Dans la nature, la plupart des individus d’une espèce donnée vivent dans le même type de milieu, dans des conditions écologiques proches. Mais il en est d’autres qui s’en écartent un peu, qui vivent « à la marge ». Quand les conditions changent, d’un point de vue écologique ou climatique par exemple, ce sont les quelques individus qui vivaient déjà dans des conditions un peu différentes de celles dévolues habituellement à leur espèce, qui ont le plus de chances de s’en sortir. Ce sont ces individus marginaux qui présentent le plus gros potentiel de survie de leur espèce, qu’il s’agisse d’une espèce animale ou végétale.
N’en est-il pas ainsi de l’espèce humaine ? Notre monde change vite, très vite même, les conditions de vie se dégradant actuellement sur l’ensemble de la planète. Mais n’est-ce pas celles et ceux qui vivent « à la marge » aujourd’hui (qui inventent des solutions alternatives, qui vivent de leur art, qui mettent en oeuvre leur propre décroissance, qui sacrifient leur avenir professionnel à leur passion, …) qui sont aujourd’hui le seul espoir pour que l’humanité s’en sorte ?
Vaste débat.
Je vous laisse avec cette question importante et, tel un lâche, je me tire … Hé oui, je pars une semaine dans l’ouest de la France pour un stage de formation.
Les articles reprendront samedi prochain 20 juin
Dimanche dernier, j’ai calculé que j’avais écrit 19 articles en 13 jours (insectes du sud + vautours essentiellement). Tout va vite, très vite dans notre société, y compris sur ce blog … Cette semaine de pause forcée (pour raisons professionnelles) va me faire le plus grand bien je crois.
Juste une petite réflexion : cultiver son originalité, batifoler sur les chemins de la liberté, rechigner à suivre un troupeau dans une mauvaise voie… OUI !
Mais ne pas oublier que vivre « à la marge » de façon choisie n’a rien à voir avec « vivre en marge » de façon subie. Facile, j’en conviens.
Mais la nuance n’est sans doute pas si simple à vivre : est-il sûr que vivre à la marge soit le gage de bons choix ? Et certains marginaux (excentriques, originaux, bande-à-part, misanthropes, solitaires, minoritaires non visibles…) qui subissent ne finissent-ils pas pour certains par rejoindre, à la marge des « en marge », le vrai chemin de leur liberté ?
Pour moi : être en accord avec soi-même et avec son environnement (déjà un combat), bénéficier des outils qui permettent de « se » respecter avec les autres dans un mode vie soutenable (encore du travail), c’est déjà très fort.
Mais je comprends bien l’idée de Bernard, et j’y souscris…
Puis une question de fond qui me préoccupe vraiment : comment vivre la solidarité, c’est-à-dire surtout la répartition des efforts communs pour l’éducation, l’aide sociale, la retraite… à la marge ? Parce que finalement, cet investissement est le seul qui prive beaucoup d’entre-nous d’une liberté d’expérimentation totale, je crois.
Bernard : pas de lâcheté je pense dans ton escapade (subie !), d’autant moins que la question que tu lâches en partant me paraît forte…
Comment vivre?
Arrghhh…
Eternel problème … l’idéal serait de ne rien sacrifier de sa propre originalité d’être humain, en gardant toute sa vigilance vis-à-vis de la société dans laquelle on est, tout en étant solidaire du monde …
Certains croient que l’on vit plusieurs vies; à voir le programme, ça ne m’étonnerait pas!
Un tout autre point de vue, ou en tout cas une approche extrêmement originale:
http://www.fluctuat.net/2961-Revolte-consommee-le-mythe-de-la-contre-culture
C’est à mon sens un livre majeur pour ne pas tourner en rond.
Moi je me dis que sans se mettre en marge, la vie est une éternelle résistance à l’oppression. Pourquoi se mettre en marge ? Pour le coup n’est-ce pas un peu une fuite quequefois ?
Parce que le système dans sa globalité, on ne peut pas y échapper. dans le détail, on peut toujours se faufiler dans des chemins de traverse. Je pense que la condition de se mettre en marge, c’est toujours de créer du lien et se dire qu’on ne peut pas être séparé du reste du monde. Il faut que cet état de marge créait du sens .
Ça me fait penser à Paul Eluard qui disait : un autre mon est possible, mais il est dans celui-ci.
Tiens par exemple sans me mettre en marge, en ce moment, je réfléchis à changer de banque. Passer du Crédit Agricole qui investit dans les agrocarburants pour aller à la nef, c’est pas se mettre en marge, mais n’est-ce pas quand même tenter changer le monde ici, par le dedans.
Est-ce trahir ses convictions essentielles que de faire le choix de passer d’une opposition frontale à une tactique (comme dit Lurbeltz) par le dedans ?
Est-ce perdre son âme que d’accepter certains compromis comme intégrer un mouvement politique de rassemblement, un conseil municipal multi-colore ? participer aux cérémonies à la con…
Est-ce « vieillir », ou est-ce devenir sage ? (Brel savait qu’on peut être vieux sans être adulte)
Peut-on décliner ça avec la fierté de ne « rien lâcher » ?
peut-être peut-on collectivement agir « par le dedans » tout en restant individuellement et intellectuellement insoumis ? j’aime bien cette idée.
Ceci dit, Philippe Val semble bien avoir oublié son âme dans les couloirs du pouvoir !
Tiens Lurbeltz, dans l’association où je travaille, nous venons aussi de passer du crédit agricole au crédit coopératif (qui travaille avec la nef).
N’avez vous jamais éprouvé ce merveilleux moment de solitude … Comme en marge d’un monde qui va trop vite , oui bien trop vite . Un monde dans lequel on ne trouve plus le temps de se poser un instant , seul face au vert d’un champ comme devant les vers d’un chant … Cette merveilleuse solitude qu’il m’arrive de toucher du bout des yeux dans ma région verte et bleue , alors que d’autres , malheureux , n’y ont de contacte que par l’image celle que l’on veut bien leur donner … La solitude peut-être si belle et faire tant de bien à l’âme . Alors qu’une autre sorte de solitude bien plus répandue , noire , interminable , est le lot de tant de gens en marge de ce monde qui va trop vite , oui bien trop vite …..
La Solitude
Solitude… Pour vous cela veut dire seul,
Pour moi – qui saura me comprendre ?
Cela veut dire : vert, vert dru, vivace tendre,
Vert platane, vert calycanthe, vert tilleul.
Mot vert. Silence vert. Mains vertes
De grands arbres penchés, d’arbustes fous ;
Doigts mêlés de rosiers, de lauriers, de bambous,
Pieds de cèdres âgés où se concertent
Les bêtes à Bon Dieu ; rondes alertes
De libellules sur l’eau verte…
Dans l’eau, reflets de marronniers,
D’ifs bruns, de vimes blonds, de longues menthes
Et de jeune cresson ; flaques dormantes
Et courants vifs où rament les » meuniers » ;
Rainettes à ressort et carpes vénérables ;
Martin-pêcheur… En mars, étoiles de pruniers,
De poiriers, de pommiers ; grappes d’érables.
En mai, la fête des ciguës,
Celle des boutons d’or : splendeur des prés.
Clochers blancs des yuccas, lances aiguës
Et tiges douces, chèvrefeuille aux brins serrés,
Vigne-vierge aux bras lourds chargés de palmes,
Et toujours, et partout, fraîche, luisante, calme,
L’invasion du lierre à petits flots lustrés
Gagnant le mur des cours, les carreaux des fenêtres,
Les toits des pavillons vainement retondus…
Lierre nouant au front du chêne, au cou du hêtre,
Ses bouquets de grains noirs comme un piège tendu
A la grive hésitante ; vert royaume
Des merles en habit – royaume qui s’étend
Ainsi que dans un parc de Florence ou de Rome
En nappes d’émeraude et cordages flottants…
Lierre de cette allée au porche de lumière
Dont les platanes séculaires, chaque été,
Font une longue cathédrale verte – lierre
De la grotte en rocaille où dorment abrités
Chaque hiver, les callas et les cactus fragiles ;
Housse, que la poussière blanche de la ville
Givre à peine les soirs de très grand vent – pour moi,
Vert obligé des vieilles pierres,
Des arbres vieux, des toits qui penchent, des vieux toits –
Un château ? Non, Madame, une gentilhommière,
Un ermitage vert qui sent les bois, le foin,
Où les bruits dé la route arrivent d’assez loin
Pour n’être plus qu’une musique en demi-teintes.
Un train sur le talus se hâte avec des plaintes,
Mais l’horizon tout rose et mauve qu’il rejoint
Transpose le voyage en couleurs de légende.
On regarde un instant vers ces trains qui s’en vont
Traînant leur barbe grise – et c’est vrai qu’ils répandent
Un peu de nostalgie au fil de l’été blond…
Mais le jazz des moineaux fait rage dans les feuilles,
Les pigeons blancs s’exaltent, le cyprès
Est la tour enchantée où des notes s’effeuillent
Autour du rossignol. Du pré,
Monte la fièvre des grillons, des sauterelles,
Toutes les herbes ont des pattes, ont des ailes –
Et l’Ane et le Cheval de la Fable sont là
Et Chantecler se joue en grand gala
Jour et nuit dans la cour où des plumes voltigent.
Au clair de l’eau, c’est l’éternel prodige
Du têtard de velours devenu crapaud d’or,
De la voix de cristal parmi les râpes neuves
D’innombrables grenouilles. Le chat dort.
Dickette-chien s’affaire – et sur leur tête pleuvent
Des pastilles de lune ou de soleil brûlant.
S’il pleut vraiment, la pluie à pleins seaux ruisselants
S’éparpille de même aux doigts verts qui l’arrêtent.
Un tilleul, des bambous. L’abri vert du poète,
Du vert, comprenez-vous ? Pour qu’aux vieilles maisons
Rien ne blesse les yeux sous leurs paupières lasses.
Douceur de l’arbre, de la mousse, du gazon…
Vous dites : Solitude ? Ah ! dans l’heure qui passe,
Est-il rien de vivant plus vivant qu’un jardin,
De plus mystérieux, parfumé, dru, tenace,
Et peuplé – si peuplé qu’il arrive soudain
Qu’on y discourt avec mille petits génies
Sortis l’on ne sait d’où, comme chez Aladin.
Un mot vert… Qui dira la fraîcheur infinie
D’un mot couleur de sève et de source et de l’air
Qui baigne une maison depuis toujours la vôtre,
Un mot désert peut-être et desséché pour d’autres,
Mais pour soi, familier, si proche, tendre, vert
Comme un îlot, un cher îlot dans l’univers ?…
Sabine SICAUD
Oui, Yves, la solitude est une bien belle chose … quand elle est choisie !