En allant à un stage de formation à Paris il y a une quinzaine de jours, j’ai croisé dans le train l’une de mes anciennes connaissances d’il y a trente ans : Marc R. Nous étions tous deux à l’université ensemble, je me rappelle juste qu’à l’époque il était parti faire son DEA à Lille dans sa région d’origine. Et je n’avais plus entendu parler de lui.
Nos retrouvailles se sont faites autour d’un café à 7 heures du matin, au bar du TGV. Nous avons papoté pendant plus d’une heure de temps et avons beaucoup parlé de musique, Marc est un passionné de musique soul et c’est un très grand connaisseur de la musique d’Otis Redding, de Wilson Pickett et surtout de Sam Cooke. Comme le disque live de Sam Cooke enregistré en 1963 est l’un de mes disques préférés, toutes musiques confondues, nous avons vite été en pays de connaissance.
Mais nous avons aussi beaucoup parlé d’oiseaux. Car Marc, après son départ de la fac de Besançon, avait eu la chance de faire un DEA puis une thèse dirigée conjointement par deux grands bonhommes du monde ornitho : Frochot & Blondel, puis d’être embauché au Muséum d’Histoire Naturelle à Paris. Depuis vingt cinq ans, Marc travaille sur des tas de missions internationales et se déplace aux quatre coins de la planète (ça le gonfle parfois, car à plus de cinquante ans, il commence d’en avoir un peu marre des hôtels et des voyages et aspire à être un peu plus auprès de sa famille).
L’an passé, Marc a travaillé sur un projet étonnant. Avec une équipe de chercheurs danois, suédois et allemands, il a consacré son temps à une nouvelle espèce d’hirondelle, découverte il y a deux ans, en Ukraine. Cette hirondelle a été appelée Delichon macularia (traduction littérale en français : hirondelle grivelée). Très vite, une polémique a vu le jour, car cette hirondelle est apparue au sud-ouest de la centrale de Khmelnytskyi, dans une zone où le taux de radioactivité est très supérieur aux normales admises (voir l’article danse macabre autour d’un sarcophage du 10 mai dernier que j’avais d’ailleurs consacré aux fuites des centrales ukrainiennes). La possibilité que cette hirondelle ait pu apparaître à la suite d’une mutation sous l’effet des radiations a été prise très au sérieux par les scientifiques. D’abord, parce que mis à part l’aspect « grivelé » du poitrail, cette hirondelle ressemble étrangement, pour les autres caractères, à l’hirondelle de fenêtre. Et ensuite parce qu’il est peu probable qu’une espèce d’hirondelle ait pu être ignorée par l’Homme pendant des millénaires. Cette hirondelle ne pouvait donc qu’être apparue récemment.
Mais cette hypothèse de mutation pour cause de radioactivité a été abandonnée par les autres chercheurs. Marc enrage car il est persuadé que les autres chercheurs se sont laissés graisser la patte par les autorités ukrainiennes. Depuis des mois, lui qui croyait tenir un véritable « scoop », ne décolère pas. Officiellement donc, cette hirondelle grivelée (qui va faire l’objet d’une publication scientifique en mai prochain) existe depuis fort longtemps mais vient seulement d’être découverte par l’Homme. Il s’agit donc d’une espèce endémique (très localisée) dont les effectifs sont extrêmement faibles (92 couples seulement).
La polémique est donc close. Sauf que Marc a entendu dire qu’une habitante de Clansayes, en France, avait chez elle une colonie d’hirondelles de fenêtre et que trois d’entre elles avaient le poitrail grivelé. Et ce village de Clansayes est situé … à 3 km seulement de la centrale nucléaire du Tricastin (vallée du Rhône), qui a déjà eu de sérieux problèmes de fuites. Marc a appris ça en novembre dernier, après son retour en France, à une époque où les hirondelles étaient déjà parties pour l’Afrique. Il n’a donc pas pu encore vérifier ce fait troublant.
Le 14 mars dernier, dans ce TGV Besançon-Paris, il y avait donc un homme tout excité dans l’attente du retour imminent des hirondelles.
Conclusion logique : déplaçons les sociétés d’OGM vers les centrales nucléaires et construisons-les même exactement là où il y a des fuites ! Agrandissons-les même ! (Pour les aider, bien sûr)
Et des poissons volants grivelés, on n’en voit pas par chez toi ?
Je suppose que tu vas rester, Bernard, en contact avec Marc. Et que tu nous tiendras au courant des éventuelles avancées de ses recherches.
La conclusion de ton article laisse penser qu’il ne va pas abandonner comme ça.
Mais s’il va à Clansayes, il le fera sans être missionné ?
Si les autorités ukrainiennes sont capables d’étouffer l’affaire, qu’en est-il des autorités françaises ? Vu la bio de Sarkozy, s’il est élu demain, aucune chance de connaître un jour la vérité sur le sujet !
Je cherche depuis tout à l’heure, mais sans le retrouver, le terme qui qualifie les espèces qui retournent sur leur lieu de naissance… Il me semble que c’est le cas des hirondelles.
Sais-tu s’il existe d’autres soupçons d’espèces mutantes ou serait-ce une première ?
Je suis très curieuse d’en apprendre plus sur le sujet. Y compris sur les mécanismes qui vont faire que ces recherches vont être poursuivies ou abandonnées.
Les chercheurs danois, suédois, allemands et français pourraient accepter une conclusion à laquelle ils ne croient pas sous la seule pression des autorités ukrainiennes ? Qu’en pensent les autres chercheurs de cette étude ?
Il y a tellement d’intérêts en jeu que rien ne m’étonne. Beaucoup de chercheurs ont des contrats avec le privé et défendent donc les intérêts de ceux qui les payent. Je ne pense pas que les chercheurs qui bossent pour Monsanto par exemple soient en situation de dire ce qu’ils pensent réellement des OGM. Cela dit, c’est vrai que venant de chercheurs ornithos, c’est plus surprenant, ce retournement de veste. Mais peut-être aussi que ces chercheurs n’étaient pas vraiment sûrs de leur hypothèse et qu’il ne fallait pas grand chose pour les faire basculer d’un côté ou de l’autre.
Voilà enfin la réponse à cette drôle d’observation effectuée sur la commune de Volgelsheim, à deux pas de Neuf-Brisach, à l’est de Colmar et au bord du Rhin.
En ce début d’avril 1989, dans une grande troupe d’hirondelles rustiques qui chassaient au-dessus d’un lambeau de forêt alluviale volaient quelques hirondelles de fenêtre, et parmi elles un oiseau qui « tirait l’oeil » : poitrine nettement tachetée.
Ayant interrogé la communauté ornithologique, impossible d’en savoir plus ni même de coller un nom à cet oiseau : aucune des espèces du genre Delichon n’est ainsi grivelée (jugez-en dans l’excellent lien http://www.bsc-eoc.org/avibase/avibase.jsp?lang=EN&pg=summary)
Encore débutant (je le suis toujours), j’avais rangé honteusement cette drôle d’observation.
Grâce au nouvel éclairage donné par cette information, il est désormais à peu près certain que cette hirondelle a pu être touchée par des radiations provenant de la proche centrale de Fessenheim.
Il paraît aussi que l’irradié de Forbach était fortement grivelé…
Ce ne serait donc pas un canular ?
J’ai vu passer un mail sur cette affaire il y a quelques semaines. Je crois qu’il émanait de France Nature Environnement. L’article parlait aussi de mutations chez des insectes, des coccinelles je crois.
Merci Bernard pour cet article et pour ce blog que je découvre. Tu trouves où le temps d’écrire tout ça ? Préviens moi le jour où tu fais un article sur Cooke.
Je signale qu’il y a eu effectivement un petit article dans la lettre web de FNE + un entrefilet dans le numéro de Sauvage du mois de décembre. Mais ça ne semble pas intéresser du tout les journalistes.
Je pourrais avoir du nouveau sur ces hypothétiques hirondelles grivelées françaises dès cette semaine. Quelques hirondelles de fenêtre ont déjà regagné leurs nids à Bolène, pas très loin de Clansayes où je me rends mercredi pour une dizaine de jours. Je ne manquerai donc pas d’intervenir à nouveau sur ce blog.
J’ai vu passer également l’article de France Nature Environnement. Je crois qu’il parlait de chrysomèles et non de coccinelles, mais de toute façon, c’est deux familles de coléoptères assez proches.
Au fait Marc, t’aurais pas une photo des hirondelles grivelées ?
Incroyable cette histoire d’hirondelles grivelées qui ont réussi à s’introduire en France. Mais que faisait donc notre cher ministre de l’intérieur ?
La différence entre une chrysomèle et un morpion ?
La chrysomèle fait partie de la famille des coléoptères et le morpion fait partie de la famille des collés aux couilles, c’est bien ça ?
Même si certains disent qu’on peut rire de tout, j’aurais trouvé ce canular de mauvais goût.
Je suis ravie d’apprendre que Marc va nous tenir au courant directement sur ce blog. Dommage que le sujet soit si grave, je me serais amusée, sinon, de ce suspens.
Avec l’observation de Christophe en 89, les présomptions se font très fortes, non ?
Je suis extrêmement surprise que le sujet n’intéresse pas les journalistes (c’est ce que dit Marc). Attendent-ils d’avoir des éléments un peu plus tangibles ?
Je pense que les journalistes sont friands de ce genre de choses mais qu’ils attendent que l’enquête à Clansayes aboutisse.
Je viens d’écouter sur le site de France Culture l’émission Terre à terre qui avait été diffusée samedi matin de 7 h à 8 h. C’est une amie qui m’en a parlé après que je lui eus raconté l’histoire de l’hirondelle grivelée.
Le lien avec cet article est qu’il y est, entre autre, question de l’indépendance des scientifiques et du financement des études.
Ceux qui s’étaient intéressés au problème de la fameuse étude de Monsanto qui avait permis l’autorisation de la mise sur le marché français (et européen) du dernier maïs OGM devraient aller l’écouter : Gilles-Eric Séralini , professeur de biologie moléculaire et président du CRII-GEN (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique) explique les suites de cette affaire.
Comment une étude bâclée, financée par Monsanto lui-même , et dont les résultats ont été falsifiés a permis la mise sur le marché de ce maïs. Puis, comment des scientifiques indépendants se sont battus juridiquement pour obtenir l’étude en question, mettre en cause la méthode scientifique de celle-ci et démontrer que les résultats montraient des risques importants pour la santé, contrairement aux conclusions de l’étude.
D’accord, l’émission est un peu longue (presque 50 minutes) et il n’y a pas d’images, mais le type s’exprime de manière limpide et il est passionnant.
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/terre_a_terre/index.php?emission_id=40
Désolé, mais j’ai du mal à croire que ça n’est pas un canular du 1er avril.
Vous vous rendez compte si c’est vrai, les perspectives que ça ouvre ?
Le nucléaire comme facteur de création d’espèces ! Comme solution au problème de diminution de la biodiversité ! On croit rêver !
Est-ce vraiment les journalistes qui rechignent à diffuser ce genre d’info… ou les ornithos eux-mêmes (toujours potentiellement « écolos ») ?
(Y a rien à faire, le Réel aura toujours plus d’imagination que nous !!!!)
Bon… maintenant que j’ai confirmation que c’est bien un canular, je dois avouer que j’ai vu poindre l’angoisse (me retrouver « seul » à ne pas prendre la chose au sérieux), puis le doute (surtout quand ça continuait sur le même ton le lendemain)
Comme quoi… la vérité est une donnée plus « sociale » qu’on ne le croit ! (On tient pour « vraies » beaucoup de choses avant tout parce que tout le monde en fait autant autour de nous)
Ca y est ! Ils sont là ! Premiers Martinets aperçus dimanche 15/04 dans le ciel de Besançon ! Youpiiiiiiiiiii !!!