Quelques mois après Rostropovitch, un autre Grand de la musique s’éteint : Luciano Pavarotti. Un timbre extraordinaire. Reconnaissable entre mille. Un ténor comme on en trouve difficilement un ou deux par siècle.
Tous les médias rendent hommage à l’artiste. Un hommage plus que mérité. Et France-Musiques s’en est donné à coeur joie, si j’ose dire.
C’est avec Pavarotti que j’ai découvert Verdi et il représente énormément pour moi. Mais j’aimerais apporter un petit bémol à l’unanimité des louanges. Pourquoi Pavarotti, un homme de cette trempe, s’est-il prêté à ce point à l’univers de starisation voulue par le système médiatique ? Et surtout, pourquoi est-il devenu si capricieux ?
Avait-il besoin, alors qu’il était reconnu comme « le » ténor de la deuxième moitié du XXème siècle, qu’on déroule devant lui, à chaque descente d’avion, un tapis rouge ? Pourquoi pousser le caprice au point d’exiger que l’on affrête un avion de victuailles pour le Japon où il allait donner un concert, oblige que l’on transforme une suite d’hôtel en cuisine et, au dernier moment, fasse jeter toutes les victuailles amenées par avion sous prétexte qu’il y avait un fameux restaurant italien à l’étage en dessous ? Aurait-il vraiment dû annuler certains concerts, pour des semblants de grippe, alors que les spectateurs américains avaient payé leurs places plusieurs milliers de dollars ?
Rappelons-nous l’âge d’or des voix de haute-contre. Les castrats, devenus les stars de l’époque, étaient devenus si capricieux et si gourmands en rémunération qu’ils se faisaient construire des châteaux. Les caprices de ces « pavarotti d’avant l’heure » ont sans doute précipité la fin de cette époque unique dans le monde de la musique, plus encore que des raisons d’éthique (la castration étant finalement relativement bien acceptée à cette époque).
J’aimerais que la mort de Pavarotti sonne le glas de la médiatisation outrancière de l’opéra. Mais les journalistes sont déjà, j’imagine, à la recherche d’un nouveau Pavarotti. Il ne peut en être autrement. Si je m’appelais Placido Domingo, je ferais gaffe !
« Pourquoi est-il devenu si capricieux ? », demandes-tu.
Pourquoi, lui qui montait si haut, est-il dans le même temps descendu si bas ?
Mais… parce que le monde fonctionne tout bonnement comme cela : le Bien et le Mal sont indissociables. A mesure que le premier s’accroît, se développe plus ou moins sourdement, en parallèle, son contraire. Les exemples illustrant cette hypothèse pullulent (développement de la médecine/accroissement des maladies incontrôlables ; développement de la démocratie et des droits de l’homme/accroissement du terrorisme ; etc.)
Faut-il s’en plaindre (car cela n’est pas conforme à notre désir) ou s’en réjouir (car cela rend l’existence passionnante) ? Je ne sais pas. Peut-être faut-il d’abord accepter de le penser : le monde n’est peut-être pas le parc d’abstraction (façon Disney) qu’on souhaiterait qu’il soit. Tout laisse à penser, en effet, si on regarde froidement les choses, que le Bien n’a pas grande chance de triompher à la fin.
Sur un autre plan, cela me fait penser à ma prof de chant, au conservatoire, qui m’expliquait que pour « gagner des notes en haut« , il fallait que j’en gagne d’abord « en bas ».
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-952501,0.html
(…)
L’opéra filmé mérite à lui seul un petit examen. Incompatibilité de la profondeur de champ et de la prise de son ; impossibilité de répondre à la question : pourquoi chantent-ils au lieu de parler ? ; nullité crasse des scanérios (un livret, à l’image, devient un scénario) ; bêtise des acteurs (un chanteur, à l’image, devient un acteur) ; inévitable obscénité des visages (glottes, langues, salives) ; incongruité des passages symphoniques ; impossibilité de filmer un ensemble (cinq ou six chanteurs dans un opéra de Mozart, par exemple) ; incapacité des techniciens à filmer en conditions de luminosité réduite ; absence de l’orchestre ; absence de rapport scène/salle. On me rétorquera qu’il n’y a pas de rapport scène/salle dans un film de cinéma. Certes. Mais un opéra a été conçu en fonction de ce rapport ; non pas un film. On me dira qu’il y a des ensembles dans les films de John Ford ! Certes. Mais un ensemble, dans Don Giovanni, est une réunion extrêmement complexe d’individualités, vocales, physiques et psychologiques : le spectateur voit à la fois plusieurs personnes distinctes et un groupe. La télévision, elle, doit choisir : groupe, ou individus. Etc.
(…)
(Jacques Drillon, Les écrits de l’image, n°1, 1993)
Je n’ai pas osé vous infliger l’article de Jacques Drillon en entier (ce n’est pourtant pas l’envie qui me manquait, il est à mon sens excellent). Il s’intitule La carpe et le lapin (La musique à la télévision) et se conclut ainsi :
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Mais le mieux serait de laisser la musique où elle est : chez soi ou dans les salles de concert ; de ne pas laisser croire aux spectateurs que, lorsqu’ils voient à l’écran un cuisinier réaliser la recette du pigeon farci, ils mangent du pigeon farci.
La télévision n’est capable que d’une chose : montrer des gens qui parlent. Choisissons-les avec grand soin, donnons-leur le temps de s’exprimer, et laissons-les parler. Et plutôt que de prétendre filmer un violoniste jouant le concerto de Tchaïkovsky, engageons Maria Casarès, et demandons-lui de dire des fables de La Fontaine.
S’il intéresse certains, il est dans le recueil de Drillon (le grammairien/critique musical du Nouvel Obs) intitulé De la musique édité en 98 chez Gallimard.
Sinon, je peux aussi le recopier ici, en entier ou en extraits.
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/opinions/3_questions_a/20070906.OBS3706/pavarotti_a_supplee_par_sa_voixa_toutes_ses_carences.html
Oups… Bernard, il semblerait que le lien que je propose ci-dessus à une adresse trop longue pour le format de ton blog et sabote toute ta mise en page. Si c’est le cas, n’hésite pas à le supprimer.