LE COIN DU JARDINIER (5)
Il y a des gens qu’on aime et d’autres qu’on n’aime pas. Le monde est ainsi fait. Allez savoir pourquoi certaines personnes vous hérissent alors que vous vous sentez en harmonie avec d’autres. Les plantes connaissent elles-aussi aussi le même type de problèmes existentiels : le voisinage de certaines leur convient bien alors que d’autres plantes leur sont indésirables.
L’homme, doué d’intelligence, a toujours inventé des tas de solutions selon les personnes qu’il a en face de lui, qu’il aime ou qu’il n’aime pas selon le cas : insulter le voisin qu’il déteste et le forcer même à déménager, casser la gueule à un rival, draguer une personne avec qui il estime avoir des affinités … Les plantes n’ont pas toute cette panoplie à leur disposition. D’autant plus que l’absence de mobilité est un facteur limitant. Impossible d’aller casser la figure à la plante voisine par exemple. Elles ont alors recours à des moyens plus limités certes mais très spécifiques au monde des plantes.
Ainsi, de nombreuses plantes émettent par leurs racines (mais aussi parfois par leurs fruits) des gaz ou des acides qui ne sont pas problématiques pour certaines plantes voisines mais qui en perturbent d’autres. Par ailleurs, à l’opposé, le développement de certaines plantes favorise le développement dans le sol de micro-organismes qui ont plutôt un impact favorable sur d’autres plantes du voisinage. Les plantes entretiennent donc entre elles des relations qui sont soit favorables, soit néfastes, soit neutres.
Dans la nature, les plantes sont disposées de manière plutôt harmonieuse, les millénaires qui se sont succédés ayant bien régulé les choses, et l’on trouve souvent ensemble des plantes dont les influences réciproques sont plutôt favorables. Mais le jardinier, en imposant la présence de plantes à d’autres, perturbe cet ordre naturel et oblige certaines plantes « qui ne s’aiment pas » à cohabiter.
Depuis les premiers travaux de scientifiques publiés pour la première fois en 1908 par le biologiste allemand Küster, le jardinier possède cependant quelques éléments dont il peut s’inspirer pour aménager son jardin. Les connaissances se sont affinées pendant tout le 20ème sièce et l’on sait maintenant que l’on a intérêt à faire cohabiter le poireau et la carotte car le poireau éloigne la mouche de la carotte alors que la carotte éloigne le ver du poireau. A l’inverse, certaines associations défavorables sont aussi bien connues et il faut éviter par exemple de planter des haricots ou des pois à côté des oignons car les bactéries fixatrices d’azote qui se trouvent sur les racines des légumineuses sont inhibées par les composés sulfurés émis par les oignons.
Ces effets bénéfiques ou au contraire indésirables durent dans le temps et il l’on peut utilement en tenir compte pour la rotation de ses cultures. Par exemple, on sèmera avantageusement de la salade dans un coin où il y aura eu des radis l’automne précédent et où l’on mettra l’année suivante des choux ou des concombres.
La liste de toutes les associations favorables ou défavorables est longue et c’est un peu compliqué (aussi compliqué que chez l’homme, ce n’est pas peu dire !). Un livre est paru sur le sujet : il s’agit d’un ouvrage de Hans Wagner, intitulé « le poireau préfère les fraises » aux éditions Terre vivante, qui permet de trouver tous les renseignements utiles sur le sujet. Coût : 14,48 euros. Mais si vous cherchez dans ce livre comment vous débarasser de certaines personnes, en émettant certaines substances particulières, sachez que le livre ne dit rien de tout ça. Dommage ! Tout ouvrage a ses limites !
Question du jour :
Y’a-t-il un quelconque rapport entre les « affinités électives » jardinières et culinaires ?
Puisque tout est vraisemblablement affaire de « chimie » (dans un domaine comme dans l’autre) on peut supposer que les mariages plus ou moins heureux dans le jardin puissent avoir des répercussions dans l’assiette… et vice versa.
La soupe aux poireaux carottes, par exemple, on connaît, la salade aux radis, chou et concombre, aussi, mais quelqu’un a-t-il tenté la tarte aux fraises… et poireaux ? Si ça se trouve ça peut être bon.
Et un jardinier a-t-il vérifié que le poirier poussait mieux au milieu des chocolatiers, le basilic entouré de saumons, l’anis avec un glaçon ?
Vincent devrait se lancer dans la « nouvelle cuisine »! Connaît-il la bière cubaine aromatisée au cacao ?
…Les remarques de Bernard me font penser à J. M. Pelt qui a approfondi les cohabitations entre plantes sylvicoles. De mémoire, il me semble qu’il a détecté des espèces dominantes qui prennent toute la place au niveau canopée et d’autres dominées qui n’ont qu’à « déménager » ou à disparaître… Certains films pris en image-par-image l’illustrent d’ailleurs assez bien.
C’est la lutte pour la survie et la transmission « égoïste » des gènes… bien connue pour les animaux ; et il n’y aucune raison pour que le règne végétal fasse exception…
Mais me revoici dans Darwin… et je m’éloigne un peu du sujet !
Oui, tu as raison Roland. La nature, on la voit toujours avec un oeil bienveillant, avec un côté un peu « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Mais tu as raison de préciser que c’est avant tout la lutte pour la survie, même chez les plantes, et effectivement il n’y a aucune raison pour que les plantes échappent aux règles qui régissent le monde.
Lent Ronan… Heu !…
Nan, Roland, je ne connais pas la bière cubaine aromatisée cacao (et sans doute pétillante comme une danseuse de salsa)… Tu sais, moi, en la matière, au risque de paraître mécréant, à part la 1664, je ne connais pas grand chose ! C’est comme pour les oiseaux, d’ailleurs… Tout ce qui n’est pas Martinet noir ne m’est pas très familier. Je me demande parfois ce que je fais ici, du coup, mais bon… au moins j’apprends… et je m’amuse (sans trop vous embêter j’espère)
A propos de JM Pelt… Je me souviens sur la question l’avoir entendu défendre une thèse presque inverse à celle que tu lui fais tenir ici. En bon chrétien pur et dur (il ne s’en cache pas d’ailleurs), il n’apprécie en effet guère Darwin et sa théorie matérialiste de « lutte pour la survie et la transmission égoïste des gènes ». Il a de ce fait écrit tout un ouvrage (je ne me rappelle plus du titre, mais il est assez récent) justement pour essayer de montrer qu’il y avait au moins tout autant de cas d’associations végétales (mycorhizes et compagnie) que de concurrences et d’agressions.
Tout ça est évidemment une façon plus ou moins détournée de parler économie et politique et de répondre à la question qui hante certains esprits : « Le libéralisme est-il naturel ou non ? »
Alors, les plantes sont-elles de gauche ou de droite ? Et les oiseaux ? Et le houblon ? hein ? Quoi ? Il s’associe avec le chocolat à Cuba ? Hmmmm.. C’est bien louche ça !
Oups… Bernard a répondu en même temps que moi… Dites donc vous deux… vous me surprenez d’un coup… Je ne vous attendais pas dans ce « camp » (qui me semble plus idéologique que purement scientifique)… Mais cela n’est pas pour me déplaire (j’aime bien ête « surpris » et que les gens ne soient pas où on attend qu’ils soient !).
Vous assumez ? (sourire)
JM Pelt a le don de dire tout et son contraire (certainement parce que tout et son contraire existent bel et bien !) : je ne connais pas le bouquin dont tu parles, Vincent, mais le dernier que j’ai lu de lui, c’est « La loi de la jungle » avec 3 parties qui illustrent les compétitions entre les êtres vivants. Première partie sur les plantes, puis sur le monde animal, et enfin, en bon chrétien, il extrapole à l’humanité et devient un peu pénible… Je préférais le bonhomme lorsqu’il faisait ses films ou écrivait « Des fruits », et « Des légumes », mais ça commence à dater !
Tous les écrits contradictoires de Pelt resteront lettres mortes. D’où l’expression, d’ailleurs : « les feuilles mortes se ramassent à la Pelt » !
J’ai trouvé le titre du livre en question, Mag, c’est « La solidarité : chez les plantes, les animaux, les humains » et il date de 2004, soit deux ans avant qu’il édite ce qui doit être sa suite, ou son complément : « La loi de la jungle : l’agressivité chez les plantes, les animaux, les humains ».
Rendons justice au bonhomme tout de même en relativisant le soupçon de « contradiction » de ses écrits que nous avons laissé poindre là. JMPelt est en effet, il me semble, un vulgaristeur non seulement doué, efficace et pertinent mais aussi honnête (il n’a par exemple jamais caché l’origine chrétienne de son optimisme forcené) et rigoureux (scientifique, quoi !). On peut lui reprocher d’être « pénible » (comme l’exprime si bien Mag) à force de mièvrerie dans ses extrapolations humaines, simpliste aussi d’autres fois (c’est le travers de tous les vulgarisateurs)… mais je ne pense pas qu’on puisse déceler dans ses écrits de grosses « incohérences ».
Je me demande même si ce n’est pas finalement même le principal reproche que je lui je adresserai : trop « cohérent » pour être complet, trop « raisonnable » pour être vrai, trop « bien pensant » pour être conforme à la réalité !
Je ne pensais pas déclencher un tel débat en parlant de J. M. Pelt.
Ceux qui ont lu ses premiers et ses derniers ouvrages ont pu mesurer le chemin qu’il a parcouru , décevant certains d’entre nous, ou en enthousiasmant d’autres, surtout par la petite pincée de mysticisme dont il s’est mis à saupoudrer certaines de ses analyses (du genre : Dieu au fond de mon jardin…).
Ceci dit il a su vulgariser LA biologie végétale avec brio sur les ondes, dans les débats publics, et dans ses écrits, ralliant ainsi à la cause écologique un grand nombre de citoyens.