Semaine vénitienne (8)

Dernier article consacré à Venise.
Venise est construite sur une centaine d’îlots marécageux. Il a fallu beaucoup d’ingéniosité à ses habitants pour réussir à construire une véritable ville sur l’eau. Le défi était énorme : comment bâtir sur des pieux sans que la cité finisse tôt ou tard par s’enfoncer. Le travail réalisé est titanesque.

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Tous les pieux installés avant le 20ème siècle ont été posés à la main selon une technique qui a peu varié au cours des siècles. On entourait d’abord la zone à construire de gros caissons afin d’assécher la zone et l’on enfonçait ensuite des pieux de chêne, de chêne rouvre ou de mélèze dans le sol. Le travail était fait entièrement à la main, il fallait de nombreux hommes pour enfoncer chaque pieu et ce travail se faisait au rythme d’un chant monotone. Quand les pieux ne pouvaient être enfoncés plus profondément, on les mettait à niveau, on les reliait par d’énormes madriers transversaux. On recouvrait ensuite ces madriers de planches qui étaient agglomérées entre elles par un mortier fait de chutes de pierres, de marbre et de brique. Il a ainsi fallu un million de pieux pour supporter la basilique Saint-Marc.basilique

La solidité des pieux est éprouvée par le temps et, mis à part la chute du campanile de Saint-Marc en 1902 (le plus haut campanile de Venise), il n’y a pas eu beaucoup d’effondrements.

Mais la question de la survie de Venise demeure. Même si les pieux s’avèrent intacts pour la plupart, protégés par une gangue de boue, jusqu’à quand tiendront-ils ?

La montée des eaux met en danger cet équilibre fragile. Le phénomène d’acqua alta est de plus en plus fréquent, la plupart des rez-de-chaussées de maisons ne sont plus habités.

canaux

L’idée de mort est déjà fortement ancrée dans la ville de Venise elle-même car la ville vit de la splendeur de son histoire. Venise est presque entièrement tournée vers son glorieux passé. A cette idée de mort vient s’ajouter l’idée d’une mort programmée : Comment faire face à l’usure inévitable des pieux qui supportent la ville ? Comment faire face à la montée inéluctable des eaux ? Comment éviter le tourisme envahissant .) Il est évident que le tourisme de masse tue Venise. Mais sans tourisme à Venise, que serait aujourd’hui cette cité ?

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Tout voyage à Venise est forcément empreint de nostalgie, nostalgie d’un certain âge d’or, nostalgie d’un idéal artistique, nostalgie d’un monde qui n’est plus. Mais ainsi en est-il de toutes choses : naissance, vie et mort. Venise n’échappe pas à la règle.

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Venise la mort, Venise la nuit, le jardin de Venise, Venise couleur, Venise l’eau, Venise la pierre … et pour finir de nouveau Venise la mort. Ainsi la boucle est bouclée. Ainsi s’achève ce petit voyage.

31 réflexions au sujet de “Semaine vénitienne (8)”

  1. Jusqu’à ce soir, je pensais avoir clos ma série d’articles sur Venise avec mon petit dimanche musical vénitien. Finalement, je ne me suis décidé que ce soir à écrire cet article, je trouvais que cela manquait cruellement de conclusion.

  2. Mais qu’est ce qui a motivé la construction de pareille citée en des lieux si improbables?

  3. Effectivement, le lieu est improbable.

    Ce sont d’abord les invasions des Goths d’Alaric Ier et des Huns d’Attila qui ont poussé les populations locales à se réfugier dans les îles des marais situés le long de la mer Adriatique, près du delta du Pô. En 452, un premier établissement est fondé le long de l’Adriatique par des réfugiés de Padoue.

    La ville de Venise a été fondée vers la fin du VIe siècle par des habitants des régions voisines venus se réfugier en nombre dans les îles de la lagune formée par l’estuaire du Pô après l’invasion de l’Italie du nord par les Lombards en 568. En effet, cette zone marécageuse, difficile d’accès pour des navires à quille, était restée sous la juridiction de l’exarchat de Ravenne, province de l’Empire romain d’Orient. Elle fut donc initialement un refuge de la civilisation romano-byzantine.

    (extrait de Wikipedia)

  4. Les Vénètes de l’Armorique, qui donnèrent le nom de Vannes dans le Morbihan et les Vénètes d’adriatique qui autrefois peuplaient Venise , étaient-ils un même peuple ?

  5. L’INVITATION AU VOYAGE, de Baudelaire. Son poème associé à des images significatives de Venise
    http://www.youtube.com/watch?v=hgUsnCLwzVo&feature=related

    Mon enfant, ma soeur,
    Songe à la douceur
    D’aller là-bas vivre ensemble !
    Aimer à loisir,
    Aimer et mourir
    Au pays qui te ressemble !
    Les soleils mouillés
    De ces ciels brouillés
    Pour mon esprit ont les charmes
    Si mystérieux
    De tes traîtres yeux,
    Brillant à travers leurs larmes.

    Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.

    Des meubles luisants,
    Polis par les ans,
    Décoreraient notre chambre ;
    Les plus rares fleurs
    Mêlant leurs odeurs
    Aux vagues senteurs de l’ambre,
    Les riches plafonds,
    Les miroirs profonds,
    La splendeur orientale,
    Tout y parlerait
    À l’âme en secret
    Sa douce langue natale.

    Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.

    Vois sur ces canaux
    Dormir ces vaisseaux
    Dont l’humeur est vagabonde ;
    C’est pour assouvir
    Ton moindre désir
    Qu’ils viennent du bout du monde.
    – Les soleils couchants
    Revêtent les champs,
    Les canaux, la ville entière,
    D’hyacinthe et d’or ;
    Le monde s’endort
    Dans une chaude lumière.

    Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.

  6. J’aime beaucoup ce texte de Baudelaire que tu nous proposes et que Ferré a mis en musique.
    Hier, en écrivant ce dernier article sur Venise, j’avais dans la tête un autre texte d’Alfred de Musset que Brassens a mis en musique (et que j’ai souvent chanté à la guitare), il s’agit de “A mon frère revenant d’Italie”. Brassens n’a choisi que certaines strophes du poème de Musset. Voici les paroles de la chanson de Brassens :

    Ainsi, mon cher, tu t’en reviens
    Du pays dont je me souviens,
    Comme d’un rêve,
    De ces beaux lieux où l’oranger
    Naquit pour nous dédommager
    Du péché d’Eve.

    Tu l’as vu, ce fantôme altier
    Qui jadis eut le monde entier
    Sous son empire.
    César dans sa pourpre est tombé ;
    Dans un petit manteau d’abbé
    Sa veuve expire.

    Tu t’es bercé sur ce flot pur
    Où Naples enchâsse dans l’azur
    Sa mosaïque,
    Oreiller des lazzaroni
    Où sont nés le macaroni
    Et la musique.

    Qu’il soit rusé, simple ou moqueur,
    N’est-ce pas qu’il nous laisse au cœur
    Un charme étrange,
    Ce peuple ami de la gaieté
    Qui donnerait gloire et beauté
    Pour une orange ?

    Ischia ! c’est là qu’on a des yeux,
    C’est là qu’un corsage amoureux
    Serre la hanche.
    Sur un bas rouge bien tiré
    Brille, sous le jupon doré,
    La mule blanche.

    Pauvre Ischia ! bien des gens n’ont vu
    Tes jeunes filles que pied nu
    Dans la poussière.
    On les endimanche à prix d’or ;
    Mais ton pur soleil brille encor
    Sur leur misère.

    Quoi qu’il en soit, il est certain
    Que l’on ne parle pas latin
    Dans les Abruzzes,
    Et que jamais un postillon
    N’y sera l’enfant d’Apollon
    Ni des neuf Muses.

    Toits superbes ! froids monuments !
    Linceul d’or sur des ossements !
    Ci-gît Venise.
    Là mon pauvre cœur est resté.
    S’il doit m’en être rapporté,
    Dieu le conduise !

    Mais de quoi vais-je ici parler ?
    Que ferait l’homme désolé,
    Quand toi, cher frère,
    Ces lieux où j’ai failli mourir,
    Tu t’en viens de les parcourir
    Pour te distraire?

    Frère, ne t’en va plus si loin.
    D’un peu d’aide j’ai grand besoin,
    Quoi qu’il m’advienne.
    Je ne sais où va mon chemin,
    Mais je marche mieux quand ta main
    Serre la mienne.

  7. Même si nous ne savons pas vraiment où nous allons, n’est ce pas une raison de plus pour continuer à y aller ensemble !

    Et pour accompagner nos pas, le Prologue d’Orfeo de Monteverdi, avec dans le rôle de La Musique (la première à chanter après l’introduction orcghestrale) la sublime Montserrat Figueras.
    Attention : Le titre exact de cette partie chantée est « Del mio Parnasso amato a voi ne vegno » (De mon Parnasse aimé je viens à vous) et non comme indiqué sur plusieurs sites « Del mio permesso… » (De ma permission aimée…, ce qui ne veut rigoureusement rien dire).

    Il me vient une idée Dupdup : à l’image de cette semaine vénitienne, pourquoi pas une semaine Orfeo ?

    http://www.youtube.com/watch?v=EdHFxkd7s0s&NR=1

  8. Ce n’est pas la première fois que Robert donne des idées d’articles ou de thèmes à aborder.
    Je me suis toujours posé la question:
    C’est étonnant que Robert n’ait pas un blog personnel, avec tout ce qu’il a à dire ?

  9. J’ai d’autant plus de choses à dire, Etincelle, que je les adresse à mon meilleur ami et à des personnes qu’il connait et que j’apprends par là à apprécier aussi. Que souhaiter de plus ?
    L’idée d’un blog personnel ne m’a jamais effleuré. Vraiment.

  10. L’idée que ce blog se transforme en blog collectif me travaille beaucoup. Je m’y dirige progressivement. La rubrique sur les livres que l’on aime va être une première étape.

  11. Nous avons eu ces derniers jours un aperçu de l’Orfeo et de l’Incoronazione di Popea, premier et dernier opéra de Monteverdi.
    Du second, L’Arianna, la musique a été perdue. Sauf le « Lasciatemi morire » (Laissez-moi mourir) que voici, interprété par Kathleen Ferrier (1912-1953)
    http://www.youtube.com/watch?v=GFOEuGJd-qA

  12. Je ne sais pas de quand date cet enregistrement de Kathleen Ferrier. Peut-être des années 40 si j’en juge par la mauvaise qualité du son. Mais l’émotion est au rendez-vous.

  13. Il se passe des trucs étranges avec le son, qui nous font considérer diversement sa qualité.
    Il semble nécessaire de prendre en compte les moyens techniques disponibles au moment où tel son a été enregistré.
    En ce sens, l’enregistrement de Kathleen Ferrier me paraît bon. Il n’a paraît pas avoir été, comme on dit aujourd’hui, « remasterisé ». Les émotions que l’interprète exprime nous sont restituées telles quelles.

    La remastérisation consiste à trafiquer électroniquement le son pour le nettoyer de ses imperfections. On en attend les effets suivants :
    (source Wikipedia) :
     » * la suppression du souffle, très présent sur les bandes analogiques vieillissantes et sur les disques microsillon ;
    * l’amélioration de la dynamique et du rapport signal/bruit, afin de pouvoir augmenter le volume de l’enregistrement sans souffrir des effets de distorsion ;
    * l’application d’une nouvelle égalisation, utilisée pour mettre en valeur certaines fréquences, donc certains instruments peu audibles, ou encore pour rendre un son plus harmonieux, « chaud » ou « rond ».

    Une fois les améliorations apportées, les nouvelles pistes numériques obtenues sont resynchronisées et gravées sur un CD dit gold[2], qui sera utilisé par l’industriel chargé de la gravure en série de l’œuvre musicale. »

    Ces manipulations techniques, cette « cleanisation » ne sont pas sans conséquences :
    . elles suppriment avec les « bruits » une partie de fréquences correspondantes. Il en résulte une sorte d’aplatissement artificiel du son.
    . elles conduisent à une standardisation de l’écoute dans le sens du plus petit dénominateur technique commun. Ce qui ne correspond pas au son standard est réputé « mauvais son ». Ce qui a pour effet d’évacuer toute capacité de l’oreille à s’adapter au son. L’hyper-technique inaugure donc une sorte de surdité à l’inhabituel (ancien ou actuel).
    . ces déterminations par l’hyper-technologie dans la perception des éléments culturels jouent également dans les domaines de l’image, de l’édition, de la diffusion audiovisuelle, de la presse écrite, etc.
    A terme, la standardisation technique influence directement le mode de pensée et d’agir.
    Qui a la mainmise sur ces techniques détient donc un pouvoir considérable sur les esprits.

    La suprême aliénation produite par la société mondialisée consiste à convaincre chacun de sa liberté alors même qu’il est en réalité contraint de toutes parts.

    Tenter de sauvegarder un esprit libre, revient à auto-exploiter les éléments de culture (enregistrements anciens notamment) autant que possible en dehors de la sphère obligatoire du « commercialisé-standardisé ».

    Exactement comme pour le jardinage !

  14. Te concernant, je ne me fais à ce sujet aucun souci.
    Mon propos essaye d’analyser les choses de manière plus globale et c’est à ce niveau-là que le débat pourrait, me semble-t-il avoir quelque intérêt, ne crois-tu pas ?

  15. Qui a dit que Bernard n’avait pas raison ? Qui parle le premier (5h31) des émotions liées à un son original non-trafiqué, sinon moi ?
    Tu tiens tellement à affirmer ton accord sans faille et à donner dans tous les cas raison à Bernard que tu en viens à égarer la tienne.
    Attention, Yves, ça commence à ressembler à un parti-pris insupportable.
    Je ne crois pas que l’amitié implique en quoi que ce soit un quelconque béni-oui-ouisme.

  16. La remastérisation, permet aussi de découvrir des nuances de jeu et d’orchestration qui n’était pas toujours audibles sur la 1ère version , elle est là aussi pour faire partager au plus grand nombre une oeuvre grâce aux nouveaux supports électroniques , ensuite c’est un choix d’être hostile a l’expansion de la modernité dans ce monde qui pourtant a bien des égards nous rend service tous les jours .
    J’ai vu il n’y a pas longtemps la trilogie de Pagnol , le son de cette oeuvre devient inaudible , et pourtant le charme et la poésie de ces films viennent des dialogues …Alors comment faire , perdre à jamais ces oeuvres ou remastériser pour que les générations futur puissent en profiter autant que nous ?!?!

    Un vaste dilemme que de laisser en ruine ou remettre au goût du jour !!

    Car comme dit Martine Lucchesi (agrégée de philosophie)

    « Effet des ravages du temps, les ruines nous rappellent à notre propre mortalité. Mais de leur interminable agonie naissent des formes nouvelles, réconciliant art et nature. »

    Alors écouter cette musique aux sons que l’on peut appeler « pourris » , n’est -il pas là une envie de revenir aux vrais valeurs , oui revenir dans un monde vrai , s’échapper du virtuelle qui est si beau de façade mais si creux lorsqu’on gratte un peu .
    Exemple ; je fais de la photo d’oiseaux et autres insectes … Souvent j’ai cette réflexion  » L’oiseau est beau , dommage qu’il y ait cette branche sur la photo et des feuilles à l’arrière plan  » …. Ok !!
    Alors beaucoup de photographes gomment cette branche avec un logiciel et l’oiseau se retrouve là , dans le vide , sur un fond quelconque sans vie sans sa branche …Dans un monde virtuel , aseptisé !

    Alors remastériser une oeuvre , NON si c’est pour la dénaturé !!
    Que serait Venise sans ses canaux ?

  17. On parle de remastérisation qui dénature la musique. Mais ce n’est pas propre à notre époque moderne.
    On oublie que dans les enregistrements anciens, la musique était très dénaturée. Dans les enregistrements des années 30 ou même 40, impossible ou presque d’entendre les sons graves tels que la contrebasse.

  18. Yves, c’est vrai que sur ton blog, il ne se passe pas une semaine sans que quelqu’un fasse la remarque « dommage que le fond soit flou », « dommage qu’il y ait cette branche », « super, la mouette a la tête bien tournée » … Au début, j’hallucinais ! Et puis j’ai pris cela à la rigolade. Mais il n’empêche que c’est symptomatique du monde dans lequel on vit …

  19. Entendons-nous bien : quand la restauration d’une oeuvre ancienne permet d’en assurer la survie, je suis le premier à y souscrire. Cela est heureusement fait quotidiennement en peinture notamment et qui pourrait s’en plaindre. Idem pour la restauration des images ou du son d’unvieux film.
    Autre chose est de supprimer certaines fréquences de son d’un enregistrement musical ancien, qui fait perdre à ce son sa couleur et les émotions qui vont avec.
    Les défauts des enregistrements faits à une époque tenaient aux possibilités électro-techniques limitées utilisés à cette époque. Sans doute déformaient-ils, l’interprétation in-vivo et il n’y a rien là que de très normal. La contrebasse ne « passait » pas et il est impossible de la faire exister là où elle n’est pas. Autant réaliser un nouvel enregistrement de l’oeuvre avec les moyens dont nous disposons aujourd’hui.
    Autre chose des pertes produites par des remastérisations intempestives réalisées par des techniciens du son qui, par exemple, n’ont pas suffisamment de culture ou d’oreille musicale pour savoir où il doivent arrêter leur intervention afin d’éviter d’appliquer un remède pire que le mal.

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