Point c’est tout. Et c’est en ça que la beauté est magique. De là à en faire quelque chose qui nous aide à comprendre notre monde extérieur ou notre monde intérieur … ! Non, je ne vois vraiment pas !
Wouahou, Oups, quel magnifique texte. moi je l’ai lu et vraiment aimé, et il me parle sans aucun problème.
Contrairement à toi, Bernard, qui en a probablement cherché le sens avec la tête, moi en le lisant j’ai pensé aux poèmes que j’aime et que je lis (Guillévic, Maurice Carême, René guy Cadou, Dimey, Eluard, Aragon, etc…), à ceux que j’écris, à ceux que je chante (les chansons (dites à texte) sont bien composées de poèmes). Et oui, ça m’a parlé. La poésie est clairement pour moi un autre regard sur le monde, un peu comme quand on voit le monde à travers un zoom : c’est un choix de vision, un choix d’angle, de grossissement ou d’éloignement. La poésie c’est un jeu avec le monde, un jeu avec les mots, un jeu avec les rythmes, les sonorités, c’est s’autoriser des images, en fabriquer, tout est tellement possible!
Et du coup, selon qu’on se laisse toucher par un poème (un poète), ou selon qu’on se laisse en faire, en inventer, oui, ça révèle quelque chose de soi, de son abandon, de l’enfant qu’on est encore (ou non), de notre capacité à jouer, à voir autrement.
Je n’irais pas, comme toi, Bernard, parler de beauté. Je ne sais pas si la poésie que j’aime est belle. Je sais juste qu’elle me touche, qu’elle m’aide à respirer, qu’elle m’apaise souvent, qu’elle me rince l’oeil et m’emmène ailleurs que là où je vis.
Par exemple, voilà le dernier petit poème que j’ai recopié (il y a 3 jours !)
Le moineau.
je suis né moineau
Sur le bord d’un toit.
Je suis comme il faut
Que le moineau soit.
Allègre, narquois,
Tout en petits sauts,
Je suis né moineau,
En mai, sur le toit.
Je ne suis pas beau
Et j’ai peur des chats.
Oui mais quelle joie
Quand je crie là-haut
Sur le bord du toit !
« A cloche pied »
Maurice Carême.
Voilà. Je trouve ce poème émouvant. Simple. Mais pas tant que ça. Ca parle sans doute à l’enfant que je me sens encore parfois. mais ça me va, ça me fait du bien.
La poésie est un médium d’expression, comme la peinture et la musique que tu citais. On peut rajouter la photo, la danse. Je comprends que certains nous touchent plus que d’autres, tant mieux.
Férré, pour moi, était un immense poète, on peut lire, dire, crier ses textes (avec le temps, jolie môme, c’est extra, la mémoire et la mer…), voire les chanter (ah ! chanter c’est extra ! un régal !). « …acte gratuit, sublime et désespéré… » dit le texte d’Oups… Voilà bien Férré, non ?
Merci en tout cas pour ce 1er beau texte. Difficile d’en parler après.
Ah, pour moi, la poésie révèle ce que le langage détruit… heu… oui, ça peut paraître contradictoire.
Elle ramène à ce qui précède le langage.
En même temps, la poésie ne se limite pas aux mots, bien entendu. Pour ma part, rien ne m’émeut plus que la poésie des petits gestes, qui, si on est très chanceux, jalonnent une journée. J’allais proposer quelques exemples pour étayer ce que je viens de dire, mais je me rends compte justement qu’ils me touchent trop pour que j’en parle. Je ne suis pas poète…
Nanou, il me semble que ton exemple, celui de Ferré, va plutôt dans le sens de ce que j’ai dit. Si on prend « la mémoire et la mer » (peut-être le plus beau texte de Ferré), il me semble que ce morceau est l’exemple même de texte qui n’apporte rien à la compréhension de soi-même et/ou du monde extérieur. Il n’y a que la magie du verbe. Il suffit de se laisser transporter par la beauté des mots et par leur rythme. Juste cela. Ne pas chercher surtout à chercher un quelconque sens avec sa tête. D’ailleurs, je ne crois pas que la tête (l’intellect) ait quelque chose à voir avec la poésie. La poésie relève du domaine du sensible et non de la pensée, me semble-t-il. Donc finalement, nos positions ne sont pas si éloignées que ça l’une de l’autre.
A propos des rapports entre vers et musique, voici un court extrait de Léo Ferré dans « Préface » :
« La poésie est une clameur. Elle doit être entendue comme la musique.
Toute poésie destinée à n’être que lue et enfermée dans sa typographie n’est pas finie. Elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l’archet qui le touche. »
Oui, finalement, je pense que nous parlions peut-être de la même chose, Bernard. Bien que je pense que la mémoire et la mer m’a beaucoup apporté dans la compréhension d’un monde ou de la perception de celui-ci (celui dont il parle), et m’a beaucoup apporté dans la compréhension de moi-même (puisque j’ai été touchée par ces mots-là, ça me dit quelque chose de moi, de ce que je ressens, de ce que je vibre…) Et le fait que tu aies été touché également par ce texte-là dit également des choses de toi. Et nous nous retrouvons ensemble dans cet espace particulier de sensibilité à un texte (comme à un tableau, comme à un chanteur). Voilà en quoi, à mon sens, ça dit de nous et du monde.
J’aime vraiment bien ce que dit Ferré, c’est comme il sait si bien dire. mais il y a des poèmes que j’aime lire, d’autres que j’aime dire. Quand j’en écris, c’est en les disant à voix haute que je sais s’il me convient ou non, s’il a du rythme, du corps. Il y en a qui gagne à être mis en musique (par exemple ce beau disque de poèmes de B.Dimey, dit par des acteurs sur une musique « illustrative » de Francis Lai à l’accordéon, « Le bestiaire de Paris ») j’ai eu un plaisir fou à l’écouter beaucoup. Mais il y a des poèmes qui ne sont bien que dans le silence, par exemple les haïku (pour moi). Comme un coup simple de triangle, après il n’y a qu’à écouter la résonance.
Les poèmes, c’est finalement vraiment une histoire avec nous-même.
Est-ce que la poésie est quelque chose de propre à l’espèce humaine ?
Ou faut-il considérer que le vol du papillon relève lui aussi de la poésie ? Voire même de la poésie à l’état pur.
Pfff, pardon pour les fautes ! faut dire aussi que Jérôme venait me parler en même temps ! faut suivre !
Ah, les poèmes de Dimey ! Et notamment « le bestiaire de Paris » avec la voix de Mouloudji ! J’aime l’écriture de Bernard Dimey. Je me rappelle d’un enregistrement de son dernier disque « Testament ». J’ai été scotché à ma chaise du début à la fin !
Il me dit autre chose, à moi, ce texte.
D’abord, je ne sais pas si voir l’autre côté du monde, c’est mieux comprendre le monde. C’est plutôt, comme le dit Nanou, adopter un autre angle de vue. Accéder à des perceptions dont on se fiche de savoir si elles sont vraies ou pas. Elles sont simplement justes, puisque ressenties par nous à ce moment-là.
Jusque là, j’arrive à le suivre, Gil Jouanard.
Mais quand il parle de réflexes naturels (innés) qu’on aurait perdus au profit de réflexes acquis… Je ne suis pas certaine de comprendre ce qu’il veut dire. Il parlerait de notre animalité ? À propos de poésie dont le matériau est le langage ?
Sur l’effacement de l’être social, l’accès à notre identité, j’y arrive encore. Mais sur l’inné, non, vraiment, je ne vois pas.
Que la poésie touche un niveau différent de notre être, je n’en doute pas. J’y verrais plutôt un accès à notre inconscient. Du domaine donc, de l’acquis, mais pas celui de l’intellect. Celui de l’émotionnel, justement. Aussi, je ne comprends vraiment pas quand Jouanard parle de « sens subtils et libres, semble-t-il, de toute entrave émotionnelle ».
Est-ce-que je t’ai déjà dit, Bernard, que je détestais tes codes de sécurité particulièrement tordus qui me bouffent un message sur deux (même si ça va mieux depuis que j’ai changé mon vieil écran flou) ? Bon, ce n’est pas grave parce que les virtualités latentes de mon patrimoine génétique avaient du mal à s’exprimer ce soir. Mais j’aime beaucoup l’analyse d’Anne, à laquelle j’adhère totalement.
258 visites sur mon blog hier. Du jamais vu. C’est Oups qui leur fait cet effet ?
Serenense. Il faut parfois faire deux ou trois codes de sécurité avant que ça ne marche. C’est vrai qu’ils sont particulièrement tordus. Le mieux est de faire un « copié » de son texte, au cas où on le perdrait … Désolé !
Il me semble qu’aucune des analyses faites au sujet de ce texte, et surtout ce texte qui donne un éclairage très intéressant, ne sont contradictoires. Elles sont effectivement personnelles.
Finalement, il est peut-être plus simple de dire ce que la poésie n’est pas !
Comme Bernard, je pense que trop analyser ce qui est en deça, en dessous (rappelez vous Devos et son jeu sur ces mots, c’est aussi de la poésie).
L’analyse renvoie aussi à certaines sinistres séances d’école au cours desquelles nous avons sans doute tous assisté à la dissection impitoyable de textes rendus exsangues et qui avaient même livré sous la torture des noms de camarades que l’auteur même n’aurait pas voulu accueillir !
Mais la force de la poésie est déjà là : ces textes que veulent s’approprier les élites sont restés là, au plus profond de nous même. Nous en avons gardé le sens caché, personnel et l’intégrité. Bien des poètes ont été pour cette raison pourchassés par les despotes, qu’ils soient à la tête d’un pays ou d’une classe.
Que vive donc la lutte des classes, elle est un mal nécessaire. San elle on pourrait croire que ceux qui n’ont rien compris sont supérieurs à ceux qui ont mal compris… un comble à remplir.
Mais je voulais surtout dire que j’ai du mal, d’une façon générale avec le discours sur l’art. Qu’il provienne d’artistes qui se répandent en commentaires sur ce qu’ils ont voulu ou pas exprimer, la révélation illuminée des esthètes ou de de la peinture vénale apportée par les marchands, les publicitaires, les animateurs médiatiques ou les politiques… ils parviennent tous ensemble à une chose profondément ignoble : rendre l’art (et donc la poésie en particulier), inaccessible aux profanes, grâce au prix qu’ils y accordent, à ce qu’ils jugent indigne, au recueillement parfois obscène qu’ils affichent, à la condescendance envers l’artiste maudit, tous ceux-là se transforment en champignons gluants et toxiques : à laisser sur place !
Des amis italiens rencontrés cet été me disaient qu’ils avaient assisté à de nombreux concerts pour pas cher avec même derrière eux des enfants qui chouinaient ! Vous vous rendez compte ? Des enfants ! Des chiards !
Rassurez vous, ce n’était pas à Besançon mais à Pragues, Berlin…
Vivement que la lumière revienne dans ce pays !
Vivement que nos gosses aillent pour un euro écouter un philarmonique ou qu’ils découvrent une autre musique de chambre que ce qui en sort parfois.
Pour quelqu’un qui dit qu’il ne faut pas dire sur l’art et laisser les émotions se faire place… il est temps que je ferme mon clapoir.
Z’avez-vu ? Je ne finis même plus mes phrases ! Comme les politiques ! Trop fort…
Je voulais donc dire : Comme Bernard, je pense que trop analyser ce qui est en deça, en dessous (rappelez vous Devos et son jeu sur ces mots, c’est aussi de la poésie) va à l’encontre d’une autre capacité du cerveau humain, celle de l’intégration.
Vive l’intégration libre !
juste pour vous apporter un autre autre éclairage à propos de ce texte : il interveint à la fin d’un livre, au cours duquel Jouanard montre que la poésie nait d’une observation rigoureuse de la nature. Il s’appuie pour ça sur quantités de géographes, biologistes et, parfois, poètes.
Un numéro spécial de Télérama consacré à René Char est en vente actuellement.
A vous de voir ! Je vais m’y plonger.
Pour moi, le rythme des mots est semblable à celui de la musique. Bien sûr, chaque poésie porte en elle son propre rythme. Mais lorsqu’une musique vient surligner un texte, la poésie n’en prend que plus de relief. On en revient toujours à Léo Ferré, expert en matière de mise en musique des grands poètes. Il est vrai que certains poètes, comme Aragon, ont un rythme d’écriture qui est très musical et l’on comprend bien qu’il ait été l’un des poètes les plus mis en musique. Mais avec Verlaine, Rimbaud, Apollinaire ou Baudelaire, c’est un peu moins évident et Ferré a su prendre le bon angle d’attaque pour mettre en valeur ces textes.
J’aime bien la description faite par Rilke dans « Lettres à un jeune poète » de la situation du poète en le comparant à celle de cet homme rencontré à l’occasion d’une promenade en barque, portée par la fougue de jeunes rameurs:
« Je ne puis continuer à passer sous silence l’homme assis contre le bordé, vers la proue de notre barque, à tribord. J’ai cru pressentir le moment où il se mettait soudain à chanter, mais il est possible que je me sois trompé. Il se mettait soudain à chanter, à intervalles tout à fait irréguliers, et certainement pas chaque fois que l’épuisement gagnait autour de lui, au contraire, il arriva plus d’une fois que son chant trouvât les autres vaillants, voire pétulants, mais il était juste, là encore, et, là encore, adéquat. J’ignore jusqu’à quel point les dispositions de notre équipage lui parvenaient; tout cela se passait dans son dos, et il regardait rarement derrière lui, et sans qu’il en reçût une quelconque impression. Ce qui semblait l’influencer, c’était le pur mouvement qui coïncidait dans son sentiment avec le lointain ouvert auquel il s’était livré, à moitié résolu, pour moitié tristement. En lui s’équilibraient contamment l’élan de notre embarcation et la force de ce qui venait à notre rencontre- de temps à autre un excédent pesait: il chantait alors. La barque dominait la résistance; mais lui, le magicien, tranformait ce qui ne pouvait être dominé en une suite de longues sonorités flottantes qui n’étaient ni d’ici ni d’ailleurs, et que chacun prenait pour soi. Tandis que son entourage ne cessait de se commettre avec l’immédiateté tangible et de le maîtriser, sa voix entretenait un rapport avec le plus lointain, nous y accrochait jusqu’à ce qu’il nous attire.
Je ne sais pas comment cela s’est produit, mais, soudain, cette figure m’a fait comprendre la situation du poète, la place qui est la sienne et l’influence qu’il exerce dans le temps; j’ai compris aussi qu’on pouvait bien lui contester toutes les positions hormis celle-là. Mais il fallait alors qu’on l’y tolère. »
je crois qu’il faut discerner deux choses : le poète et la poésie. Une « beauté » d’existence des choses, et un médiateur. Pour moi les deux sont bien distincts.
Autre chose : le poète peut aussi n’être que celui qui ressent la poésie des choses, sans forcément chercher à la communiquer; là encore, il y a des distinctions à faire dans ce qu’est un poète.
Le poète « ressentant » est à mon avis celui qui s’ouvre à ce qui existe au-delà de ce qu’on voit ou de ce qu’on entend, celui qui sait se laisser emplir de cette « beauté » singulière, qui ne s’arrète pas au visible, aux mots, aux sens admis, à la forme… c’est pour ça que quand Jouanard parle d’Ursprache, j’adhère immédiatement. Dommage que Christian Bobin n’intervienne plus ici : je crois qu’il aurait de l’eau à apporter à mon moulin. Et en plus, il le ferait avec infiniment de poésie…
Je me rends compte que si ce n’est évidemment pas ma citation préférée (c’est un passage que j’ai jugé intéressant d’un livre que j’étais en train de lire), le choix que j’ai fait de vous le soumettre n’est pas innocent : le sentiment poétique imprègne très (trop ?) fortement ma vie quotidienne, au point, que je me rende souvent compte à quel point je peux être en décalage avec ceux qui me sont pourtant si proches et douloureusement inadéquate (exception faite de mes enfants, qui, étrangement, voient partout la même magie que moi). Ca m’intéresse beaucoup de lire comment les uns et les autres abordent la poésie du monde. J’aimerais bien en savoir plus d’Isidore, par exemple…
il y a aussi le poète « créateur de magie », celui qui parfois modifie l’ordre de la nature pour en rendre la magie plus évidente.
le poète « sublimateur de personnes » celui qui nous fait nous voir autrement, plus intenses, plus profonds, plus riches peut-être, en créant autour de nous un environnement propice à faire naître de nous des choses profondes, riches, intenses…
Pour moi, la poésie est avant tout contemplation et détachement. Je prends le mot dans son terme de substantif, et non pas dans seulement un type d’écriture; ainsi il peut y avoir poésie dans un paysage, une personne, une musique, un texte …
Le détachement est nécessaire pour laisser les choses venir à soi.
La contemplation (ou le recueillement) permet de s’imprégner de ces choses.
Je ne suis pas sûre « d’accrocher » au texte proposé par Oups; autant je comprends (et adhère) à ce qu’il nomme Ursprache, la langue des origines, ce qui parle en nous malgré nous, autant ce que je devine d’effort pour y parvenir me paraît « désenchanteur ».
Je persiste à penser que l’accès à la poésie se fait sans volonté, par détachement, et non pas en « cherchant à se désengluer du quotidien », en faisant « s’effacer l’être social », je n’y vois aucun « acte gratuit, sublime et désespéré, de réinvestissement de soi par soi-même »; tout cela me paraît même pesant …
Pour ce qui est de la poésie écrite (le poème), je ne sais pas pour vous, mais à moi cela demande un effort (même chose pour la sculpture et la danse); je veux dire un effort de concentration et un travail de compréhension. Je me suis rendue compte que la lecture de poésie était plus facile pour moi dans mes années après lycée et universitaires que maintenant. J’en conclus que c’est par manque de pratique, comme dans tout, l’apprentissage doit se perpétuer en permanence.
Bien sûr, on peut savourer sans forcément tout comprendre; mais pour aller plus loin, je crois qu’on savoure d’autant plus la poésie (le poème) qu’on en a quelques clés.
J’écoutais par exemple une émission hier sur Hawaï. Autrefois dirigée par un roi puis par sa sœur, l’île fut bientôt aux mains des américains, et la reine fut destituée et reléguée à résidence.
Mais le roi comme la reine écrivaient de la musique et des chants, et la reine se servit de ces chants pour communiquer avec son peuple. Car au-delà des paroles que tout le monde entendait, un sens profond et intelligible par les seuls autochtones était présent.
J’adore absolument cette liberté indomptable des mots!
Contrepéterie rime rarement avec poésie, je vous l’accorde.
Tiens, en voici une, d’actualité :
« Oh, la belle tente, Kadhafi ! »
Désolé, Brind’paille, d’avoir mis une insanité après ton si beau texte !
Qui va m’envoyer une citation ou un extrait de texte pour le deuxième article de cette nouvelle rubrique : Brind’paille, Christophe, Anne, Vincent, Nanou, Isidore, …. J’attends, j’attends. Suffit juste de m’envoyer un mail.
Bernard,
Comme tu as péché il te sera pardonné, amen!
Finalement je me sens bien démuni pour parler de poésie. J’ai tellement l’impression que ça se vit et ça se partage, ici et maintenant, au coeur de l’existence de chaque jour, dans les toutes petites choses comme dans les rêves les plus délirants, que toute tentative d’en parler, comme ça, en public, ne peut, en définitive que me la rendre un peu plus inaccessible alors qu’elle est pourtant si familière d’ordinaire. Elle doit être un peu timide, en fait… Je le vois bien, elle se cache là-bas, derrière le pot de fleur… « Allez, viens donc dire bonjour à tous ces amis! Mais non, ils ne sont pas si méchants que ça!…Allez!…Viens!… » Rien à faire, elle ne veut pas sortir de son trou… Je suis désolé, je tenais pourtant à vous la présenter ce matin…Mais bon…Voilà qu’elle me tire la langue, maintenant. Non mais, faut pas exagèrer, une fois… Tu vas voir si j’me lève et que j’t’attrape…cré vin dieu!!! Oh! la bougresse! Elle s’est cachée dans l’imprimante…Oh, nonnnn! La cartouche d’encre!!! La couleur, en plus! …Toute neuve que je venais juste de remplacer…Non, mais ça va pas? Dis? Allez, recrache!!!… Tout de suite!… Allez!!! Bordel de merde!!! Oh, pardon! Excusez-moi, mais je vais être obligé …. Touche pas à ce fil!!!! Non, arrête!… Je vais être obligé de… Non!!! pas la prise télépho
hihihihihihihihihihihihihi !!!!!!
aaaaaaaah…
je pensais bien que ce serait de cet ordre, Isidore.
mort de rire !
Remplaçons si vous le voulez bien ce mot de « poésie » par celui de « parole amoureuse ». Et maintenant, oui, je peux répondre à votre question : je n’attends que cette parole, je ne cherche que cette parole, je ne désire et ne veux fréquenter qu’elle. Où qu’elle soit. Elle peut fleurir dans un livre de poèmes mais aussi sur une page de roman, comme n’importe où dans la vie. La poésie est parole aimante, parole émerveillante, parole enveloppée sur elle-même, pétales d’une voix tout autour d’un silence. Toujours en danger de n’être pas entendue. Toujours au bord du ridicule, comme sont toutes les paroles d’amour. On croit que la poésie est un agencement un peu maniéré de certains mots, un efaçon obscure de faire tinter un peu d’encre te de soge. Mais ce ‘est pas ça. Ce n’est pas ça du tout. La poésie, on ne l’écrit pas aec des mots. La matière première d’un poème, son or pur, son noyau d’ombre, ce n’est pas le langage mais la vie. On écrit d’abord avec sa vie, ce n’est qu’ensuite qu’on en vient aux mots. Ceux pour qui les mots sont premiers, ce sont les hommes de lettres, ceux qui, à force de ne croire qu’à la littérature, ne connaissent plus qu’elle. Ceux pour qui la vie est première bénie, ce sont les poètes. Ils ne se soucient pas de faire joli. Ils s’inquiètent d’abord de vivre, seulement de vivre. Se faire silencieux, se rendre attentif, vivre, aimer, écrire – ce sont des pactes qui n’en font qu’un seul. Si la poésie n’est pas la vie dans sa plus belle robe, dans sa plus franche intensité, alors ce n’est rien – un amas de petites encres, petits orgueils, petites souffraces, petites sciences. La poésie est une parole aimante : elle rassemble celui qui la prononce, elle le recueille dans la nudité de quelques mots. Ces mots – et avec eux le mystère d’une présence humaine – sont offerts à celui qui les entend, qui les reçoit. La poésie, dans ce sens, c’est la communication absolue d’une personne à une autre : un partage sans reste, un échange sans perte. On ne peut pas mentir en poésie. On ne peut dire que le vrai et seulement le vrai. Si on met on sort de la poésie. Si belle soit la phrase qu’on écrit, si on met on sort de la poésie pour choir dans le langage coutumier, dans le mensoge habituel, dans la vie ordinaire, morte.
(La merveille et l’obscur)
ah Bobin comme je t’aime !
Les poètes sont des gens qui ne savent rien faire de leurs mains, sinon des gâteaux de silence, qui leur prennent tout leur temps et qu’ils oublient ensuite, sur une assiette de faïence, au bord de la fenêtre. Les enfants viennent y goûter, puis les bêtes, enfin les morts qui nous entourent et ne tolèrent pas d’autres nourriture que ces quelques miettes, invisibles. On prend ce livre, on le feuillette. Et puis comment vous dire. Cela vient très lentement. C’est comme une chose fragile qui demanderait à naître. Elle vient du dedans. Elle monte lentement dans le jour.
(Lettres d’or, 1987)
*
Je lis les livres de poésie comme les femmes fouillent dans les boîtes où sont empilés des tissus, à l’époque des soldes : je prends un poème, je le quitte, je regarde celui qui suit, je saute des pages, je reviens sur ma première lecture, j’hésite, je réfléchis, je ne réfléchis plus et j’emporte une image, heureux pour la journée, certain d’avoir fait une bonne affaire.
(Autoportrait au radiateur, 1997)
*
La plupart des poèmes sont comme des allumettes qu’on gratte : ils nous éclairent pendant quelques secondes et cela fait une jolie flamme, mais ensuite, il ne nous reste plus à la main qu’un petit bout de bois calciné.
(La lumière du monde, 2001)
*
On ne sait pas ce qu’est la poésie. On sait juste que c’est donner son sang aux anges qui passent.
(Une bibliothèque des nuages, 2006)
*
Bien avant d’être une manière d’écrire, la poésie est une façon d’orienter sa vie, de la tourner vers le soleil levant de l’invisible.
(La dame blanche, 2007)
Eh ! Bobin, si tu n’as rien de prévu, plus tard, on pourrait peut-être s’installer au chaud pour parler d’écruture ? hmmm ??? et voir si en m’orientant bien, je parviens à faire lever le soleil de ton invisible ? kestendis ?
La poésie et la prose
On peut imaginer deux magasins contigus, celui d’un antiquaire et celui d’un quincaillier. La vitrine du quincaillier expose des batteries de casseroles en aluminium brillant avec des queues de bakélite noire. Aussi pimpante que soit cette vaisselle, il est clair qu’elle aspire de toute sa vocation à servir. Sa raison d’être est la cuisine avec ses rudesses, le feu, les sauces, les agressions du nettoyage. Objets d’usage ne valant que par leur utilité, ils s’usent et seront bientôt jetés et remplacés.
L’antiquaire expose, lui aussi, des casseroles. Mais en cuivre massif, à la surface finement martelée par la main d’un artisan du XVIIIe siècle. Elles ne peuvent aller au feu. Elle ne servent à rien. Ce sont des idées de casseroles plus que de vraies casseroles.
Il en va de même avec les mots, selon qu’on les trouve dans un texte en prose ou dans un poème.
La raison d’être de la prose est son efficacité. Jean-Paul Sartre : « La prose est utilitaire par essence ; je définirais volontiers le prosateur comme un homme qui se sert des mots. Monsieur Jourdain faisait de la prose pour demander ses pantoufles, et Hitler pour déclarer la guerre à la Pologne. » Ajoutons qu’ils ne doutaient ni l’un ni l’autre de l’efficacité de leurs paroles. Monsieur Jourdain entendait bien qu’ayant parlé, on lui apportât ses pantoufles, et Hitler que ses divisions envahissent effectivement le Pologne. Dès lors que l’effet était obtenu, ces ordres devenaient caducs et disparaissaient devant leur propre efficacité. Comme les casseroles du quincaillier, la prose se précipite vers sa propre destruction.
Tout autres sont les mots de la poésie qui aspirent toujours à l’éternité. La métrique et la rime se justifient par leurs vertus mnémotechniques. Car la vocation du vers, c’est d’être appris par cœur et récité à tout moment, éternellement.
(…)
(Le miroir des idées, traité, Mercure de France, 1994)
La poésie et la prose (suite et fin)
(…)
Paul Valéry rapporte ce dialogue entre le dessinateur Degas et le poète Mallarmé. « J’ai un tas d’idées en tête, disait Degas, moi aussi je pourrais écrire de la poésie. » Et Mallarmé lui répond : « Mais, cher ami, la poésie, cela se fait avec des mots, non avec des idées. » Car c’est la prose qui part d’une idée. Monsieur Jourdain a d’abord l’idée d’enfiler ses pantoufles et Hitler d’envahir la Pologne. Ils parlent ensuite conformément à leur idée.
En poésie, le mot est premier. Le poème est un enchaînement de mots selon leur sonorité et sur un certain rythme. Les idées qu’ils véhiculent sont secondaires. Elles suivent comme elles peuvent. « Comprendre » la prose, c’est saisir les idées qui la commandent. « Comprendre » un poème, c’est être envahi par l’inspiration qui en émane. La limpidité et la précision – qui sont les valeurs de la prose – cèdent la place en poésie à l’émotion et à la force évocatrice. Il en résulte également qu’on peut toujours en prose changer les mots – et notamment traduire le texte dans une autre langue – à condition de respecter l’idée – alors qu’un poème est inexorablement solidaire des mots qui le composent et ne peut passer d’une langue dans un autre. Un poème et sa prétendue traduction dans une autre langue, ce sont deux poèmes sur le même thème.
On peut exprimer la même idée en se servant des concepts de fond et de forme. On dira que dans la prose le fond et la forme sont facilement dissociables, le même contenu pouvant se traduire de diverses façons, alors que dans la poésie la distinction fond-forme ne peut se faire, la forme servant aussi de fond, et le fond se confondant avec une forme déterminée.
Citation :
On pourrait s’étonner que les pensées profondes se trouvent dans les écrits des poètes plutôt que des philosophes. La raison en est que les poètes écrivent par les moyens de l’enthousiasme et de la force de l’imagination : il y a en nous des semences de science, comme dans le silex, que les philosophes extraient par les moyens de la raison, tandis que les poètes, par les moyens de l’imagination, les font jaillir et davantage étinceler.
(René Descartes, Cogitationes privatae)
(Le miroir des idées, traité, Mercure de France, 1994)
Dans Atlantica de Kenneth White, je lis :
« Ceux qui savent la vérité
n’égalent pas du tout
ceux qui l’aiment
et ceux qui l’aiment
n’égalent pas ceux
qui la vivent joyeusement »
…et me dis qu’on pourrait dire la même chose de la poésie (ce serait même peut-être plus juste et moins « cucu » qu’avec cette prétendue « vérité »)
Il me semble que les deux textes de Tournier sont une admirable synthèse de ce qui a été dit dans bon nombre de commentaires des un(e)s et des autres ci-dessus.
Toute l’oeuvre de Kenneth White (un stimulant mélange d’essais, de récits et de poésies) pourrait également être citée ici.
Pour ceux qui ont la chance de ne pas encore connaître, ces quelques (trop courts, trop longs ?) extraits, tirés presque au hasard :
« La géopoétique est le nom que je donne depuis quelque temps à un « champ » qui s’est dessiné au bout de longues années de nomadisme intellectuel. Pour décrire ce champ, on pourrait dire qu’il s’agit d’une nouvelle cartographie mentale, d’une conception de la vie dégagée enfin des idéologies, des mythes, des religions, etc., et de la recherche d’un langage capable d’exprimer cette aute manière d’être au monde, mais en précisant d’entrée qu’il est question ici d’un rapport à la terre (énergies, rythmes, formes), non pas d’un assujetissement à la Nature, pas plus que d’un enracinement dans un terroir. Je parle de la recherche (de lieu en lieu, de chemin en chemin) d’une poétique située, ou plutôt se déplaçant, en dehors des systèmes établis de représentation : déplacement du discours, donc, plutôt qu’emphatique dénonciation ou infinie deconstruction. (…) Avec le projet géopoétique, il ne s’agit ni d’une « variété » culturelle de plus, ni d’une école littéraire, ni de la poésie considérée considérée comme un art intime. Il s’agit d’un mouvement qui concerne la manière même dont l’homme fonde son existence sur la terre. Il n’est pas question de construire un système, mais d’accomplir, pas à pas, une exploration, une investigation, en se situant, pour ce qui est du point de départ, quelque part entre la poésie, la philosophie et la science. »
(Le plateau de l’Albatros, initiation à la géopoétique, Grasset, 1994)
*
« Etre écologiste, c’est s’intéresser à la manière dont les êtres humains et non humains vivent dans un espace et c’est aussi respecter et vouloir préserver les espaces vivants. La géopoétique c’est établir le rapport à cet espace. Pas seulement le conserver, le préserver, mais établir un rapport sensible et intelligent. Ce qui demande un changement dans la personne, un changement de l’être. Ça va plus loin. Ensuite, il faut essayer de le dire, c’est-à-dire qu’il faut changer notre langage. Il y a deux étapes en plus. »
(Le lieu et la parole, Scorff, 1997)
*
« E.S. : Que faire dans un tel contexte ?
K.W. : D’abord, résister. Non pas le fusil à la main, mais le sourire aux lèvres.
E.S. : Et ensuite ?
K.W. : Maintenir ouvert le champ du grand travail.
E.S. : Avec quelles perspectives ?
K.W. : Densifier sa propre vie, ce n’est déjà pas si mal.
E.S. : Et sur le plan mondial ?
K.W. : Je me dis parfois, certains soirs dans mon ermitage des brumes, qu’une Asie ressaisie, ressourcée, alliée à une Europe qui aurait surmonté son histoire et fait sa culturanalyse, pourrait être le point de départ d’un vrai nouveau monde.
E.S. : Une nouvelle géopolitique ?
K.W. : Non, du perspectivisme alter-mondialiste géopoétique.
(L’ermitage des brumes, Occident, Orient et au-delà, Dervy, 2005)
*
Enfin, pour ceux qui préfèrent l’image et les mots parlés aux mots écrits, cette vidéo :
http://www.dailymotion.com/relevance/search/kenneth+white/video/x1gyon_white_travel
Ce que je crois ne pas savoir,
Ce que je n’ai pas en mémoire,
C’est le plus souvent,
Ce que j’écris dans mes poèmes.
*
Il n’aura pas,
Mon poème,
La force des explosifs.
Il aidera chacun
A se sentir vivre
A son niveau de fleur en travail,
A se voir
Comme il voit la fleur.
*
Comme certaines musiques
Le poème fait chanter le silence,
Amène jusqu’à toucher
Un autre silence,
Encore plus silence.
*
Quand un poème t’arrive,
Tu ne sais d’où ni pourquoi,
C’est comme si un oiseau
Venait se poser dans ta main,
Et tu te penches,
Tu te réchauffes à son corps.
On peut aussi partir
A la recherche de l’oiseau.
*
Tous ces frétillements
Que tu sens en toi,
Autour de toi :
Les ramasser,
Les rassembler,
Avant qu’ils ne se perdent,
En faire
Comme une sculpture
Qui défiera le temps.
*
Je suis un ruminant.
Je broute des mots.
*
Lors de la quête
Acharnée du poème
Tu as quelque chose
De l’escargot
Après la pluie.
*
Le poème :
Un contenant
Qui trouve sa forme
Au fur et à mesure
Qu’il se remplit.
*
Quoi que tu fasses
Le poème
Garde son mystère.
Pas plus
Que l’arbre et le buisson,
Que la palourde
Et sa coquille.
*
Le poème
Nous met au monde.
*
Si tu t’aimais
Comme tu aimes
Le poème que tu cherches,
Peut-être
Tu n’écrirais plus.
*
etc…
(Art poétique, Gallimard, 1989)
POESIE
L’unité indissociable et presque toujours mystérieuse, dans un discours donné, de la musique, du sens et du vrai, d’où naît l’émotion. C’est une vérité qui chante, et qui touche. A ne pas confondre avec la versification, même pas avec le poème : il est rare qu’un poème soit tout du long poétique, et il peut arriver qu’une prose, par moment, le soit.
(Dictionnaire philosophique, PUF, 2001)
voi-là. C’est plutôt ça que j’avais envie d’entendre… Merci Dédé ! Tu devais être drôlement inspiré, à 1h11 du matin…
Lu Guillevic, et me suis remémoré ce passage de Jouanard dans lequel il parle de lecture silencieuse. Effectivement, GUillevic infuse délicieusement quand je le lis, alors que quand je l’entends, il n’a qu’un effet immédiat. étrange, non ?
Ce serait donc une poésie assexuée (angélique ?), alors, si on s’en tient aux propos de Léo Ferré cités plus haut ?
Ferré, il avait un peu intérêt à dire ça, lui qui avait fait sa spécialité de chanter les poèmes… non ?
Personnellement je crois que c’est une parole parfaitement opportuniste. mais je vois d’ici la levée de boucliers comme une OLA virtuelle dans un PSG-Manchester United !
Pour ma part, la formulation de Mallarmé, cité par Tournier, me paraît capitale : « la poésie, cela se fait avec des mots, non avec des idées. »
Je crois volontiers, en effet, (contrairement à Bobin, donc, en quelque sorte, du moins au premier abord, ou dans la formulation retenue) que la poésie est avant une affaire de langage.
Il me semble que la clé de compréhension de son mystère (et de son pouvoir de fascination) se trouve précisément là : on se trompe en croyant que le langage est un simple outil permettant d’exprimer des idées. En effet, il est tout sauf neutre, il possède entre autre un fort pouvoir d’évocation. Plus même, de connaissance.
Le poète est de ce fait celui qui accepte de « lâcher prise », de ne plus chercher à maîtriser le langage, être plus fort que lui, l’asservir à un autre but que l’expression de ses propres forces. Il se laisse au contraire guider par elles.
Comme l’a très bien montré, je trouve, Pascal Quignard dans Rhétorique spéculative (un ouvrage à mon sens clé sur la question), il existe depuis les origines deux courants inconciliables qui se font en quelque sorte une guerre farouche : la tradition philosophique (pour laquelle le langage n’est qu’un outil, au service du sens) et la tradition littéraire/poétique (pour laquelle le langage est par lui-même l’investigation). Les premiers s’acharnent à démonter (à coups de raisonnements) quand les seconds se contentent de montrer (à l’aide, notamment de cette chose étrange et archaïque qu’est l’image). Les premiers veulent du sens, les seconds un élan, du souffle, la vie. Il est extrêmement rare qu’ils se rencontrent.
« Il se trouve que le philosophe peut être un imposteur, disait Fronton (le premier théoricien reconnu de ce second courant) en 139, à Rome, et que l’amateur des lettres ne peut l’être. Le littéraire est chaque mot. D’autre part, son investigation propre est plus profonde à cause de l’image. (…) Va à la source de la philosophie, répète-t-il à Marcus. N’égare jamais dans la philosophie le rythme, la voix qui y parle et le psophos rémanent et émotif auquel elle emprunte. Repousse ses dissertations bossuées, contournées. Par le choix des mots, par la nouveauté de l’ancien qui est au fond de l’âme, de l’archaïque qui est au fond de l’élan, en t’abandonnant à l’investigation propre aux images, je t’ai fait pénétrer non seulement dans le pouvoir mais dans la puissance du dire. Tu ne peux pas mépriser le langage humain. Tu peux seulement ne pas l’aimer. Tu peux ne pas l’aimer comme Crassus le rire, comme Crassus la lumière du jour, comme Crassus les champs. Mais la haine du langage ne signifie rien pour l’humain qui l’énonce. Qu’un humain haïsse le langage, c’est comme la moisson qui haïrait le flanc de la colline. »
« Les pages de Fronton que je viens de citer sont la première déclaration de guerre que je connaisse manifestant avec clarté l’existence d’une opposition irréconciliable à l’encontre de la tradition philosophique. Elle administre la preuve de la réalité et de l’obstination d’un courant plus ancien, autonome, irréductible, offrant une véritable alternative à la classe lettrée devant l’expansion brutale, envahissant toutes les grandes cités méditerranéennes, de la formalisation et de la hiérarchisation obsessionnelle, raisonnable et terrifiée de la métaphysique des Grecs. Nous n’avons pas besoin d’aller nous adresser à l’Orient, au taoïsme chinois, au bouddhisme zen pour penser à plus de profondeur ou pour nous défaire des apories de la métaphysique des Grecs puis de la théologie des chrétiens, enfin du nihilisme des Modernes : une tradition constante, oubliée, marginale parce que intrépide, persécutée parce que récalcitrante, nous porte dans notre propre tradition, venant du fond des âges, précédant la métaphysique, la récusant une fois qu’elle se fut constituée. »
(Rhétorique spéculative, Calmann-Lévy, 1995)
Pour moi, c’est clair (ce qui n’est pas si fréquent) : Jouanard et Quignard parlent exactement de la même chose.
est-ce que la poésie existe avant d’être exprimée alors ? Moi je crois que oui, sauf qu’elle ne s’illumine qu’au moment où on la montre du doigt… Elle existe cachée, partout (notamment dans l’imprimante d’Isidore qui, depuis, semble avoir du mal à se connecter), mais ne prend forme que dans l’expression d’un médiateur ? (on se concentre sur les mots, mais il y a d’autres formes d’espression poétique, bien sûr). Je ne m’y fais pas, et pourtant, plus je cherche, plus j’arrive à cette conclusion qui me déplaît. Moi, je voudrais croire qu’elle existe indépendamment de nous. En fait, elle existe, mais c’ets nous qui en faisons « de la poésie ». C’est une autre chose qui existe, infiniment supérieure qui, pour être appréhendée, se retrouve traduite en poésie.
Cette chose infiniment supérieure (ou plutôt antérieure) au sens des mots, n’est-elle pas justement l’image dont la poésie cherche justement à maintenir la puissance évocatrice (développée dans les rêves, dans la conscience pré-linguistiques des premiers mois de vie, etc…) dans les outils justement construits pour s’en défaire ?
ben si.
merde, fais gaffe, on part pour être d’accord, là… trouve vite un truc ! c’est encore possible …
POur en revenir à Bobin : la raison pour laquelle il me plaît tant, c’est parce qu’il libère les mots de leur poids, peut-être, il leur redonne un souffle, les laisse respirer, encourage l’union libre…
J’adore aussi Quignard, mais d’une façon à la fois radicalement différente et fondamentalement similaire. J’ai l’impression qu’ils se complètent et que leur perception des choses est proche, mais si leurs approches « peuvent paraître » plus sensitive pour l’un et plus intellectuelle pour l’autre.
Je me rends compte que ce n’est pas la même partie de mon corps qui lit l’un et l’autre. Je lis Quignard avec le derrière de mon front et de mes yeux, une certain tension du sourcil, un jugement, des relations, des idées. Je lis Bobin dans ma respiration, en vagues qui m’emplissent librement, qui inondent au passage sans accrocher nulle part…
Ma lecture de Jouanard ressemble à celle de Quignard.
Mais je ne saurais mieux m’expliquer…
Bien vu (et bien dit aussi)
Les deux parlent bien de la même chose (du moins, je le pense également), mais Bobin peut-être de façon plus « poétique » (même s’il le fait en prose, il utilise la force de persuasion de l’image plus que de l’argumentation) et Quignard plus « philosophique ».
Toujours ces deux courants, opposés, inconciliables.
J’aime beaucoup l’idée implicite à cette conception de la poésie qui inverse la hiérarchie de l’évidence première.
On a en effet souvent tendance à penser que la prose est première, vulgaire, ras-de-terre et la poésie un langage plus subtil, raffiné, civilisé.
Or, cette conception implique justement tout l’inverse : la poésie serait en fait le langage originel, primaire, archaïque (le fameux « Ursprache » de Jouanard), la prose porteuse d’un sens clair et rationnel, une conquête beaucoup plus tardive, « moderne » pourrait-on dire.
C’est (à ce propos) ce qui fait que, pour ma part, je crois davantage par exemple à la géopoétique de White qu’à la décroissance rationnelle de Latouche pour parvenir à sortir des impasses de la modernité. « Décoloniser l’imaginaire », certes oui, mais cela ne pourra sans doute pas se faire sans changer carrément de langage, donc de rapport au monde. Modifier simplement le lexique, sans changer les structures de pensées (le mode de rationalité qui a fondé la société actuelle) n’est à mon sens qu’un changement de vernis qui peut certes donner l’impression de tout modifier mais qui risque de n’être qu’une révolution de surface.
En relisant Quignard, je découvre qu’on appelait imago, dans la Rome ancienne, les têtes des morts placées dans une armoire sous forme d’empreintes de terre ou de cire. Et c’est vrai qu’une image poétique nous saisit parfois comme le ferait le surgissement inattendu d’un visage d’ancêtre.
ça c’est aussi ce que j’aime, chez Quignard : sa drôle d’intimité avec tous les temps.
POur ma part, je crois bien plus en la poésie-prose qu’en la poésie-vers, la forme en vers étant une entrave supplémentaire à la liberté des mots. POur moi, la poésie n’existe que quand elle est une manifestation d’elle-même, libérée de tout. Souvent, Quignard fait de la poésie. (si, comme Vincent, je gardais, j’archivais et je soulignais mes textes, je pourrais étayer unpeu ce que je viens de dire… malheureusement, je ne suis qu’Oups et je me base uniquement sur un souvenir…)
Tout être humain sur cette terre, où qu’il vive, quelle que soit même l’époque où il a vécu, vit ou vivra, a d’abord vécu, lors des premiers mois de sa vie, loin des mots, dans un univers mental uniquement composé d’images. Cette époque bénie (où le « moi » ne s’opposait pas au mode extérieur) nous hante ensuite d’autant plus qu’une fois le seuil franchi, une fois le langage acquis, il est impossible de retourner en arrière, de s’affranchir des mots une fois qu’ils ont installé leur empire en notre esprit.
Les artistes (poètes, musiciens, peintres…) n’ont peut-être d’autre vocation (obession ?) que d’essayer de raviver ce souvenir, par bribes plus ou moins fulgurantes.
Sinon, Oups, en réponse à ton allusion un peu plus haut : ne crois pas, steuplé, ceux que ça arrange sans doute de ne voir en moi qu’un contradicteur systématique.
Parvenir à un véritable accord – non feint – ressort même pour moi du domaine de la « grâce ».
Ben moi, quoiqu’on en dise,
quoiqu’en en pense aussi,
J’aime à le dire ici,
Tout cru et à ma guise,
Que nenni point d’accord,
Avec aucun de vous
Je le suis, pauvre fou,
Mais sans doute, bien à tort.
arf… vincent… moi aussi je trouve ça assez magique de tomber d’accord sur ce genre de choses, mais la conversation serait peut-être plus stimulante si on ne regardait pas tous les deux dans la même direction, non ? Tu me confortes progressivement dans la perception que j’ai de la poésie, en affinant le grain de mon flou, en alimentant mon sentiment…
Qu’on voit sensiblement la même chose dans la poésie me ravit ! mais c’est peut-être un peu « confortable » comme discussion, non ? C’aurait été bien qu’on trouve un contradicteur pour nous secouer un peu tous les deux et voir ce qui tombe du prunier.
Isidore… hmm… suis perplexe : deux négations s’annulent, c’est bien ça ?
Oups… , j’ai sans doute oublié une virgule entre « nenni » et « point »… Et aurais dû supprimer peut-être la virgule après « d’accord »… A moins qu’il n’aurait fallu inverser l’ordre des mots, ou même peut être le sens des idées… A tout bien considérer, et sans vouloir offenser personne, je suggère cependant, compte tenu de l’heure indéniablement matinale, du givre que la nuit a déposé sur la campagne avoisinante, sans oublier la nouvelle idylle de notre Président de France, qu’un statut-quo en faveur du flou poètique soit prononcé.
Ceci étant dit merci pour vos réflexions. Elles me donnent du grain à moudre et du fil à retordre… J’ai beaucoup apprécié, Vincent, les propos de Kenneth White… A creuser.
La beauté des vers et leur puissance est de ne pouvoir être pensés, c’est-à-dire de ne pouvoir venir à la pensée toute mesurés et parfaits, combinés, liquides, musicaux et denses. La pensée ne fait pas naturellement de poèmes mais au plus des fragments.
*
Le poème, cette hésitation prolongée entre le son et le sens.
*
Philosopher en vers ce fut et c’est encore vouloir jouer au loto selon les règles du jeu d’échecs.
*
La poésie la plus précieuse est (pour moi) celle qui est ou fixe le pressentiment d’une philosophie. Etat plus riche et beaucoup plus vague que l’état philosophique qui pourrait suivre.
*
Le sujet d’un poème lui est aussi étranger et aussi important que l’est à un homme, son nom.
*
La poésie doit donner l’idée d’une parfaite pensée. – Ce n’est pas une vraie pensée. Qu’elle soit à la pensée ce que le dessin est à la chose – une convention qui restitue de la chose ce qu’elle a de passagèrement éternel.
*
Il s’agit, dans les vers, de faire qu’une relation accidentelle, celle du son et du sens, semble naturelle ; sans exceptions, semble une loi.
*
Quand un vers est très beau on ne songe même pas à comprendre. Ce n’est plus un signal, c’est un fait.
*
Celui qui danse n’a pas pour objet de marcher – Le but n’est plus dans l’espace et pourtant ce sont l’espace et les appareils de déplacement qui sont utilisés. Les jambes servent à autre chose qu’à franchir et à atteindre – et les mots à autre chose qu’à se renseigner ou à renseigner.
*
La syntaxe, les termes doivent être en poésie aussi précis que possible mais le sens, imprécis ; multiple, jamais entièrement identifiable à une « fonction finie ».
Cette non-équation est essentielle à la poésie.
(…) Le véritable poète ne sait pas exactement le sens de ce qu’il vient d’avoir le bonheur d’écrire. Car à l’égard de ceci il devient un simple lecteur, l’instant d’après.
Il vient d’écrire un non-sens : ce qui doit : non présenter mais recevoir un sens, (et c’est fort différent).
*
etc…
(Ego scriptor, Gallimard, 1973)
Il ne faut pas mettre en vers des idées dont la prose soit capable.
*
La poésie n’a pas à exposer des idées. Les idées (au sens ordinaire du mot) sont des expressions, ou formules. La poésie n’est pas à ce moment. Elle est au point antérieur – où les choses mêmes sont comme grosses d’idées. Elle doit donc former ou communiquer l’état sub-intellectuel ou pré-idéal et le reconstituer comme fonction spontanée, avec tous les artifices nécessaires.
*
La poésie est l’essai de représenter par les moyens du langage articulé, ces choses ou cette chose, que tentent obscurément d’exprimer les cris, les larmes, silences, les caresses, les baisers, les soupirs, etc., et que semblent vouloir exprimer les objets dans ce qu’ils ont d’apparence de vie, ou de dessein supposé.
Cette chose n’est pas définissable autrement. Elle est de la nature de l’énergie, – de l’excitation, c’est-à-dire de la dépense.
*
Un bon poème est silencieux.
*
La difficulté de la poésie est de trouver des paroles qui soient en même temps musique par elles-mêmes et musique par analogie. Musique dans la sensation et musique dans leur sens.
*
Grandeur des poètes – de saisir avec leurs mots, ce qu’ils n’ont fait qu’entrevoir – dans leur esprit.
*
Poésie.
C’est un préjugé très remarquable que de croire le sens du discours être plus élevé en dignité que le son et que le rythme.
Comprendre la poésie, c’est avoir surmonté ce préjugé, qui ne doit pas être excessivement ancien, qui se rattache à l’opposition naïve et non immémoriale entre l’âme et le corps, et à l’exaltation de la « pensée » même niaise aux dépens de l’existence et de l’action corporelles même admirables de justesse et d’élégance.
*
etc…
(ibidem)
Tout langage est moyen. La poésie essaye d’en faire une fin.
*
Poésie, art de parler pour ne rien dire, mais pour tout suggérer.
*
Pour un poète, il ne s’agit jamais de dire qu’il pleut. Il s’agit… de créer la pluie.
*
La poésie considérée comme une opération inverse de celle qui a conduit au langage univoque et uniforme.
*
Le poète cherche le vers magique – celui dont le sens lui soit à lui-même mystérieux.
Si un vers produit un sens exact – c’est-à-dire qui puisse être traduit soit par une autre expression, soit par une représentation unique – ce vers est aboli par ce sens.
*
Le poète n’a pas pour but de communiquer une « pensée », mais de faire naître en autrui l’état émotif auquel une pensée analogue (mais non identique) à la sienne convient. « L’idée » ne joue (dans lui comme dans l’autre) qu’un rôle partiel.
*
Chez les esprits non-poétiques, se manifeste toujours une tendance à traduire en langage de prose le texte donné en vers. C’est ce qu’ils appellent « comprendre ». Quand l’opération est possible, c’est que le poème ne valait rien, puisque c’est la démonstration de l’inutilité et de l’arbitraire de sa condition de forme.
*
Dialogue sur la poésie ?
La pratqiue de la poésie conduit nécessairement à donner au langage même une part de premier rang dans l’usage du langage, tandis que la pratique conduit à l’oublier – ainsi dans nos actes familiers continuels, nous oublions que nos membres, nos mains, nos os et nos muscles sont en jeu – avec les restrictions, les propriétés particulières de chacun, les rythmes et les relations avec nos sens qu’ils comportent – Mais si nous y prêtons attention, un art d’agir se dessine. –
Or en parlant et écrivant, ou en recevant des paroles, nous annulons leurs caractères – pour passer au plus tôt à leurs causes supposées, – le sens.
– Analyser ou ressentir le marcher, le manger ; les exécuter en décomposant ; refaire pas à pas la construction – observer le rôle du BUT – et voir que si le but n’est que satisfaire la faim (par exemple), l’acte n’est pas tout à fait le même que s’il était de jouir de la saveur.
Et ainsi de la promenade opposée à la marche commandée par ce qui lui donnera fin.
*
etc…
(ibidem)
Je me doutais bien que Kenneth White allait te plaire, Isidore (je croyais même que tu connaissais déjà, avait entre autre déjà lu La figure du dehors).
Pour en découvrir un peu plus, je te propose ces liens vers l’entretien qu’il avait accordé à Pivot dans l’émission « Double je » :
http://www.dailymotion.com/relevance/search/kenneth+white/video/x11l45_kenneth-white-double-je-12-b-pivot_music
http://www.dailymotion.com/relevance/search/kenneth+white/video/x11l9c_kenneth-white-double-je-22-b-pivot_music
(NB : regarde bien l’image choisit par l’internaute qui a posté cet enregistrement, c’est un petit clin d’oeil à l’article suivant de Bernard)
Ça ne vaut évidemment pas son oeuvre écrite (notamment ses essais), mais bon… en attendant, ça permet de poursuivre à peu de frais les présentations.
Appel du 19 décembre 2007
A nous, modernes d’aujourd’hui (c’est un pléonasme bien entendu), de reconquérir nos facultés poétiques. C’est une question de survie du peuple que nous sommes encore. Les peuples qui perdent le pouvoir de penser et de s’exprimer par le langage de la poésie sont en danger de mort. Faisons appel à cette grande tradition qui hante encore notre mémoire mais surtout pratiquons et pratiquons encore en infirmes que nous sommes devenus, sans plus tenter de nous comparer à ces géants qui nous regardent du passé, sans plus nous complaire non plus dans la fascination morbide du spectacle de leur prestige, et agissons, petitement, humblement, pour que puisse renaître un jour de ses cendres, peut être, ce souffle qui fit alors leur grandeur. Ceci, pour honorer la mémoire de nos pères et ne pas sombrer entièrement dans l’indignité et l’opprobre dont aura à nous accabler probablement notre descendance.
Je signe ton appel, Isidore !
Des deux mains…
Des deux pieds, aussi
Les yeux fermés
Mais le coeur ouvert
Le corps dressé, surtout
Comme un sexe bandé
Rugissant
Jaillissant
Défiant
l’univers entier
D’oser
Lui passer au travers
Pour voir
S’il ressortira
Transformé
Purifié
Ou au contraire
Densifié
Nawa !
Youpi!!!
Isidore, tu prêches une convaincue ! Je signe aussi !
Isidore, Vincent, je vous propose de célébrer l’appel du 19 décembre dans la mousse givrée, en buvant une boisson puissamment poétique.
et pourquoi pas dans les highlands écossais, là où, semble-t-il, tout se ressent encore plus fort ?
Dommage qu’on ne soit que trois signataires !
Avec un peu plus de « poids », on aurait pu tenter de suggérer à Bernard, à l’instar des Dimanches musicaux, des Mercredis poétiques par exemple, où l’on aurait l’occasion de mettre en commun nos éventuelles productions poétiques (stimulées pour la circonstance).
Sinon (tant qu’on y est), réveiller le Parti préhistorique (initié dans sa jeunesse pas Brassens et ses potes), ça intéresse quelqu’un ?
Une boisson puissamment poétique, Oups ?
Ne me dis pas que c’est un vulgaire alcool ou je ne sais quoi d’autre du commerce. C’est forcément une potion créée pour la circonstance. Que peux-tu donc avoir mis dedans ?
hmmmm
pour ma part je suis absolument incapable d’une quelconque production poétique, mais je vous fais confiance à tous les deux.
quant à la boisson, rien de vulgaire, bien sûr… quelque chose de vivant, à concocter ensemble, comme la cérémonie qui l’accompagne !
qu’est-ce que c’est le parti préhistorique, Vincent ? (tout m’intéresse mais j’en ai assez des choses qui restent à l’état de projet))
Ben concrètement, sur le Parti inventé par Brassens et ses potes, je ne sais quasiment rien (Bernard, peut-être ?).
Mais l’idée me plaît vraiment bien.
Je l’entends, pour ma part, ainsi : critiquer la modernité non pas en rajoutant une couche de « vertu rationnelle et progressiste » supplémentaire, mais au contraire en grattant la fine couche de « vernis des Lumières » pour raviver notre fond archaïque (établi sur des millions d’années d’évolution).
Valoriser donc en vrac (la liste serait à définir de façon plus précise et réfléchie) : le langage poétique, la pensée symbolique, le polythéisme, un rapport plus brut et direct à la terre et aux éléments, la pratique artistique (et magique ?), la réappropriation des gestes ancestraux (semer, pétrir, chasser, etc…), etc…
Et pour ne pas rester une parole en l’air (qui reste à l’état de projet), une première chose concrète, toute simple :
Zapper Noël (autant qu’on le peut…) et célébrer plutôt, chacun de la façon symbolique qui lui convient le mieux mais si possible de manière collective, le solstice de samedi.
La nuit la plus longue de l’année et la grande « bascule » qui marque le retour progressif de la lumière, c’est pas rien tout de même !!!
N’y a-t-il pas là plus de « sens » qu’à marquer le passage, par exemple, de l’année arbitraire 2007 à 2008 ?
Sinon, Oups, tu n’es pas « absolument incapable d’une quelconque production poétique », ce n’est pas vrai… Ça ne peut pas être vrai.
Un peu de travail (de « lâcher-prise » plus exactement) et tu verras. C’est juste sous la couche de vernis.
Bernard ne dansera peut-être jamais (comme tu as déjà formulé le souhait) le tango, mais il peut très bien réveiller en lui la grue cendrée qui saute en rythme (il l’a déjà prouvé, d’ailleurs), pourquoi ne pourrais-tu donc pas, de ton côté, non pas écrire comme Vigny ou Musset, mais faire jaillir une parole plus sauvage ?
Adhère au parti (ou plutôt rejoins notre horde) et tu verras ?
ouiiiiiiiiiiiiii ! ouiiiiiiiiiiiiiiiii ! j’adhère au partiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !
dis donc, si tu veux faire craquer la couche de vernis, va falloir réfléchir à un moyen de me désinhiber ! (bon courage !)
Isidore, tu as quelque chose de prévu ce week-end ?
La vérité chez vous est dans les chiffres, dans les raisons et dans les preuves. La vérité chez vous est dans le monde, devant vous, comme le paysage devant le promeneur, comme l’horizon devant le marin.
Chez nous la vérité n’est rien de semblable. Elle ne brille pas dans les lointains. Elle chante dans le proche. Elle n’est pas au bout du chemin, elle est le chemin même. Elle n’est pas en face, mais au milieu de nous.
Nous sommes dans la vérité comme des enfants dans l’eau profonde. Ils nagent, ils plongent, disparaissent et reviennent, une herbe entre les mains, une devinette aux lèvres :
Qui nous connaît mieux qu’une mère ? La mort.
D’où vient le vent ? D’un livre ancien qu’on a oublié de refermer.
A quoi reconnaît-on la parole juste ? A son silence.
Qu’est-ce que la neige ? Un peu de froid, beaucoup d’enfance.
Qui danse jusqu’à l’aube ? L’étoile.
Qui marche en effaçant ses pas ? La bonté.
Qu’est-ce qui distingue les anges de nous ? Leur très grand naturel.
Comment s’appelle le chien qui mord son maître ? La gloire.
Qui rit après sa mort ? La pluie dans le feuillage.
Qui mange dans notre main ? L’espoir.
Qui ne vient chez nous qu’en notre absence ? L’amour.
Qui a la fièvre sans jamais être malade ? Le temps.
Qui essuie la lumière avec un chiffon sale ? La folie.
Qui entre sans qu’on l’invite, et sort sans qu’on la chasse ? La vie.
Ainsi allons-nous dans la vérité, comme un enfant va dans ses jeux : perdant, gagnant. Gagnant, perdant. Et toujours prêt à dire, et toujours prêt à jouer.
Car si chez vous la vérité est un vieillard, chez nous c’est un enfant.
(L’autre visage? Lettres vives, 1991)
La langue, n’importe quelle langue, est belle à entendre quand elle n’a pas de sens (dans la magie, c’est d’ailleurs cette langue dénuée de sens dont le charme opère sur les choses matérielles). Dès qu’il fait sens, le langage charrie la banalité de ce qui se dit dans toutes les langues du monde.
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Lacan a raison : le langage n’indique pas le sens, il est là à la place du sens. Mais ce qui en résulte, ce ne sont pas des effets de structure, ce sont des effets de séduction. Non pas une loi qu règle le jeu des signifiants, mais une règle qui ordonne le jeu des apparences. Mais peut-être tout cela veut dire la même chose.
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Ne jamais résister à une phrase qui vous plaît, où le langage prend lui-même son plaisir et où, après en avoir si longtemps abusé, vous êtes stupéfaits de son innocence. Tout à coup, faire plaisir au langage est comme de faire plaisir à un efemme – aussi inattendu, aussi peu conventionnel, aussi rare.
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Le langage ne peut plus se prendre à la théâtralité philosophique de son objet. Il doit devenir lui aussi un attentat par fascination.
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L’espace est ce qui fait que tout n’est pas à la même place. Le langage est ce qui fait que tout ne signifie pas la même chose.
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La communication est au langage ce que la reproduction est à la sexualité.
Dans la communication, les mots et les concepts interagissent à des fins de reproduction et de circulation, sans jamais copuler. Intelligence artificielle asexuée, insexée, équivalente de l’insémination artificielle. Maximum de reproduction, minimum de sexe.
A l’inverse, l’extase poétique du langage correspond à la phase libertine d’une sexualité sans reproduction (le langage poétique s’épuise en lui-même et ne se reproduit pas, non plus que la pensée, dont la continuité, pour cette raison, n’est jamais assurée).
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La vraie poésie, c’est celle qui en a perdu tous les signes distinctifs. Si la poésie existe, elle est partout sauf dans la poésie. Tout comme le nom du Dieu était jadis dispersé dans le poème, selon la règle anagrammatique, aujourd’hui c’est le poème lui-même qui est dispersé dans les formes profanes. Même chose pour le théâtre : le théâtre est aujourd’hui partout sans dans le théâtre. Le vrai théâtre est ailleurs.
Ainsi la philosophie : si elle existe, elle est partout ailleurs que dans les ouvrages philosophiques. Et la seule chose passionnante est cette anamorphose, cette dispersion des formes philosophiques dans tout ce qui n’est pas la philosophie.
Le monde entier est devenu philosophique, puisqu’il a désavoué la réalité et l’évidence. Inutile de lui poser la question de sa fin : il est au-delà de ses fins. Ni la question de la cause : il ne connaît que les effets. Ainsi la critique philosophique est terminée en substance. Le cynisme, le sophisme, l’ironie, la distance, l’indifférence, toutes les passions philosophiques sont passées dans les choses. Toute la philosophie et la poésie nous reviennent de là où on ne les attendait plus.
(Cool Memories, tomes I et V)
De nouveau deux jours d’absence et hop, on perd le fil… Mais je vois que l’imagination se met à travailler sec et ça me réjouit fichtrement !!! C’est une invitation, Oups?… J’arrive!… Allez hop, j’enfile mon manteau (il fait un peu froid, il me semble) et je fonce… Allez, hue dia!!! A fond de train dans la nuit noire (il est déjà 18h05)…Si je veux arriver à l’heure, il va falloir garder un rythme d’enfer et, en plus ne pas arriver complètement épuisé…On ne sait jamais…Non mais qu’est ce que je raconte là? Je divague, je divague…Allons donc, ressaisis-toi, bougre d’âne! Et maîtrise ton souffle!… Salut, les copains! Boire un coup? Non, j’ai pas l’temps, on m’attends! Une invitation! Et oui! Allez, Tchao!!!… J’arrive, Oups!!!…Mais, au fait, c’est quoi ton adresse? Où j’vais, moi?… Trop tard, j’suis parti…On verra bien…On n’est encore que samedi soir…
Dis, au fait , Vincent, tu nous rejoins?
Ooooooooooooh ! quel dommage Isidore ! comme tu l’aurais trouvée jolie cette forêt au clair de lune ! A l’heure où tu écrivais, nous étions déjà partis…
J’y étais aussi.
En fait, on était dix à dormir la nuit dernière en forêt : cinq enfants, cinq adultes.
Si on a réussi notre coup (je ne révèlerais pas ici nos rites secrets ), la nuit devrait arrêter de s’étendre, et la lumière, comme la longueur des jours, progressivement revenir.
Gustave Roud dit de belles choses de la poésie. Il dit des choses incontestables. Il dit que la poésie c’est la parole qui guérit. Il dit que toute parole devrait être une parole d’assistance, et que toute autre parole devrait être rentrée sans délai dans la gorge. Oui. Il y a un ennui, quand même, avec la poésie. Ce n’est pas un ennui très grave. C’est l’ennui de ce mot : « poésie ». Il ne va pas bien, ce mot. Il ne dit pas grand chose. Il fait scolaire. Il sent la craie et le tableau noir. On peut avantageusement le remplacer par un autre mot, presqu’aussi imprononçable, le mot même en vérité : l’amour. La parole poétique est une parole nue, sans appui. Elle se dissout dans l’air qui la porte. Elle s’efface dans la voix qui l’énonce. Ce n’est pas une parole intelligente. Elle n’est pas plus intelligente qu’elle n’est bête. C’est une parole délivrée du langage. C’est une parole détachée de tout – et même de soi. Elle propose aucun sens. Elle ne dit rien qu’elle même. C’est une parole offerte. C’est une parole ouverte à l’offrande infinie. C’est l’offrande lumineuse d’une solitude à une autre. Elle rend la terre à la terre. Elle redonne notre vie à la vie. Elle redonne à l’éternel son goût de périssable. La parole poétique est une parole amoureuse. Elle invente – dans le temps de la dire et dans celui de l’entendre – une communauté invisible, une fraternité silencieuse. Dans le monde, à qui demande du pain, on donne une pierre. Dans l’amour, à qui n’ose demander, on donne l’eau fraîche d’une parole.
(Un livre inutile, Fata Morgana, 1992)
Personne n’est poète. Personne n’est là pour donner des poèmes comme l’enfant donne son sourire ou comme l’arbre donne ses fruits. Personne n’est « poète » parce que ce serait là sa nature – son infirmité ou sa grâce. La poésie seule existe. Elle existe comme les champs, comme la neige, comme les saisons. Mais personne ne « fait » de la poésie, pas plus que personne ne nous offre les giboulées de mars ou les neiges de décembre. La poésie c’est la vie limpide quand elle entre en nous pour prendre connaissance d’elle-même, d’une connaissance aérienne, subtile, semblable à celle que la mère a de l’enfant, ou l’amant de l’aimée : un sourire plus qu’un savoir. Un silence plus qu’une parole. La poésie n’est rien que la fragilité de cet état de conscience, l’éveil en nous de la pureté qui est bien plus que nous. Elle ne vient pas de l’élégance d’une écriture, mais de la transparence d’une vie. Et le « poète », s’il faut vraiment garder ce mot, c’est celui qui, en retenant son souffle, sait pour un temps plus ou moins long n’être personne. Sa singularité c’est de se taire en parlant. Il ne s’adresse pas aux autres. Il s’adresse à lui-même comme à un autre, et sa parole est si faible qu’elle n’atteint pas son but, qu’elle ne revient pas vers lui et se dépose comme une buée sur le monde. Cette parole égarée dans les champs, pulvérisée dans les airs, c’est la substance de tout poème. Elle ne va vers personne et c’est pour cela qu’elle nous touche à coup sûr. Quand on nous parle directement, nous n’entendons rien puisqu’il n’y a rien à entendre, puisqu’on ne vise qu’à nous asservir. Toute parole veut triompher dans le monde. Toute parole veut régner sur nous, même celle qui dit l’humilité – et celle-là plus encore que les autres. Ce qui s’adresse à nous nous regarde, pour nous convaincre ou nous séduire. Nous ne pouvons bien entendre que ce qui ne nous regarde pas : cette parole qui ne veut rien de nous, cette parole affaiblie qui danse au-dessus des champs et se dissout dans un murmure.
(Un livre inutile, Fata Margana, 1992)
Les mots
Depuis
Des temps
Immémoriaux
Cherchent
Leur
Signification.
(Oeuvres complètes, tome XV)
pour poursuivre dans l’idée que les mots sont parfois étrangers à la poésie, et pour rester chez Malcolm : « Le feu se lamentait que le bois ne le comprenait pas » (ça m’est resté gravé, ce petit poème dès la seconde où je l’ai lu; et il me revient sans cesse)
– Images ! Images ! Images ! dit le poète voyant l’enfant jouer.
L’enfant ne se posait pas la question car il ne connaissait pas le mot « image ».
Le poète arraché le mot « image » de son esprit. Et il vit que l’arbre avait un nouveau sens, et que tout avait un nouveau sens. Et il passa au langage muet.
Et c’est à ce moment-là qu’il vit cette « chose » qui était dans l’enfant et qui n’était pas un mot. Et le poète connut le sens de l’arbre par les yeux de l’enfant.
Et lorsque le poète reporta ensuite son regard sur l’arbre dans la cour, il vit que c’était un nouvel arbre.
Le poète est le père et son enfant l’ « apprend ».
(Apparadoxes, 1958)
Mallarmé l’a dit à Verlaine, dans la longue lettre autobiographique qu’il lui a écrite en 1885 : « l’explication orphique de la Terre (…) est le seul devoir du poëte. » L’explication ! Orphique ! de la Terre ! Quels sont les poètes qui cherchent à EXPLIQUER aujourd’hui quoi que ce soit ? Avant-hier, Malcolm de Chazal dans Sens plastique, mais depuis ? Quels poètes s’identifient encore, comme le faisait Rimbaud dès son adolescence, à Orphée ? Ils restent à découvrir. Lequel d’entre eux oserait, en d’autres termes que ceux des cosmologues scientifiques, « expliquer la terre » ? C’est l’ambition, implicite, de la « géopoétique » de Kenneth White, exceptionnel admirateur de Humboldt, de Thoreau et de Cendrars, mais qui entraîne-t-il sur ces chemins de navigation terrestre, d’errance contrôlée par la cartographie ?
(Manifeste de la poésie vécue, Gallimard, 1995)
Hé, dis donc, Vincent… Ton Parti Préhistorique, ça ne serait pas quelque part de la décroissance qui n’oserait pas dire son nom ? Ou alors, pire encore, un sérieux concurrent à ce qui fut il n’y a pas si longtemps un tentative de Parti de la décroissance ?
Etonne-toi, aors, que personne (ou presque) ne te suive encore sur ce coup-là ! Tu cherches les noises aussi, non ?
(Tu l’a fait exprès, en plus, j’imagine, de finir par le mot « chasse »)
C’est vrai qu’il y a des points communs, « quelque part » comme tu dis si bien, mais en même temps c’est aussi tout le contraire. Une autre logique, je crois.
La principale différence, je crois, pour faire court, c’est… le sourire.
C’est simpliste, je l’admets, mais c’est pour moi le critère majeur d’évaluation de tout système, toute théorie, tout mouvement, tout engagement : la qualité de sourire que cela développe chez ses pratiquants.
Regardez à nouveau les vidéos de Kenneth White mises en lien plus haut sous cet angle, vous verrez à quel point sa « géopoétique » est une forme de légèreté souriante.
Après, chacun trouve la joie de vivre où il peut, mais pour ma part, les livres et conférences des « décroissants » m’ont toujours paru, en comparaison, bien… « plombants ». Plus culpabilisants que stimulants.
Acune idée ne devrait être plus pesante qu’une lumière.
Aucune parole ne devrait faire plus de bruit qu’un sourire.
Ca me plait bien ce que tu racontes là, Vincent. Et joyeux Noël à vous autres, blogadupduptiens(nes) !!!
Quant au sourire du parti préhistorique, je revendique le droit de chacun d’avoir son sourire propre, quitte à ce qu’il ait parfois des allures grimaçantes. Que chacun trouve son propre sourire, pas qu’il reproduise celui de son voisin. Ca aussi, ça me semble être une différence fondamentale avec le parti de la décroissance, au sourire uniformisé…
Isidore, débrouille toi pour être là fin janvier !…
Où ça, là, Oups ?
ben là où on sera ! : dans la forêt de La Vèze, autour de Besançon… on a déjà repéré l’endroit parfait l’autre matin, à l’issue de notre dernière nuit sauvage. tu viens alors ??? sans doute le dernier ou avant dernier week-end de janvier.
Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas ; accusez-vous vous-même de n’être pas assez poète pour en appeler à vous les richesses ; car pour le créateur il n’y a pas de pauvreté, il n’est pas d’endroit pauvre, indifférent. Et si même vosu étiez dans une prison, si les murs ne laissaient venir à vos sens aucun bruit du monde – alors n’auriez-vous pas toujours votre enfance, cette richesse délicieuse et royale, ce trésor de souvenirs ?
*
Approchez-vous de la nature. Essayez alors, comme un premier homme, de dire ce que vous voyez, vivez, aimez, perdez. N’écrivez pas de poèmes d’amour ; évitez d’abord ces genres trop courants, trop habituels : ce sont les plus difficiles, car on a besoin d’une grande force, d’une force mûrie, pour donner ce qu’on a en propre là où de bonnes et parfois brillantes traditions se présentent en foule. Fuyez donc les motifs communs pour ceux que vous offre votre quotidien.
*
Etre artiste veut dire : ne pas calculer ni compter ; mûrir comme l’arbre qui ne hâte pas sa sève et qui, tranquille, se tient dans les tempêtes de printemps sans redouter qu’après elles puisse ne pas venir l’été. Il vient de toute façon. Mais il vient seulement chez ceux qui, patients, sont là comme si l’éternité s’étendait devant eux, insoucieusement calme et ouverte. Je l’apprends tous les jours, je l’apprends au prix de douleurs envers lesquelles j’ai de la gratitude : la patience est tout !
*
Vous l’avez fort bien caractérisé par votre mot : « Vivre et écrire en rut. » – Et de fait, l’expérience vécue de l’art est incroyablement proche de la vie sexuelle, de sa douleur et de sa jouissance, au point que les deux phénomènes ne sont que deux formes différentes d’un seul et même désir, d’une seule et même félicité. Et si, au lieu de rut – il était permis de dire sexe, dans le sens grand, large, pur, là où nulle Eglise ne saurait venir égarer ses soupçons, alors son art serait très grand, et infiniment important. Sa force poétique est grande, puissante comme une pulsion originaire, elle a en elle-même ses rythmes propres, qu’aucun égard ne retient, et, comme d’une montagne, elle fait éruption hors de lui.
*
L’art aussi n’est qu’une façon de vivre, et on peut s’y préparer en vivant d’une façon ou d’une autre, sans le savoir ; dans toute réalité, on en est plus proche, plus voisin que dans les irréelles profesisons mi-artistiques ; celles-ci, tout en faisant miroiter un semblant de proximité avec l’art, n’en dénient pas moins, en pratique, toute existence à l’art, et l’agressent, comme fait à peu près tout le journalisme, et presque toute la critique, et les trois quarts de ce qu’on appelle, de ce qui veut s’appeler, littérature. Je me réjouis, en un mot, que vous ayez surmonté le danger de tomber là-dedans, et que vous soyez quelque part dans une rude réalité, solitaire et courageux. Puisse l’année qui vient vous y maintenir et vous y renforcer.
(Lettres à un jeune poète, 1929)
Zut, ça aurait dû bien évidemment être signé : Rainer Maria Rilke.
Ca sonne bien, je trouve le « Où ça, là, Oups ? » d’Isidore.
Ben, moi, j’ai pas signé l’appel du 19 décembre, mais quand je suis avec la Jeanine, des fois, il me vient des poésies. J’ai le droit de les mettre , hein ? J’ai le droit ?
Moi, le missionnaire
C’est c’que je préfère
Quand elle a les jambes en l’air
Elle fait vach’ment moins sa fière
Sérieux, les gars, c’est du bon, ça, non ?
vas-y, Jeanine, mets en un aussi ! on a le droit !!!
Moi j’aime qu’il souffle à mon oreille
Mille et une merveilles
Des soupirs d’amour confus
Des petites choses incongrues
Putaiiiiiin, Jeanine ! t’es encore à côté comme d’hab ! on t’a pas dit qu’il fallait être incarnée, là ? il est où ton « vivre et écrire en rut » ?? tu nous fais chier avec tes niaiseries sentimentales ! on a dit de la po-é-sie, nom de Dieu ! C’est pas compliqué, meeeerdeu !
Allez, j’vous fais un p’tit haiku des maisons :
Passé midi l’est pas trop tard
Pour s’envoyer un p’tit ricard !
l’après midi,
qu’est-ce qu’est permis ?
Ben pardi !
Un p’tit whisky !
Parfois, quand je t’entends
Je regrette le bruit du vent…
Toi, tu la fermes
Ca suffit ces balivernes !
J’aurais mieux fait d’écouter ma mère
Que de me j’ter dans cette galère…
La poésie c’est du son
Qui fait sens
Et quand je dis sens
Il s’agit sans doute de
La signification
Mais aussi et surtout des
Sens, sensations, sensorialité
(L’ivre d’images, le cherche midi, 2002)
Le poète est un bandit qui cultive ses barreaux.
*
Le poète est le fou le plus proche de la réalité.
*
Quand on ne sait si c’est du lard ou du cochon : c’est de l’art.
*
Quand il est question de vers, Verlaine arrive aux lèvres. Verlaine.
*
Je ne sais pas parler de poésie. En revanche je sais en faire, et encore c’est beaucoup dire. mais enfin. La poésie c’est du foot. Son but, c’est de marquer des mots dans les filets de ton âme. Bref la poésie, c’est le pied.
*
Le poète est un mystique à l’envers, en vers et contre tout.
*
etc…
(L’ivre d’images, le cherche midi, 2002)
MON MANIFESTE
Je ne suis pas un révolutionnaire, je suis un révolté.
Ma chanson embrasse trois zones bien précises : elle se situe entre la plume (angélique), la flèche (cupidon) et le colt sur la hanche hautaine et foudroyante du vocabulaire, sur ce revolver, véritable chef-d’oeuvre, dont la crosse de nacre me tourmente la paume.
A part ça, je suis un grand paumé, un petit paumé de la vie, de la vie qui ne m’a pas demandé mon avis sur la vie et qui, quand elle me le demande, quelle effrontée, n’a en réponse qu’un balbutiement de vieux gros bébé humanoïde inguérissable. In, dans, la guerre, sable de sang.
Les mots me gouvernent. Ils sont les prisonniers terribles de ma main. J’ai les doigts limés par eux. D’eux, les sacrés mots, les mots sacrés, dépend ma seule évasion possible. Mes mots connaissent les fruits lumineux du soleil, mes mots pressentent les ultimes clartés des nuits.
Et puis quoi ! et puis quoi !
Je suis un lyrique, un vai de vrai.
Chez le lyrique, le cerveau est le moindre des organes. L’organe, le seul, l’unique, c’est le corps, tout le corps. Quand j’écris, je veux que mon petit orteil gauche monte frétiller dans la rivière de mon âme.
(L’ivre d’images, le cherche midi, 2002)
Qui je suis, je ne le sais certainement pas, mais si vous voulez le savoir, je suis un primaire, un primitif, un archaïque profond. Je ne sais pas écrire, écrire comme tout un chacun, Malraux, Stendhal.
Non, j’ai vu les mots comme des cailloux intéressants. Comme j’étais forçat dans l’âme, je me suis mis à les casser ! Comme des oeufs ! Vous parlez d’une hommelette ! Oui c’est vrai, au je de mots, jeu m’y connais. Doué je suis. C’est de l’ordre de l’aimant et de la limaille. Je suis un élémentaire vous dis-je. Alors ? Qui suis-je encore ?
Un chanteur et quand je dis chanteur, j’en appelle à la Callas, à Billie Holiday, à King Cole, à Armstrong. Vous voix-yez, c’est pas de la baliverne.
Car si « écrire », c’est le comble du singulier, chanter c’est le comble du pluriel.
De là, ma hantise, mon horreur des salles noirsemées. Oui chanteur, chanteur d’un poème lyrique avec mon swing à moi, à nous plutôt, puisque le swing est une chaîne vivante qui m’enchaîne, à quoi ? A la liberté chérie.
(L’ivre d’images, le cherche midi, 2002)
Bon… Si Brassens est forcément membre d’honneur de notre néo-Parti Préhistorique (pour avoir initié l’idée), je propose que Nougaro (qui se clame « élémentaire,… primaire, primitif, archaïque profond ») soit lui aussi inscrit d’office (je le verrai bien en chaman). Pas d’objections ?
oui, mais admet qu’il se la pète un peu trop quand-même…ok pour qu’il soit membre inscrit d’office, mais pas chaman… je préférerais quelqu’un d’un peu plus… d’un peu moins… rouleur de mécaniques, moins concentré sur sa petite personne, aussi géniale soit-elle.
Tous les hommes préhistoriques, de toutes façons, ils se la pétaient, je crois !
(Déjà, pour fossiliser ses os afin qu’on reparle encore de nous des centaines de milliers d’années après notre mort, fallait pas se prendre pour le dernier des Néanderthaliens, non ?)
La vie n’est supportable que si on y introduit non pas de l’utopie mais de la poésie, c’est-à-dire de l’intensité, de la fête, de la joie, de la communion, du bonheur, de l’amour.
(Vers l’abîme ?, L’herne, 2007)
Brassens a effectivement fondé le parti préhistorique avec ses camarades Larue et Miramont (« Corne d’Aurochs »). Les trois hommes avaient la conviction que « le seul retour à la vie primitive doit pouvoir empêcher le monde de tomber dans la décadence ». J’avais écrit des choses dans les commentaires de ce blog à propos de ce parti préhistorique, mais je suis incapable de les retrouver. Il me semble que c’était il y a si longtemps, à une période … préhistorique.
Ca serait bien, hein ?, un moteur de recherche qui fonctionne aussi pour les commentaires !!! Steph, c’est vraiment pas possible ?
Il faut réenchanter le monde (1)
Mine attentive et sourcils froncés, l’homme au noeud papillon est silencieux. Rares monosyllabes ; soupirs et grognements tout au plus. Mais il y a quelque chose dans son visage qui aimerait indiquer, comment dire ?, une sorte de douleur. En fait, il se retient depuis le début du repas. Et voilà qu’un innocent a cru bon de se plaindre des modes d’emploi (six langues, petits caractères, explications faussement limpides, dessins réclamant le concours d’un assyriologue) des dernières merveilles du high tech. Il se gondole de bon coeur, le malheureux, et vlan, Noeud-Pap le coule brutalement en énonçant sombrement : « Vous avez raison : il faut réenchanter le monde » – puis se tait. L’assistance retient son souffle et attend la suite. Rien ne vient.
Vous retenez un peu charitable « Mais il parle ! » et décidez, dans un esprit de concorde qui vous honore, de recevoir ce qui est sans aucun doute la tarte à la crème du jour. Une tarte qui a le goût de l’affirmation consensuelle et informée, et renouvelle la gamme lexicale toujours réductrice de l’enchantement et du désenchantement. Profitez-en, elle est encore fraîche, mais pas pour très longtemps : le philosophe Bernard Stiegler et le sociologue Michel Maffesoli ont déjà publié sou scette bannière ; le MEDEF en a fait le thème d’une univerité d’été. Il faut se dépêcher d’y goûter.
Première bouchée : le monde a été enchanté. Les premières civilisations croyaient à la magie. Elles faisaient appel à des puissances irrationnelles. Le monde était plein de forces agissantes, de dieux, d’éclats mystérieux et de ténèbres. Les prêtres, sorciers, chamans et autres jeteurs de sorts jouaient les petits télégraphistes entre les dieux et nous. Monde magique, poétique, mythologique, ô combien romantique.
« Vous voulez dire qu’il n’y a plus de merveilleux ? demandez-vous avec candeur.
– C’est plus compliqué que ça », répond-il sombrement.
(…)
(Manuel de survie dans les dîners en ville, Seuil, 2007)
Il faut réenchanter le monde (2)
(…)
Deuxième bouchée : le monde a été désenchanté. Ce processus, appelé Entzauberung par le sociologue allemand Max Weber, et revisité par le philosophe français Marcel Gauchet, a commencé il y a bien longtemps. Dès que les fidèles ont refusé la magie, qualifiée de superstition, le désenchantement est arrivé. Les prophètes juifs ont d’abord bousculé le pouvoir des prêtres en allant élaborer une relation personnelle avec le Tout-Puissant. La magie n’était plus une technique de salut. Puis le mouvement s’est inexorablement emballé avec le protestantisme, au XVIe siècle, qui a mis à bas tous les sacrements traditionnels, manifestations sacrales du divin. Dès lors, seul comptait, notamment dans le calvinisme, le rapport individuel et solitaire à Dieu. Plus de prêtre pour vous absoudre, dispenser le rachat et l’espoir de grâce. Cette attitude spirituelle s’est étendue à tout l’univers humain. Max Weber a montré qu’elle a nourri l’esprit du capitalisme et fait progresser le rationnalisme dans le monde moderne.
En réalité, dans l’esprit de Marcel Gauchet, toute l’histoire du monde est celle d’un désenchantement, d’une sortie de la magie. Le christiannisme n’a servi que de sas d’évacuation. Religion la moins sacrale, la plus douce et la plus humaine, elle aurait débouché, à partir du XVIIIe siècle, sur une morale sans Dieu, une nouvelle religion des droits humains identifiée à la construction de l’idéal démocratique. Tout est lié : sécularisation et esprit démocratique, économie capitaliste et rationalisation du réel. L’homme, seul avec lui-même, n’avait plus qu’à se débrouiller, à construire, sans prêtres, princes ni magiciens, son propre avenir. Lourde tâche.
« Il faut revenir à la religion, alors ?
– C’est plus compliqué que ça. »
(…)
(Manuel de survie dans les dîners en ville, Seuil, 2007)
Il faut réenchanter le monde (3)
(…)
D’où une troisième bouchée de tarte à la crème : il faut réenchanter le monde, y saupoudrer un peu de magie. L’individu contemporain est arrivé au bout de son autonomie. A force de ne plus croire qu’en ses propres forces, il a détruit sa planète et ne supporte plus ses semblables. Il a la nostalgie des religions qui l’aidaient à penser et à vivre. Qu’il se tourne vers le bouddhisme, le jardinage, la lecture de Paolo Coelho ou du Da Vinci Code, il exprime un besoin de réenchantement. Il s’agira de réenchanter le monde sans revenir à la superstition ou au pur fanatisme.
« Mais alors, votre choix, c’est New Age ou (re)conversion ?
– C’est plus compliqué que ça. »
Comme disait Lewis Carroll, ce qui est dit trois fois est vrai. Rideau.
(Manuel de survie dans les dîners en ville, Seuil, 2007)
@Vincent : qui as dit que c’était pas possible ? certainement pas moi
C’est chose faite !
Wahou ! Trop fort !!!
(tu réagis presque aussi vite que « Métalleux » )
Du coup, Bernard, on retrouve cette histoire de Parti Préhistorique dans les commentaires de Discographie de Brassens (1) du 11/11/06.
Il y a entre autres ce lien (http://www.dialogus2.org/BRA/auroch.html) où l’on découvre que c’est Emile Miramont (« Corne d’auroch ») qui est à l’origine de ce parti (et que Brassens s’est pour un temps fait appeler « Oeil de mammouth »).
Merci la technique (quand la mémoire flanche) !
et un rôle de Chaman, Steph, ça te branche pas ? Chaman N’tic, ça sonne pas mal, non ?
Lewis Caroll : grandiose ce « ce qui est dit trois fois est vrai » !…
si je dis : « je suis une princesse, je suis une princesse, je suis une princesse », je suis une princesse ?
(ça me ferait tellement plaisir d’être une princesse…)
« Définisser la poésie. » A cette injonction, qu’il a reçue, dit-il, comme un « coup de poing, dont on a la vue, un instant, éblouie », Mallarmé avait répondu par cette formule, longtemps célèbre, mais oubliée :
La Poésie est l’expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence : elle doue ainsi d’authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle.
(Manifeste de la poésie vécue, Gallimard, 1995)
Dans quatre lignes de prose austère, traversées ici et là d’étonnantes lumières, comme des veines blanches dedans un marbre noir, Mallarmé se montre aux prises avec les souhaits d’une enfant, sa fille sans doute, enfiévrée par la proximité d’une fête foraine. Bien qu’il se décrive alors comme pris dans ses rêveries – et les rêveries d’un aussi puissant poète, cela n’était pas rien… – il écoute l’enfant et l’emmène, au plus loin de la littérature éternelle, vers les baraques et les manèges. Ce qui le fait céder – mais « céder » n’est pas le mot : en vérité, il n’hésite pas un instant – c’est la voix réjouie qu’il nomme ainsi : la voix claire d’aucun ennui. Je pense souvent à cette phrase minuscule. Je vis avec. Je n’ai jamais trouvé de plus fine définition de la présence, de l’amour et de la beauté. La voix claire d’aucun ennui : la poésie c’est suivre son coeur en allant à la fête.
(L’épuisement, Le temps qu’il fait, 1994)
Mallamé parle d »‘une poésie sobre. Dans le dessin,comme dans la musique, je préfère aussi la sobriété du trait : le trait unique, la note juste – ou fausse, mais « juste »…
Dans les mots, c’ets plus difficile.
Finalement, le problème avec lapoésie, c’ets bien qu’il s’agisse d’une « expression ». Ce qui est poétique, en fait, ne nécessite aucune intervention humaine. La poésie c’est une essence de mystère.
Ça manque un peu de contradiction, tout ça.
Y’a pas quelqu’un qui pourrait être « contre la poésie » ? Ça doit bien exister (c’est louche, sinon, un sujet qui fait l’unanimité).
La poésie (…) est historiquement morte, c’est pour ça qu’elle se multiplie, qu’elle se dissémine sur la planète. Comme le théâtre. Comme la danse. Comme la totalité des arts dits plastiques. Comme la pornographie. Comme les « luttes » de libération sociétales. Comme bien d’autres choses qui ont accompli dialectiquement leur cycle et que nous venons de voir justement se récapituler et s’accumuler et déflagrer sur tant de scènes.
*
La poésie gagne en surface ce qu’elle a perdu en signification. Comme elle a perdu toute signification, elle doit être sur toutes les surfaces, sur tous les murs. Depuis que la poésie est sortie du poème, on la retrouve partout. Tout le monde est poète. Tout le monde a droit à la poésie. Tout le monde fait ou a droit de faire de la création, et cette prolifération d’armes de création massive, cette explosion effrayante de culture, ce lyrisme dans tous les coins, cette graphomanie, cette accumulation infernale de « spectacle vivant », ce nouveau développement insensé du quantitatif lyrique d’où la disparition de toute qualité ne fait même plus peur à personne, cette haine au fond de la poésie et de ce qu’elle a pu être malgré tout, sont mes cibles principales.
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La poésie n’est plus nullement une alternative à la sorte de monde où nous vivons (les autres arts non plus, à l’exception de la littérature qui n’a pas son sens en elle-même mais dans les significations qui se dégagent d’elle). Elle l’a peut-être été, mais elle ne l’est plus. Elle ne fait même plus illusion comme contre-monde. Elle s’identifie su parfaitement à celui-ci que taper sur l’une c’est taper sur l’autre.
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La poésie, ou ce qui en reste, accompagne très efficacement l’infantilisation générale du temps. La civilisation est en train de redevenir, si je puis dire, néoténique (la néoténie, c’est cet état de prématuration du petit d’homme qui, à l’opposé de ce qui se passe chez le primate non humain rapidement adapté à son milieu, nécessite des soins maternels longs et attentifs), et la poésie, en tant qu’expression idéale du principe de plaisir, est sa décoration quasi naturelle.
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L’état poétique, pour le résumer d’un mot, c’est essentiellement la croyance que la phrase qu’on trace a une beauté et une force par elle-même (à l’inverse de la prose, notamment romanesque, où la beauté des phrases est inséparable des situations que celles-ci déroulent).
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La poésie se répand sur la planète, elle la recouvre sous le nom de culture et il n’y a personne, jamais, absolument personne pour se demander si cette culture est bonne ou mauvaise. Pour employer la somptueuse langue de notre temps, ni la poésie ni la culture ne font débat. La poésie et la culture sont même considérées, chose incroyable, comme le dernier espoir de salut de l’humanité, comme son dernier rempart contre la barbarie (elle est bien gardée, dans ces conditions, l’humanité). Que certaines choses que notre société considère comme son indispensable parure, comme ce qui la rend la plus belle pour aller au bal des vampires de l’avenir, devrait inquiéter les souteneurs les plus effrénés de cette société (ou de l’autre société qui est possible, comme on sait, mais c’est la même). Ce n’est pas de très bon augure quand quelque chose ne fait pas débat.
(Festivus festivus, Conversations avec Elisabeth Lévy, Fayard, 2005)
La poésie des poètes est, depuis toujours, mais aujourd’hui plus que jamais, une conspiration contre l’intérêt que peut présenter la vie. Et même quand il s’agit de mener de cette dernière la critique la plus horrifiée, la vie garde un intérêt ; mais pas la poésie, en ce qu’elle n’a jamais pour but que de rendre la vie inintelligible, donc incriticable aussi. Ses simagrées sont un complot permanent au service de la non-compréhension des infinies subtilités que contient notre temps présent, pourtant si grossier également (mais insaisissable aussi, dans sa grosièreté, par la poésie des poètes). D’une certaine manière, parce qu’elle ne fait chanter l’absence de l’irréductible, la disparition du non, la perte du négatif et de l’inimitié, ainsi que la dictature de l’infâme spontanéité et de l’authenticité qui ont toujours raison, la poésie des poètes est la fin de l’Histoire toujours déjà là ; et l’accord parfait avec ce qui est maintenant ou avec ce qui vient.
(Minimum respect, Les Belles lettres, 2003)
Hölderlin ayant écrit, dans une lettre de janvier 1799 à sa mère, qu’écrire des poèmes est l’« occupation la plus innocente de toutes », Heidegger en a déduit une série d’apophtegmes que ce manifeste a pour but, entre autres, de contester de la manière la plus radicale. Les voici : 1) « la poésie se manifeste sous la forme discrète du jeu » ; 2) « ce jeu échappe par là au sérieux de la décision, laquelle engage (schuldig macht) toujours d’une façon ou d’une autre » ; 3) « poématiser est par conséquent parfaitement inoffensif. C’est en même temps inefficace, car cela reste un simple parler et discourir : cela n’a rien de commun avec l’action qui mord immédiatement sur le réel et le transforme » ; 4) « la poésie est comme un rêve, ce n’est pas une réalité, ce n’est pas, répète Heidegger, le sérieux d’une action ». Donc, comme le dit n’importe quel père bourgeois ou prolétaire, le poète ne ferait donc jamais que rêver. Mais il n’a pas fallu attendre Heidegger pour entendre la banale rengaine, qu’il reprend lui-même, selon laquelle la « poésie est inoffensive et inefficace ». Tout jeune poète, « aspirant à la gloire » a entendu ça, consterné ou révolté, aux tristes tables familiales.
(Manifeste de la poésie vécue, Gallimard, 1995)
Un poète n’a pas une obligation d’écriture. Il n’a qu’une obligation de regard. « Le monde, dit encore Giacometti, est bien un sphinx devant lequel nous nous tenons, un sphinx qui se tient continuellement devant nous et que nous interrogeons. »
Le regard est cette interrogation inlassable, qui met en contact l’appréhension que nous avons du monde avec le monde lui-même. Je le répète, avec l’obstination de celui qui n’en a jamais trop vu : une révolution permanente du regard est la condition de la réalisation du la poésie dans la vie. Comme je répète après Duchamp, mais en ajoutant quelque chose à Duchamp : ce sont les regardeurs qui font les tableaux, mais c’est l’ensemble des réalités matérielles qui fait les regardeurs, non l’inverse. Nous sommes construits par l’architecture de la ville, des routes, des paysages, de tout ce que Rimbaud appelait les vues – les Vénitiens les vedute. Nous circulons dans notre pensée selon des plans conçus depuis des millénaires par d’autres. Certains de ces plans sont devenus des cités, des provinces, des nations, des civilisations entière. Regarder le monde tel qu’il est, c’est, à travers la grille de tous ces plans superposés, devenir une libellule invisible dans tous les lieux que nous traversons (…).
(Manifeste de la poésie vécue, Gallimard, 1995)
J’ai bientôt quarante ans Nella
je ne sais ce qui me reste
à vivre ou plutôt à jouer
Franchement quelle importance
L’étendue de lumière
entre un matin et entre un soir
est déjà bien trop grande
pour qu’on puisse la remplir
comme il faudrait
Je ris je parle je marche
je regarde surtout
les gens les bêtes les choses
une salamandre jaune et noire
sur un chemin goudronné
Prenons cet exemple
Prenons cette salamandre
dans le creux de la main
Elle n’en bougera pas
pétrifiée de crainte
Je pourrais contempler
ce jaune ce noir cette vie fiévreuse
suspendue à un rien
pendant des heures et des heures
et la somme de ces heures
ferait je vous l’assure
une journée bienheureuse
Dans mes promenades j’emmène souvent
un livre de préférence plusieurs
de belles encres
pour aller avec les beaux arbres
et chaque fois je ne lis rien
pas même des poèmes
D’ailleurs je dois vous dire
que la lecture de poèmes
très vite me fatigue
Les mots cognent sous mes tempes
C’est que la poésie
est une vie trop dense
comme un alcool trop fort
qui brûle le crâne
Cela ne vient pas de la poésie
mais de moi
Je ne peux vivre de vraie vie
qu’un instant pas plus
On dit que nul ne peut voir Dieu
sans aussitôt mourir
Moi je crois qu’une seconde
de vie pure
non tempérée non diluée
nous éclaterait le cœur
et que nous ne pourrions la supporter
C’est peut-être quelque chose comme cela
qui arrive
dans la beauté la poésie l’amour
Nous sommes pris soulevés
dans une main de feu
qui heureusement nous repose
sur nos chemins habituels
de salamandres
Ne reste plus qu’à filer
dans les fossés les sous-bois
où le danger est moins grand
et l’amour plus lointain
(La vie passante, Fata Morgana, 1990)
Ce texte (que je trouve magnifique) de Bobin – comme toute son oeuvre d’ailleurs – me semble une parfaite illustration de la définition de la poésie par Fernando Pessoa : « La poésie est stupeur, admiration, comme un être tombé des cieux prenant pleine conscience pendant sa chute et s’étonnant de toutes choses. »
Après, je suis d’accord (aussi) avec les soit-disant contradicteurs : il ne s’agit pas de passer son temps à s’extasier (d’ailleurs Bobin le dit bien, on ne peut pas le « tenir » bien longemps) ou se souvenir de la chute. De toutes façons, on n’a pas le choix : tombés sur terre, il nous faut bien relever les manches et plonger les mains dedans. Mais « rêvasser » (pour le dire péjorativement) n’a jamais empêcher le jardinier de faire correctement son travail. Bien au contraire !
N’est-ce pas Bernard ?
La meilleure définition de l’art que j’ai pu trouver (je me souviens – à l’époque épistolaire – avoir creusé la question une année durant avec quelqu’un qui traîne parfois par ici) est celle donnée par la fable qu’évoquait l’acteur-réalisateur Roberto Bénigni dans une interview de Télérama. Je cite de mémoire :
Dix hommes tentent de porter un tronc d’arbre et n’y parviennent pas. Trop lourd. Soudain, un d’eux à l’idée saugrenue de monter dessus et de chanter. Cela redonne du coeur à l’ouvrage des neuf autres qui, du coup, parviennent à soulever la grume et la transporter, en rythme, jusqu’au village. »
Tout ça pour dire que l’art n’est pas une bulle qui permet d’échapper au réel (les ermites et autres ascètes « puristes » le fuient d’ailleurs plus qu’ils ne l’utilisent), mais au contraire un moyen de s’y engager davantage.
J’ai pour ma part, l’impression que tant qu’on cherche à trouver une quelconque utilité à l’art, on creuse la tombe où il s’ensevelit inexorablement. L’esprit utilitariste qui caractérise notre mode d’être et notre rapport au monde, c’est en définitive ce qui nous rend imperméable à l’art (et à toute poésie) et qui nous empêche d’en comprendre le sens profond. Je me sens aussi bien concerné par ce problème dans la mesure où je cède trop souvent à la tentation de trouver cette hypothétique utilité. Mais je sais aussi que c’est en y renonçant que j’ai le plus de chance de me rapprocher de sa présence et d’entrer dans sa réalité vivante. Mais ceci semble trop souvent inaccessible compte tenu de notre mentalité moderne. Disons alors que je me le suggère comme discipline pour m’approcher d’un art dont je conserve l’intuition.
Magnifiquement dit, Isidore.
L’art, la poésie, en quelque sorte, c’est le gratuit, c’est bien ça ? Et qui ne s’échange pas (ni contre du sens, de l’argent, ou je ne sais quoi) ?
OK pour dire que c’est le gratuit, Vincent, à condition que ceci signifie qu’il ne peut s’assujetir aux lois de l’activité marchandes pour exister, et que même qu’ il disparaît dès lors qu’il accepte de s’y soumettre.
Mais pas d’accord si c’est pour signifier que ceux qui y consacrent leurs forces et leur existence doivent le faire sans jamais rien recevoir en échange pour leur subsistance matérielle, gratuitement en somme.
Car ceci repose sur une confusion produite justement par notre mentalité utilitariste, et qui consiste à penser que tout, dans l’activité humaine est régie par la loi de l’utilité et donc de la valeur marchande et donc de l’échange possible: l’idée de la marchandisation possible de tout ce qui existe. Dans la mesure où on peut effectivement inventer une utilité quelconque à n’importe quoi, (quelque soit d’ailleurs l’absurdité de la démarche -à quoi sert l’amour? à quoi sert la beauté?…etc – compte tenu de la place effective de cette utilité à l’intérieur de la signification essentielle de la chose désignée) , on admet, dans ce processus banal de marchandisation issu de notre mentalité utilitariste, de tout considérer sous son aspect utilitaire quelque soit l’absurdité de la chose, et d’exiger peu à peu qu’il se transforme en rendant cette qualité utilitaire de plus en plus visible et en l’établissant comme nouvelle norme de son existence.
Et ce qui est véritablement utile pour tout ce qui concerne l’art, c’est uniquement que des artistes puissent faire leur travail et donc qu’ils aient les moyens matériels de vivre sans être forcément assujétis à cette mentalité utilitariste qui voudrait les obliger à fabriquer des objets utiles (donc vendables). Mais bon, là, je rêve…
Lorsque je passe toute une soirée à jouer de la musique gratuitement, pour le plaisir partagé, et que, ce faisant j’ai vraiment le sentiment d’être dans ma fonction réelle en rapport avec l’art, justement en dehors de cet utilitarisme marchand qui gache trop souvent la simplicité à laquelle on aspire lorsqu’on partage ces moments de convivialité si « utiles » pour la vie collective et l’existence tout court, est’il si absurde de souhaiter, en même temps, pouvoir gagner ma croûte pour le travail quotidien que cela exige, comme tout un chacun dans sa profession?
Et en même temps, lorsque ma profession, telle qu’on la reconnait aujourd’hui dans une fonction utilitaire qui n’a finalement plus grand chose à voir avec cette simple fonction de l’art que mon activité gratuite me révèle, m’oblige à devenir chef d’une entreprise de production de spectacles tous plus ou moins bien conformes au format de « ce qui se vendra bien », « qui correspond aux goût du consommateur », « qui est tendance », tu comprendras ma perplexité et mes interrogations sur cette consternante mascarade de la culture actuelle.
aïe isidore, là je tique , je tique, j’en finis plus de tiquer !… tu te rends quand-même bien compte qu’une très grande proportion de la population pourrait prétendre au plaisir de pratiquer un art; il se trouve que la majorité d’entre nous est confrontée à la nécessité de « gagner » de l’argent, et donc de s’assujettir à la mentalité utilitariste…
En quoi les « artistes » dont tu parles peuvent-il plus justement prétendre au droit d’être payé pour pratiquer leur art ? Et d’où viendrait l’argent utilisé pour les payer, sinon du fruit du travail des pauvres sujets asservis à cette mentalité utilitariste ?
L’adéquation à trouver entre la nécessité pour l’artiste de vivre décemment et le refus de l’art de rentrer dans un processus de marchandisation est difficile à trouver dans notre société moderne. Ce débat me semble être crucial mais j’ai du mal à entrevoir l’ombre d’une esquisse d’une solution.
La notion même d’artiste est difficile à définir aujourd’hui. Elle me semble différente de la définition qui prévalait il y a plusieurs siècles. Il me semble qu’à l’époque était artiste celui qui procédait au renouveau du langage artitistique. Ou au renouvellement de la pensée car ce débat ne concerne pas seulement l’art, il est beaucoup plus général à mon sens. Aujourd’hui, le public a le sentiment – vrai ou faux – que tout ou presque a déjà été dit. Les sentiments humains d’aujourd’hui étaient les mêmes à l’époque de Corneille. Les philosphes d’il y a deux mille ans avaient déjà presque tout dit. Les formes musicales évoluent très peu actuellement, on n’invente pas tous les jours quelque chose qui va remplacer le jazz ou le rock. Beaucoup de choses tournent en rond actuellement, dans l’attente de nouvelles formes qui tardent à arriver. Le public a donc tendance, plutôt que d’attendre un langage nouveau improbable ou qui ne viendra que tardivement, à se tourner vers des choses du passé qui lui semblent être des « valeurs sures ». C’est dommage. Dommage pour la création d’aujourd’hui surtout car l’adéquation entre l’offre et la demande devient alors plus difficile, plus aléatoire. C’est vraiment dur d’être artiste aujourd’hui.
sauf que, pour moi, l’art, le sentiment artistique, et l’expression artistique n’ont rien à voir avec un public, ou un marché. ILs existent en eux-mêmes et par eux-mêmes, et en chacun de nous. Je ne vois pas pourquoi certains seraient autorisés à y donner libre cours, à longueur de journées, et pas d’autres… au nom de quoi ? Et par pitié, ne me répondez pas au nom de la reconnaissance d’un talent. L’art n’est aps nécessairement le beau; quant au beau lui-même, il est changeant.
en tous cas, Bernard est revenu dans la conversation ! ouaiiiiiiiiiiis !
La question n’est pas de savoir pourquoi certains seraient autorisés à donner libre cours à leur velleité pour l’art , et pas d’autres, mais plutôt comment ceux qui s’y donnent parviennent à le faire malgré tout? Car j’ai franchement l’impression, Oups, que tu imagines que certains s’octroient le luxe de s’extraire de la nécessité de bosser qui incombe à tous, pour prendre leur pied à faire ce que chacun aimerait bien faire s’il avait le loisir de ne pas gagner sa vie: faire de l’art. Là, on marche sur la tête, car, vois-tu, je n’ai pas encore le loisir de vivre de mes rentes et, comme toi, je suis bien obligé de faire face aux nécessités de l’existence. La seule différence, et ceci peut donner la mesure de ce que coûte dans le vie réelle le choix d’une activité artistique, c’est que malgré cette impossibilité notoire et bien, comme nombre de ceux qui choisissent cette vie, je le fais quand même coûte que coûte. Ceci signifie en clair: pas de sécurité financière; pas de retraite pour l’avenir; la débrouille au quotidien etc…
Oh, je ne m’en plains pas car c’est le prix à payer pour ce choix, mais n’imagine pas un seul instant que faire de l’art est un luxe de nantis ou de dilettante. Je te propose même de tenter l’aventure puisque tu sembles très sensible à la chose. Je crois que c’est seulement le fait de prendre ce risque et d’y engager sa vie d’une façon ou de l’autre qui fait la différence entre ceux qui font de l’art et ceux qui n’en font pas, et non pas quelqu’autorisation extérieure car elle n’existe pas, bien au contraire.
Avec la confusion ambiante qui règne aujourd’hui, je déplore aussi infiniment que ce que je dis là peut être interprété comme un assentiment au fossé que notre conception de l’art a inventé entre les spécialistes de l’art, seuls légitimes autorisés à prévaloir des facultés artistiques, et les amateurs profanes qui ne peuvent prétendre du fait de leur déficience notoire bien connue, à une quelconque pratique artistique digne d’intérêt. Tu penses bien que je suis aussi révolté que toi de cette ineptie qui condamne au silence tant de sensibilités aspirant pourtant à leur expression légitime. Je ne crois pas effectivement que tout ceci soit d’abord une question de talent car je ne me sens guère favorisé en la matière; ni même une question de réussite ou d’échec car le second a de toute façon raison de la majorité de ceux qui tentent l’aventure; mais plutôt une question de faire ce qu’on sent avoir à faire, quoiqu’il arrive et à la gloire de la providence. J’ai l’impression qu’il existe un chemin où l’on peut s’en remettre uniquement à elle, à condition d’apprendre à en devenir jardinier, de la même manière que Bernard semble le faire si bien à l’égard de notre terre, une autre des filles de la providence. Il s’agit plutôt d’une conception de la vie qui me rend souvent beaucoup plus proches certaines personnes qui ne pratiquent nullement le même genre d’activité que la mienne, mais qui obeissent, dans la leur, à un même type de nécessité intérieure.
Je me demande si le statut d’artiste (avec tout ce qu’il implique) est compatible avec la logique démocratique actuelle.
Il me semble davantage ressortir de la logique aristocratique et être donc en quelque sorte voué à disparaître.
Aujourd’hui, tout le monde revendique le droit de pratiquer de l’art, et cela me semble non seulement normal, mais souhaitable. Je comprends tout à fait (et partage) la remarque d’Oups qui laisse entendre qu’être payé pour pratiquer un art est une forme de « privilège » qui est accordé (ou que s’accordent) quelques-uns… forcément au détriment des autres.
Je suis pour ma part prêt à militer (mais pour l’instant je suis seul à développer cette idée, donc j’ai peu d’impact… et de motivation) pour la revendication pour tout salarié d’un DROIT A UNE ANNEE (au moins) SABBAT-ARTISTIQUE, où il serait payé (avec une partie de l’argent qu’on retirerait aux intermittents) pour pratiquer à sa guise, et à son niveau de talent, l’art qui lui permettra de s’épanouir.
Avec l’autre partie de l’argent, on payerait les « spécialistes d’une technique artistique » qui seraient prêts à consacrer quelques heures pour encadrer des stages sabbat-artistiques.
Plus d’artistes payés (par l’Etat) pour être simplement artistes, donc.
Mais une possibilité tout de même, pour ceux qui ne souhaitent pas faire autre chose que peindre, chanter, danser, etc… d’en vivre (financièrement) à condition de jouer le jeu « solidaire » et de consacrer quelques heures à l’enseignement de leur savoir aux néophytes.
Ça ne va sûrement pas faire l’unanimité, mais il me semble que ça doit être « mis sur le tapis » !
Zut, je n’avais pas lu ton intervention, Isidore, au moment de poster la mienne. Je la lis seulement maintenant.
Admets que tu es rare dans ton cas, tout de même, Isidore.
La plupart des soit-disant « artistes » aujourd’hui, on en rencontre tous et tous les jours, n’ont pas ton intégrité, il faut le reconnaître.
Le statut de l’artiste, aujourd’hui, est avant tout « mort »… à cause des artistes (ou soit-disant tels) eux-mêmes, tu ne crois pas ?
Pour le dire « crument » (et sans flagornerie), de tous ceux que j’ai pu connaître, tu es – à mon sens – le seul (aujourd’hui vivant, on va dire ) qui n’est pas pétri de prétention et d’égocentrisme maladif (que les soit-disant artistes ont beau jeu de prétendre « cultiver » uniquement parce que c’est leur outil de travail, tu parles !!!)… et qui ne me donne pas l’impression de choisir cette voie « pour ne surtout pas entrer dans le monde (adulte) du travail » !
Tout à fait d’accord avec toi Vincent, mais précisons quand même que parmi les « privilégiés de l’art », il y en a une grande majorité qui ne sont ni intermitents (mon cas), ni ne touchent aucune rentes de qui que ce soit, ni ne dispose d’aucun statut privilégié (fonctionnaire, par exemple… par les temps qui courent if faut bien qu’ils prennent conscience aussi de leurs situation réelle en comparaison à celle si souvent précaires de tant d’autres statuts professionnels)… C’est juste pour faire un peu de mauvais esprit, rassure toi.
Zut et rezut! Je n’avais pas lu non plus ton dernier commentaire. Situe donc mon propos à la suite de ta précédente intervention. Merci.
Isidore,
De tous les « artistes » que j’ai pu fréquenter, aucun n’aurait persévéré dans les conditions que tu décris : ils sont bien plus intermittents qu’artistes, pour ceux du spectacle vivant. Quant aux autres, hormis la seule qu eje connaisse et qui soit capable d’en vivre sans demander une quelconque contribution au reste de la population active, ils trouvent pour certains absolument outrageux de devoir pionner 10 heures par semaine, ou enseigner qq heures en arts plastiques, pour pouvoir peindre le reste du temps. ILs trouvent qu’ils devraient bénéficier du même régime que les intermittents du spectacle. En gros, (désolée, hein, je campe un peu sur mes positions, même si j’ai bien compris que tu étais un cas à part), ils donnent à leur art une « valeur » (!) qui les place au-dessus d’une masse laborieuse qui, elle, doit contribuer à les aider à vivre. Et ça, je trouve ça absolument scandaleux.
IL est vrai aussi, que pour avoir travaillé plusieurs années dans une compagnie de spectacles, j’ai eu le loisir de voir comédiens et autres, arriver nonchalamment vers midi, le pétard au bec et en pyjama, à longueur d’années, puis errer, désoeuvrés, dans un bureau dans lequel nosu autres travaillions depuis 8h30 à engranger contrats et subventions et à organiser des tournées (que nous accompagnions également pour assurer et la régie générale et les relations avec les clients)… j’ai vu leur engagement artistique (et humain, surtout) fondre comme neige au soleil à mesure que s’accroissait leur taux d’intermittence; bref, j’ai vu la défense du confort acquis prendre le pas sur le feu de la création et sur la poésie (et je n’ose parler du don), et je suis partie, assez écoeurée.
Je trouve l’idée de Vincent assez intéressante, mais pas forcément sous cette forme… assez utopique aussi (pour une fois !).
Et je scande, furibonde : « Jeder Mensch ist ein Künstler ! »
Bon, moi je n’avais lu aucun de vos précédents commentaires (je touillais le légumes par intermittence, haha !).
isidore, parmi ces gens courageux qui ne vivent pas de rentes diverses :
1/ ont-il des enfanst à nourrir
2/ Ne bénéficient-ils pas du salaire de leur conjoint(e) (paske ça aussi, j’en ai vu un paquet !!! des femmes au moins aussi sensibles que leurs maris, reprendre un travail salarié pour faire bouillir la marmite pdt que petit mari tapait sur des tambours… ça me fait bouillir)
et sinon, Isidore, tu fais quoi (curieuuuuuse !) ?
Je ne pense pas être si rare que cela, mon amour propre dusse t’il en être un peu froissé, car je cottoie aussi nombre de gens que je considère comme de véritables artistes, qui posent les même questions, qui survivent plus ou moins dans cette grande confusion que tu dénonces aussi très bien, et qui, pour la plupart, sont de toute façon voués à échouer plus ou moins dignement l’aventure qu’ils ont rêvé de vivre. Mais il ne s’agit pas non plus de s’apitoyer sur les « malheureux artistes, pauvres incompris de la société », car ceci participe aussi à l’image d’épinal qui fait tant de tort à tout le monde, mais au contraire, de construire une pensée et une lucidité collective pour sortir de l’impasse où nous pataugeons lamentablement tous ensemble, pour notre malheur partagé. C’est tout un système qu’il nous faut repenser. N’en voulons pas à ceux qui ont aussi l’habileté d’en faire un profit personnel. Nous ne sommes pas des anges, que diable! J’ai aussi d’autres amis « artistes » qui luttent à l’intérieur du système en parvenant à garder leur intégrité. Je leur dis Chapeau! Car, ça, je n’en suis pas capable… J’m’énerve trop vite…Mais je reconnais ne pas en connaître beaucoup.
Entre nous, isidore, ce serait dommage que tu ne viennes pas dans la forêt à la fin du mois; J’aimerais bien te connaître !
Tiens, comme ça, au pif, quelqu’un qui toute l’année, midi et soir, « touille les légumes » (et développe souvent un talent bien plus créatif que nombre d’intermitents), pourquoi elle n’aurait pas, elle aussi, le fameux statut ? Et tout ceux, de façon générale, qui mettent de l’art (un surplus « gratuit ») dans ce qu’ils font ? Comment décider où commence et où s’arrête l’art, objectivement ?
Isidore parle plus haut de la « nécessité intérieure ». Je me demande s’il ne s’agit pas là du principal et même unique moteur de la création. Pas uniquement artistique mais aussi – et pourquoi pas – culinaire (comme le dit Vincent)…
« Ou commence et ou finit l’art » demande Vincent. Quand surgit et quand s’arrête ce besoin impétueux de faire sortir quelque chose de soi-même, non ?
Ta question, Vincent, stigmatise précisément la confusion où nous nous enferrons. Il n’y a pas, en effet, à décider où commence et où s’arrête l’art puisque là n’a jamais été le problème. L’art vit de multiples manières à travers des personnes qui sont ou ne sont pas, se prétendent ou ne se prétendent pas des artistes. Ceci ne fait aucun doute pour moi et je suis même certain que l’art est souvent mieux servi par des « non artistes » que par des artistes déclarés. Je ne doute pas une minute que Oups, en touillant ses légumes et en songeant à ses prochaines interventions sur le blogadupdup, tout en racontant des histoires presque vraies à une bande de marmots complètement estomaqués, les yeux en soucoupes volantes et scotchés devant sa marmite, nourrit à elle seule amplement la poésie de l’univers et mérite d’office une rente de la nation. Mais là n’est toujours pas le problème.
J’entends deux choses dans ce que vous dites :
Tout d’abord la légitime dénonciation des abus d’un système qui génère des profiteurs. Mais ceci concerne également tout ce qui est subventionné d’une façon ou d’une autre et pas particulièrement le spectacle vivant (l’enseignement, la recherche, l’agriculture, l’administration, etc…) et ceci pose une question d’ordre politique qui n’a pas grand chose à voir avec l’art et la poésie.
Ensuite, j’entends une autre légitime revendication à l’expression artistique pour chacun . Ok, je trouve cela très bien de tenter de se réapproprier ce que la culture contemporaine a voulu confisquer. Mais il s’agit encore d’une question politique et ça ne concerne pas du tout les questions propre à la création artistique.
Elles commencent à se poser uniquement dès lors que tu décides ou pas de faire de cette activité artistique, le centre de ton existence; car il s’agit bien d’une décision qui engage obligatoirement nombre de choses.
Effectivement on peut alors être un opportuniste et profiter illégitimement de conquêtes d’anciens artistes qui ayant trop souffert de la précarité se sont battus pour instituer un statut plus honorable avec des aides de la nation pour financer un service quand même reconnu et apprécié (de la même façon que d’autres services « non productifs le sont aussi). Il est alors tout à fait juste de dénoncer les abus de profiteurs de tout poil et de faire remarquer avec pertes et fracas leur imposture et le mauvais service qu’ils rendent à l’art et aux véritables artistes. Je situe là la véhémence légitime de vos critiques et je les approuve. Mais on peut aussi jouer honnêtement le jeu et bénéficier ainsi d’une véritable aide à la création.
Pourtant là, on n’aura encore fait que dénoncer les abus d’un système plus général qui utilise aussi l’art à des fins pas forcément très artistiques. Et la question pour ceux qui font le choix d’engager leur vie dans l’art reste entière.
Ils sont confrontés à la révolte et au mépris de ceux qui dénoncent tous les profiteurs de la manne publique, qui tentent se la couler douce en bon parasites de la société. Ce sont d’ailleurs rarement eux-même qui bénéficient des conquêtes de leurs aînés, les profiteurs professionnels étant beaucoup mieux armés pour les évincer et prendre leurs places.
Ils sont d’autre part confrontés aux confusions qui sont savamment entretenues entre l’art et le divertissement, entre la création d’une oeuvre et la production de spectacles de divertissement (l’une et l’autre ayant chacune sa place légitime dans la vie de la cité et étant parfaitement respectable à condition de savoir les distinguer et ne pas les soumettre aux mêmes impératifs car elle ne sont pas de même nature et ne poursuivent pas les mêmes fins)
Ils n’ont plus qu’à faire le constat du peu de place mis à leur disposition pour faire quand même ce qu’ils sentent avoir à faire et se disent, puisque depuis que le monde est monde il en a finalement toujours été ainsi, que ceci participe à l’austérité d’un choix qu’ils ont voulu faire, et que sans doute, rien ne peut naître de valable en la matière d’art en dehors de ces conditions un peu rudes. Mais on appelle ça aussi de la résignation et ça ne marche pas non plus. Moralité: pas de recettes miracles mais beaucoup d’imagination…et surtout se faire à l’idée du désastre…ça rend philosophe parfois…
Sarah qui teste notre COMPTABILITE amoureuse en ligne…. Ben mince alors :silly:
vous allez TOUS m’en vouloir mais, à vous lire , tous, il ne me revient que cette citation de shakespeare : words, words words » ce que je traduis par « je cause, donc , je suis « donc, j’analyse, donc je suis intelligent »même si ça parait creux
toutes mes excuses à ceux que je vexe : il y en a surement plein.on se fait plaisir comme on peut ! je parle donc je suis…non, pardon, j’écris…
j’apporte de l’eau à votre moulin…
Pas tout compris. Si ce n’est que c’était un temps où ça discutaillait fort …
En attendant, voici une vidéo de Léo Ferré : « Words, words, words » :
il n’y avait rien à comprendre, sauf que je suis qqun de « simple » qui vit au quotidien et ne se perd pas en considérations métaphysiques..
j’ai été instruite à shakespeare, milton…, et la philosophie anglaise ne se perdait pas en des discussions et réflexions philosophiques, comme les français et/ou les allemands : trop pragmatiques pour ça….c’est pour ça que je reste » au ras des pâquerettes »…et dans le concret…
OK.
Tu faisais spécialement allusion à cet article qui est déjà ancien ?
Parce qu’en général, on ne philosophe pas trop sur ce blog (et j’en serais d’ailleurs incapable).
oh mais si : on discute et réfléchis bcp ici : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? perso, je suis viscéralement opposée à ce qui peut montrer trop d’érudition et de trop de lectures, c-a-dire de réflexion de journalistes payés pour « pondre ».
pas ma faute : j’ai fait des stages de lecture rapide et de notes de synthèse : il m’en est resté des choses et des résultats (positifs :)) ) la lecture en diagonale, ça fait survoler pas mal de choses même si on n’assimile pas tout…
mais non, bernard, on ne philosophe pas trop sur ce blog ….je me fais mes propres réflexions et parfois je lis, oui, oui, ce que vous écrivez…il n’y a que le côté : tout le monde il est beau …et pas de pitié pour les victimes…mais pour les tueurs récdivites qui ont dû souffrir dans leur enfance ….donc, c’est pas leur faute….et m…pour les vistimes, torturées, tuées et leurs familles. en attendant leur prochaine et inévitable récidive.
je ne suis pas pour l’angélisme (donc pas de gauche !!!!).
voilà
ne me haissez pas trop…
c’est cette grisaille qui me déprime mais n’influe pas sur mon :je pense, donc je suis :
a plus.