La scène se passe à Vesoul il y a une quinzaine de jours. Une automobiliste s’arrête, laisse le moteur allumé et file au bureau de tabac. Peu de temps. Juste le temps nécessaire pour que deux jeunes lycéens lui volent sa voiture. Un fait divers comme tant d’autres. Affolés par la présence de gendarmes au loin sur le rebord de la route, les deux lycéens font demi tour sur la double-voie et roulent alors dans le sens inverse de la circulation. Le choc est violent. Les deux jeunes sont tués sur le coup. Un fait divers comme tant d’autres. Dans la voiture en face, il y avait l’une de mes voisines. Qui terminera sans doute sa vie sur un fauteuil roulant. Un fait divers comme tant d’autres.
J’ai appris hier que les parents des voleurs avaient porté plainte contre l’automobiliste qui avait osé laisser ses clés sur le tableau de bord. Et la société leur donnera sans doute raison de vouloir ainsi monnayer la mort, même peu glorieuse, de leurs enfants. Ils toucheront sans doute le pactole. De quoi finir eux-aussi leur vie dans un fauteuil. Doré.
Un fait divers comme tant d’autres, vous-dis-je. Ainsi va le monde.
T’es sûr qu’ils ont des chances de gagner ?
(C’est un peu gros tout de même !!!)
C’était aussi ma première intime réaction… celle d’espérer une justice mais comme tu le crains sans doute, de ne pas en attendre tout.
Il reste la difficulté de penser à la suite, même avec justice rendue.
Est-il possible de penser pour les gens que l’on aime ce que l’on a pu souhaiter pour l’humanité quand elle déraille : une apocalypse qui nous laverait de toute responsabilité..?
Nous sommes tous confrontés à ces terribles nouvelles, et d’autant plus affectés que les situations qui y conduisent sont banales, donnant ce sentiment d’injustice ou que les victimes nous sont proches.
Plus que jamais, rien ne nous appartient ici, et nous ne devons, je crois, vivre profondément que l’instant présent : pouvoir aider cette femme si cela est possible, pouvoir vivre malgré ce choc, vivre tout simplement.
C’est la grande question de l’humanité, qui croit d’ailleurs qu’elle ne se pose pas aux autres vivants… une belle erreur qui conduit à de graves dérives.
N’oublions pas de nous aimer !
Oui, très juste.
Les occasions de nous indigner ne manquent pas. Ici, maintenant, ailleurs, hier, demain… Rien que du tragique !
Comment ne pas en être accablés ?
Comment continuer « malgré tout » ?
N’est-ce pas là le plus grand mystère ?
Une fois de plus, je crois qu’il y a plusieurs niveaux pour aborder ce fait tragique.
D’un point de vue social, ça me paraît difficile d’accepter l’idée que cette plainte puisse aboutir à une condamnation quelconque de l’automobiliste qui s’est fait voler sa voiture.
D’un point de vue humain, je suis révoltée que les parents des gamins aient pu avoir une telle démarche. On se croirait dans une mauvaise série TV américaine.
Quant à ta voisine, peut-être a t’elle de la chance d’habiter un village et non dans une grande ville. Parce que tu te sens concerné par le simple fait qu’elle habite le même village que toi.
Combien de faits divers (quelle expression atroce) se produisent chaque jour à Besançon et qu’on ignore (je ne lis pas la presse locale, et quand bien même…).
En tout cas, je pense que plus la structure dans laquelle on vit comporte un grand nombre d’individus, plus les liens sont distendus, pour ne pas dire inexistants.
C’est la raison pour laquelle j’ai choisi d’habiter un des seuls quartiers de cette ville qui ait encore un véritable esprit de quartier.
Je crois que cette femme devra compter sur ses proches.
Mais nous, tous les autres, devrons être vigilants sur la manière dont cette société, à laquelle on participe, gèrera ce type de cas.
A chaque fois qu’un évènement de ce type-là arrive… on a tous la même réaction…
Violence de la société actuelle, justice française déviant vers l’Américanisme, isolement et solitude de certaines personnes face aux graves coups du destin…
Et force est de constater que souvent, on en sait plus long sur l’état des « people » ou des hommes/femmes politiques, ou des personnes qu’on ne rencontrera sûrement jamais, que sur celui de la personne qui vit à nos côtés…
Aimons-nous… oui, ici et maintenant… mais parlons-nous aussi…
« Violence, américanisation, isolement » comme le pointe Cess, oui sans doute… mais peut-être aussi (et surtout ?) « misère spirituelle » qui fait qu’on ne trouve plus en soi (ni ne cherche d’ailleurs) le secours nécessaire pour affronter les inévitables épreuves de la vie.
Vincent demande « T’es sûr qu’ils ont des chances de gagner ? ». Je ne sais pas, mais aujourd’hui le contexte est plutôt assez favorable à ce genre de réclamation. Il aurait été impensable il y a quelques dizaines d’années que l’on dépose ce genre de plainte. Je ne sais pas s’il faut y voir une perte de repères, de morale ou l’existence d’une certaine « misère spirituelle » dont parle si justement Vincent. Il y a eu de drôles de jugements où des gens ont gagné des procès contre des collectivités. Si une branche en forêt me tombe sur la gueule, il ne me viendrait pas à l’idée de porter plainte contre la commune si la forêt est communale. Or ce genre de plainte aurait des chances d’aboutir aujourd’hui. La famille d’un abruti qui roule trop vite sur une petite route de campagne et qui s’enroule autour d’un arbre aura vite fait d’accuser la collectivité à cause de la présence de l’arbre. Et bon nombre d’élus qui ne veulent pas avoir d’ennuis avec ce genre de personnages coupent systématiquement les arbres le long des routes. Comme ça no problem !
Dans le fait divers que je raconte, le fait lui même est une fait divers comme tant d’autres (malheureusement), mais il traduit une évolution bizarre d’une société dans laquelle il est maintenant admis que l’on se déresponsabilise de ses propres actes. L’absence de moralité (je ne sais pas s’il est juste, je sais juste que ce terme est un peu ringard) se banalise et je trouve cela assez effroyable.
Le rejet, il n’est pas si lointain que ça, de la religion dans ce qu’elle avait d’aliénant pour l’homme s’est accompagné du rejet de la morale chrétienne. Celle-ci, fondée sur le péché originel et la culpabilité, comportait des préceptes qui venaient, tant bien que mal, régler la question du bien et du mal dans la vie quotidienne. Une des causes de la chute de la religion-morale sus-dite tient, à mon avis, dans l’insuportable écart entre les principes et la pratique réelle. Un exemple : « Aimez-vous, les uns les autres » et deux peuples chrétiens se bousillent en 14-18, et dans le concrêt des paroisses la médisance, l’envie, la jalousie, la haine, le pouvoir de l’argent, l’hypocrisie, contredisent chaque jour le principe de la charité.
La « morale » a donc mauvaise presse. On la dit aujourd’hui « ringarde ».
Or, il n’y a pas si longtemps non plus, les « hussards noirs de la République » enseignaient, avec le savoir et la culture, une morale laïque fondée sur l’humanisme et la raison. J’ai connu ces éducateurs qui témoignaient dans leur comportement de chaque jour des valeurs qu’ils nous inculquaient.
C’est au nom des valeurs de « liberté-égalité-frarernité » que des mouvements de fond comme 1936, la Résistance, les batailles pour la décolonisation, Mai 68, etc. ont eu lieu. Tous les gens engagés dans ces combats exprimaient un engagement profond pour ces valeurs.
Je n’ai jamais, ni alors ni aujourd’hui, trouvé qu’ils pouvaient être « ringards ». C’est donc à cette « éthique laïque » que je continue de me référer.
La misère morale (spirituelle, intellectuelle, culturelle, affective, etc.) qui caractérise notre temps est effectivement effroyable. Il nous appartient de ne pas sombrer dans cette misère-là. De résister. D’aller à contre-courant des « tendances in », des effet de modes dissolvants, qui s’exercent au profit de la marchandisaton généralisée des actes humains (l’accident et la mort y compris).
En ces temps de large confusion des esprits, il nous revient particulièrement de rester conscient des enjeux humains qui se jouent et de témoigner, personnellement, qu’il ne faut pas être juste parce que le monde est juste, mais parce que c’est la seule manière d’être au monde.
Il y a un fort mouvement de déresponsabilisation, oui… d’infantilisation même (comme si la société entière était atteinte du « syndrôme de Peter Pan », le refus de grandir).
C’est presque un luxe qu’elle s’autorise : ne pas être obligée de quitter le paradis de l’enfance. Un luxe qui coût cher… et qui devient vite un enfer !!!!
Avant, les enfants étaient adultes trop tôt.
Aujourd’hui, c’est souvent le contraire (du moins dans nos contrées opulentes qui peuvent se permettre de prolonger la « nursery ») : les adultes restent enfants bien tard.
Le « juste milieu » ? Arfff… facile à dire !