L’ibis sacré

Comme on l’a parfois évoqué sur ce blog, difficile de trancher la question : « faut-il chercher à éliminer les espèces invasives ? ». La question est d’ailleurs souvent sans fondement car lorsqu’une espèce invasive est observée, il est presque toujours trop tard. Lorsqu’on s’est rendu compte des dégâts perpétrés par la coccinelle asiatique en France, il y en avait déjà sans doute des dizaines ou des centaines de milliers dans la nature. Idem pour les plantes. Par contre, pour les oiseaux, l’intervention de l’Homme peut se faire au tout début de l’invasion car un oiseau de grande taille comme l’ouette d’Egypte (espèce invasive dont j’ai déjà parlé sur ce blog) ne passe pas aussi inaperçu qu’un insecte.

J’ai observé récemment en Camargue une autre espèce invasive : l’ibis sacré, le fameux oiseau vénéré des pharaons égyptiens.


On connaît assez bien l’histoire de l’arrivée de cet oiseau dans la nature française : il s’est échappé du parc ornitho de Branféré (Bretagne) aux environs de 1988 et a commencé à se reproduire sur le secteur. Cet oiseau s’est reproduit très vite dans la nature. La situation est devenue si préoccupante (notamment parce que certains oiseaux s’en sont pris à des nichées de sternes de Dougall et de guifettes) que 1 500 ibis sacrés ont été détruits en 2015 (mission confiée par la préfecture à l’ONCFS).

Que faut-il penser de tout ça ?

Quelques images faites lors de mon dernier séjour en Camargue.

Oiseau magnifique, n’est-ce pas ?

13 réflexions au sujet de “L’ibis sacré”

  1. superbe oiseau, à Sidney il visite les poubelles et déambule sur les trottoirs en pleine ville, distance de fuite 1 m, idem, nos pigeons et nos moineaux parisiens

  2. Merci pour le lien. Étonnant cette erreur car Thierry Creux, le journaliste, connait bien la Dougall. Il y a une autre erreur dans son article Dominique Aribert travaille à la LPO pas à l’oncfs mais bon…
    En tout cas depuis les campagnes d’éradication d’Ibis dans le sud Bretagne les observations dans le Finistère sont devenues très rares. En revanche l’ibis falcinele , dont la population a décuplé depuis quelques années, est observé de plus en plus régulièrement.

  3. Afrique, Europe, Asie, … cet oiseau est partout. C’est un continent à lui tout seul.

    En d’autres termes : « ibis partout, c’est incontinent à lui tout seul ! » :wink:

  4. L’ibis dite « invasive » en France est l’ibis sacrée (Threskiornis aethiopicus), c’est la vraie ibis sacrée qui était présente en Égypte ancienne. Il y a cinq espèces d’ibis dans le genre Threskiornis, qui sont très semblables entre elles (sauf Threskiornis spinicollis d’Australie est un peu plus différencié). Les ibis ressemblantes à l’ibis sacrée que l’on observe en Australie sont donc d’une autre espèce : Threskiornis moluccus (l’ibis à cou noir, de son nom vernaculaire, il y a donc deux espèces du même genre en Australie), ce n’est donc pas notre ibis sacrée qu’on peut voire en Australie, même si son apparence et sa niche écologique sont tout à fait similaires.

    Nôtre ibis sacrée « invasive » en France est donc l’espèce aujourd’hui abondante dans toute l’Afrique subsaharienne, mais qui était autrefois présente jusqu’au bord de la Méditerranée (donc dans notre zone écologique appelé « Paléarctique occidental »), de source sûre au moins dans le delta du Nil et le Levant dans l’Antiquité. Elle était donc potentiellement présente dans des temps anciens tout autour de la Méditerranée, car un oiseau ça vole et ça s’installe où il a envi du moment qu’il y trouve de la ressource et qu’il supporte le climat. L' »invasion » actuelle ne fait que démontrer le potentiel écologique de cette espèce et sa tolérance au climat tempéré, qui aurait très bien pu s’exprimer aussi dans le passé lointain. Cette espèce n’est donc peut être pas du tout « allochtone » sous les climats doux d’Europe du Sud et de l’Ouest, elle ne fait peut-être que reconquérir l’un de ses anciens territoires, cette fois ci grâce à l’homme, après en avoir peut-être disparu dans l’Antiquité à cause de l’homme (car très facile à chasser).

    Une autre espèce très proche : Threskiornis melanocephalus (l' »ibis à tête noire »), peuple l’Asie. Elle a un aspect très similaire, un comportement et une niche écologique à peu près identique. Cette espèce est partiellement migratrice et monte en saison de reproduction jusqu’au Japon et en Russie orientale très au Nord. Cette espèce est la vicariante orientale de notre ibis sacrée occidentale, l’espèce jumelle en Orient qui prouve le potentiel de nôtre espèce occidentale pour s’intégrer dans une avifauve d’Eurasie tempérée.

    L’ibis falcinelle (Plegadis falcinellus), considérée comme autochtone en France et dont on espère un grand retour dans tout le pays, est en revanche une espèce très différente: ce n’est pas le même genre, elle n’a pas les mêmes comportements et n’exploite pas la même niche écologique que l’ibis sacrée, donc il n’y a pas de concurrence importante entre ces espèces. Cela est d’ailleurs bien démontré par le fait que l’ibis falcinelle est une espèce assez cosmopolite qui cohabite avec toutes les Threskiornis ailleurs dans le monde : avec Threskiornis aethiopicus (l’ibis sacrée) dans toute l’Afrique, avec Threskiornis bernieri à Madagascar, avec Threskiornis melanocephalus en Asie, et avec Threskiornis moluccus et Threskiornis spinicollis en Australie ! Alors c’est certainement pas une Threskiornis, en l’occurrence l’ibis sacrée, qui va empêcher le retour désiré de l’ibis falcinelle en Europe…

    De plus, le fait que ce soit Threskiornis aethiopicus (l’ibis sacrée) qui ait été introduite accidentellement en Europe et non une autre des cinq Threskiornis est une excellente nouvelle, car c’est cette espèce et pas une autre dans le genre qui est naturellement potentielle et la seule acceptable en Europe. A l’avenir elle pourrait suivre d’autres oiseaux et devenir migratrice, et rejoindre l’hiver ses congénères en Afrique comme le font beaucoup de nos oiseaux européens autochtones. Si c’était une autre Threskiornis qui avait été introduite en Europe, une telle perceptive aurait représenté une vraie menace à long terme pour l’ibis sacré en Afrique (risque d’hybridation et pollution génétique). On a donc introduit la bonne espèce dans ce genre qui est composé d’espèces vicariantes à ne pas mélanger.

    Il ne faut pas oublier que dans la Préhistoire et l’Antiquité, la faune sauvage de l’Europe était bien plus riche qu’on ne puisse l’imaginer aujourd’hui, et les équilibres de l’écosystème étaient donc très différents d’aujourd’hui. Il y avait notamment bien plus d’espèces de grands oiseaux et de grands mammifères, qui sont les espèces qui ont le plus souffert de la chasse, est qui on été les plus facilement exterminées. Nombre d’espèces ont disparu dès la Préhistoire où l’Antiquité. Qui sait par exemple que le lion (Panthera leo), le léopard (Panthera pardus), et même le tigre et le guépard (dans la steppe d’Europe de l’Est), sont des animaux qui étaient encore présents en Europe à l’état sauvage jusqu’à l’Antiquité voire le Moyen-Âge ? Qui sait qu’il y avait des élans jusqu’au bord de la Seine au Moyen-âge en France? Qui sait que l’aire de répartition actuelle du pélican frisé et du pélican blanc (les deux plus gros pélicans du monde) s’étendait plus aux Nord-Ouest, jusqu’aux îles Britanniques à l’âge du bronze, mais qu’ils ont disparu de la majeure partie de l’Europe car chassés par l’homme ? Qui sait qu’on chassait la grande outarde dans les champs et les prairies en France et en Angleterre jusqu’au XVIIe siècle ? Qui est au courant que des aigles royaux nichaient en plaine à Fontainebleau, et sans doute bien ailleurs, sous François Ier ? Alors, pour les oiseaux, est-ce qu’on est vraiment sûr que chaque espèce dite « nouvelle » ou « invasive » soit vraiment allochtone en France ? Moi, pour le cas de l’ibis sacrée par exemple, je n’en suis pas certain du tout.

    J’ai aussi des doutes pour d’autres espèces, comme pour les cas tadorne casacra ou de la bernache du Canada. Étant des oiseaux très mobiles qui ne connaissent presque pas de barrières écologique qui puisse les arrêter dans leurs exploration et colonisation, un certain nombre de grands oiseaux, comme les Anatidées, sont présents ou potentiellement présents dans tout l’hémisphère Nord ou une grande partie (par exemple toute l’Eurasie). Mais étant des espèces de choix pour les chasseurs humains, les espèces les plus grosses ont probablement disparu d’une grande partie de leur ancienne aire de répartition dès la Préhistoire, comme la mégafaune, il y avait peut-être donc bien plus d’espèces en Europe il y a plusieurs millénaires qu’on ne l’imagine aujourd’hui, et une partie de ces espèces subsistent toujours dans d’autres parties de l’hémisphère Nord où l’on croit aujourd’hui à tort que c’est là leur seule aire de répartition naturelle, alors que ce sont des espèces qui ne demandent qu’à recoloniser l’Europe dès qu’on leur en donnera l’occasion. En tout cas la barnache du Canada ne montre pas de concurrence avec d’autres espèces proches en Europe, ce qui signifie que sa niche écologique était libre, et si elle était libre, c’est probablement qu’elle a été occupée par une espèce proche ou par elle-même dans les temps très anciens, la nature ayant horreur du vide. On peut dire la même chose pour les grues, aujourd’hui nous avons la grue cendrée qui revient en force en Europe, mais de nombreuses espèces ont peuplé l’Europe dans les millénaires passés, dont certaines existent toujours en Asie, voire en Amérique, où elles cohabitent avec la grue cendrée, car leurs niches écologiques sont différenciées. En Daourie (dans le sud tempéré de la Sibérie orientale) il y a actuellement cinq espèces de grues qui cohabitent très bien, dont notre grue cendrée, ce qui est la preuve d’un potentiel de richesse écologique insoupçonné pour l’Europe. La plupart des écolos et des ornithologues ne semblent même pas avoir conscience de cette richesse potentielle pour l’Europe, car ça demande de ne pas rester figer sur les aires de répartition historiquement connues des espèces, il faut remonter beaucoup plus loin dans le temps, à des époques pour lesquelles nous avons très peu ou pas de donnés, ça demande donc de prendre en compte l’écologie des espèces et surtout leur potentiel d’intégration écologique, plutôt que leur répartition connue.

  5. :shocked: :ermm: Oh, en fait, seulement occasionnellement, ce sont mes rares congénères qui ne savent pas se cacher dans la haute verdure quand un animal s’approche, qui peuvent leur servir de repas, ou ces étourdis qui oublient d’attendre la tombé de la nuit pour traverser le pré et rejoindre la mare, trop occupés à penser aux amour qu’ils vont y vivre… Je ne fais presque jamais ce genre d’erreur, donc moi je ne risque pas grand chose… :ninja:

    Les carabes, les musaraignes, les grenouilles rieuses et les couleuvres me terrorisent bien plus :cwy: , et l’ibis a le bon goût de les manger quelques fois :tongue: . Même si ce n’est pas ce qu’elles mangent le plus souvent, j’en ressens du soulagement et du répit à chaque fois. :tongue:

    Cela dit les oiseaux d’eau et les échassiers de toutes espèces deviennent tellement nombreux aujourd’hui dans mon marais qu’ils commencent à constituer un vrai danger pour nous les amphibiens : poules d’eau, plusieurs espèces de râles, maintenant plus de huit hérons différents alors que dans le temps ou j’étais encore un têtard il n’y en avait qu’un ou deux, auxquels s’ajoutent maintenant d’insatiables cigognes blanches ou noires, des grues, des spatules et d’autres encore. L’ibis en est un de plus parmi parmi eux. Avec tous ces oiseaux je ne peux plus sortir de mon roncier aussi souvent qu’avant, et je doit toujours avoir les yeux partout. Cependant beaucoup d’entre eux ne pensent qu’aux écrevisses rouges qui ont envahis mon marais et même la petite mare ou je suis née, ils ne font donc pas trop attention à moi, et nous rendent bien des services.

    Mais le jour où il y aura moins d’écrevisses, je devrai faire très attention à tous ces volatiles. Qu’à cela ne tienne, j’entrevois la solution : en hiver je vois dans le ciel de plus en plus de pygargues à queue blanche. L’un s’est posé dans la haie ou j’étais planqué. A mon grand soulagement, il m’a dit que j’étais trop petite pour l’intéresser. Il m’a fait très peur avec ses grands airs. Il m’a dit aussi qu’ils sont de plus en plus nombreux dans leurs pays de l’Est et du Nord et que certains d’entre eux pourraient bientôt faire leur nid chez nous et s’y multiplier, car leurs proies favorites y sont nombreuses: grosses carpes envahissantes et tous les grands oiseaux d’eau. Hérons, goélands, cormorans, ibis, les canards de toutes sortes, foulques seront régulés à leur tour, enfin ! L’ibis semble d’ailleurs avoir le gabarit parfais pour l’intéresser :biggrin: L’autre soir un hibou grand-duc, autre nouveau venu inattendu dans mon marais de plaine sans rocher, et venu manger un hérisson, une autre de mes terreurs, puis a attrapé un héron, il devrait donc bien pouvoir faire parfois d’un ibis son repas lui aussi. Il a fait son nid dans une ruine tout près d’ici et semble s’installer pour de bon.

  6. Tiens, à propos du grand-duc, redoutable prédateur, vous saviez que les attaques répétées du grand-duc ont obligé les flamants roses de la Grande Camargue (étang du Fangassier) à déserter leur lieu de nidification habituel pour aller s’installer dans le Gard ? :ninja:

  7. Développement des différentes espèces de grands échassiers (hérons, ibis), du grand-duc, du pygargue … Ce que tu dis, Rainette, me fait penser à ce que m’a raconté l’un de mes amis camarguais il n’y a pas longtemps à propos de la biodiversité : « les grandes espèces s’en sortent, pas les petites ! ». C’est étonnamment vrai … :blush:

  8. Bonjour,
    Merci à Rainette. J’allais laisser le même commentaire au sujet des oiseaux observés à Sidney, lesquels appartiennent à la même super-espèce, mais pas à la même espèce que notre ibis sacré.
    Travaillant dans le parc de Branféré au début des années 80, je me souviens qu’il y avait AUSSI des ibis à cou noir asiatiques. Il courait déjà pas mal de bruits sur la capacité de ces oiseaux à s’éloigner du parc, mais personne ne semblait s’en soucier. S’il avait fallu agir, c’est bien sûr à cette époque, et non trente ans plus tard, par des tirs qui n’ont pas seulement impacté cette espèce, mais nécessairement dérangé d’autres.

    A mon sens, le sujet observé en Camargue ne doit pas avoir de liens avec la souche du Morbihan. Soit il vient d’un autre lâcher plus proche (le plus probable), soit on doit rechercher son origine en Italie. En effet, l’espèce est bien installée dans tout le nord, du Lac Majeur au Lac de Garde (donc d’ouest en est). J’en ai observé près de Novara, peut-être un sur le lac de Côme (près de Lierna, où il a été photographié en 2018), ainsi qu’à Valbrembo près de Bergame (origine: Parc Zoologique Le Cornelle). Un ami, qui habite près de Lodi en a observé une bande également. L’espèce a été vue aussi en Toscane, près de Rome, en Sicile.
    Cette espèce est prédatrice, c’est vrai (un pinson attrapé et avalé à 2 m de moi), et doit être surveillée. En revanche, elle est une des rares à s’attaquer à l’écrevisse de Louisiane, invasive en France. Par ailleurs, l’effet de colonie protège d’autres échassiers et la spatule doit sans doute beaucoup à l’ibis sacré.
    Enfant et jusqu’à mes 20 ans, j’allais beaucoup au Croisic. Je n’y voyais pas de petites aigrettes, espèce en forte progression dans notre pays. Dans les 15 dernières années, j’ai vu croître le nombre d’ibis (port du Croisic, Marais de Guérande) et tout autant, dans les mêmes lieux, l’aigrette garzette. S’il y a impact de l’ibis, il serait donc ici positif.
    L’invasion d’espèces allochtones est une réelle menace à ne pas prendre à la légère, tant il est vrai qu’en certains endroits, elles ont pu éradiquer ou contribuer à éradiquer des espèces indigènes, entraînant un déséquilibre dans le milieu. Le cas des îles est à cet égard effrayant.
    Dans le cas de l’ibis sacré, laissons la LPO le surveiller et tirer des conclusions, mais ne soyons pas dogmatiques. Surtout, n’oublions jamais que, quoi qu’on fasse, l’ibis sacré est désormais largement présent en Europe, qu’il devient peu à peu une espèce indigène, et que, si on l’élimine en France, il reviendra. Soyons plus attentifs à l’état de nos zones humides et ne cherchons pas un autre coupable que nous à la diminution de la biodiversité.

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