Drôle de destin que ce texte d’Antoine Pol. Texte magnifique écrit il y a plus d’un siècle (1911) mais qui aurait pu sombrer dans les oubliettes de l’Histoire, y compris son auteur d’ailleurs, sans leur découverte par Brassens.
Lorsque Brassens est arrivé à Paris, il a été pendant quelques années un véritable « rat de bibliothèque », avalant goulûment tous les textes des poètes (on dit qu’il connaissait des milliers de poèmes par coeur) et c’est chez un bouquiniste qu’il a découvert en 1942 un livre de poésie d’Antoine Pol. Le texte « Les Passantes » l’a attiré et il a commencé à travailler dessus avant de le laisser de côté … pendant près de trente ans. Ce n’est que bien plus tard qu’il en a fait la musique définitive (ou plutôt « les musiques » car il existe deux versions alternatives non retenues), après avoir obtenu l’autorisation de le faire par Antoine Paul, auteur inconnu.
Lorsque Brassens a pris rendez-vous avec Antoine Pol, celui-ci venait juste de décéder et n’a donc jamais entendu la chanson.
La musique a été composée en 1969 et la chanson a été créée sur scène en octobre 1972, la voici chantée pour la première fois.
A noter que Brassens a apporté quelques modifications au texte d’Antoine Pol : il a éliminé deux strophes, remplacé trois mots et interverti deux vers.
Voici une autre version enregistrée quelques années plus tard en 1977 (derrière Brassens, Pierre Louki) :
Tout est dit ! Les autres versions qu’on trouve sur internet, bof bof … Je viens d’en regarder une dizaine, peu de choses m’ont séduit. A noter toutefois, dans un registre musical très différent, Djamel Djenidi :
Sans doute que je parlerai d’autres versions dans les commentaires de cet article, mais il faut que je cherche un peu plus sur Youtube et de manière plus approfondie que ce que j’ai fait jusqu’à présent.
En attendant, deux versions instrumentales aux antipodes l’une de l’autre :
J’aurais à dire sur les passantes, sublime chanson.
Mais je tombe aussi sur cette pépite, Brassens himself.
Tout est bon ici, ya rien à jeter…
Merci pour cette vidéo admirable car cette filiation entre Leclerc et Brassens est peu connue.
Pour Brassens les événements du début se sont enchaînés à toute vitesse : passage de Félix Leclerc en France le 23 décembre 1950 (avec cette influence durable sur Brassens), guitare offerte à Brassens en 1951 par le chansonnier Jacques Grello, premier passage de Brassens chez Patachou le 24 janvier 1952, premier passage à Bobino en février 1953.
Je suis en train de (re)lire l’admirable bouquin méconnu de Boris Vian « En avant la zizique » où il décompose le système de la chanson avec un style incroyable. Je l’ai lu une paire de fois avant, là en y revenant et en ayant depuis intégré le fait que Brassens c’est un Monsieur, ça m’a frappé de constater combien Vian porte une très grande considération au Sétois, qui n’est pas loin d’être le seul chansonnier à trouver totale grâce à ses yeux…
J’ai commencé à travailler ce morceau, qui pourrait presque ressembler à une quintessence de ce que j’aime chez Brassens (dommage le texte n’est pas de lui ). Enorme importance de Pierre Nicolas ici, comme pour les morceaux que je préfère du grand Georges. La contrebasse à l’archet, c’est simplement tellurique :heart:
Gainsbourg aussi portait une très grande admiration à Brassens. Mais plein d’autres aussi.
A noter que sur le même disque que les passantes (1972) il y a « la princesse et le croque-notes » dans lequel, là aussi, Pierre Nicolas a une importance majeure.
J’ai lu »en avant la zizique » de Vian à l’époque du lycée, ça date !!! Je vais sans doute le relire.
A noter que la musique de Brassens, tout comme celle de Boris Vian, c’est du jazz.
Vian n’a pas eu le temps de connaître beaucoup les chansons de Brassens, dommage …
Si on trouve le texte d’Antoine Pol admirable, c’est aussi parce que Brassens en a éliminé deux couplets qui n’avaient pas la même force que les autres et, bien évidemment, parce que la musique colle parfaitement aux mots (comme chaque fois chez Brassens), ce qui les met un peu plus en valeur. La musique est indissociable du texte et je crois que, dans le cas présent, les mots ne se suffisent peut-être pas à eux-mêmes (en tous les cas, pas le poème complet). Sans doute est-ce pour cela que personne n’a remarqué le texte pendant 60 ans, je n’ai pas d’autre explication au fait qu’il soit resté incognito aussi longtemps.
Il y a des œuvres qui passent à côté de leur moment, bien des artistes en on souffert jusqu’à leur mort. Ou alors c’est l’inverse : nous sommes passés à côté : c’est plutôt ça.
Le « timing » c’est aussi l’histoire de la musique (Sixto Rodriguez en est une magnifique illustration, film Sugar Man à voir).
Sur cette base, je ne suis pas trop certain de cette importance des couplets concernant Antoine Pol. Ce n’est pas l’absence de deux couplets (sans doute plus faibles, je n’irai pas vérifier ce soir) qui a pesé mais bien l’appropriation de Brassens pour en faire une mélodie qui colle parfaitement : un artiste en sublime un autre. Et forcément, notre Georges, en parfait tatillon, n’allait pas à la chasse aux… écrivaillons.
C’est vraiment ce qui m’intéresse dans l’art et chez les artistes : la possibilité de se réapproprier les choses, de les valoriser, d’en signifier la source, et surtout d’y apporter une folie, une vérité, une puissance qui valorisent l’œuvre empruntée, détournée, utilisée.
C’est Antoine Pol l’initiateur, Brassens un des distillateurs, et nous autres lecteurs ou mieux : créateurs, enchanteurs. Mais bien sûr Brassens est plus que cela.
Pas étonnant en ce qui me concerne que parmi les chansons de son répertoire qui me plaisent le plus, beaucoup soient inspirées de textes déjà écrits. En cela j’apprécie particulièrement Brassens : le souci de mettre en chanson quelqu’un d’autre, la qualité de la musique, l’humilité… et l’audace de la modification.
La seule interprétation ne suffit pas, et encore moins la reproduction à l’identique.
Il s’en fallait de peu que l’affreux Jojo lui-même passe inaperçu
J’ai reçu le livre avec tous les textes des chansons de Brassens. J’ai commencé à le lire.
Je trouve que c’est bien mais il manque vraiment la musique et la voix de Brassens.
Contrairement à beaucoup d’entre vous qui êtes musiciens, je ne le suis pas. C’est pourquoi, j’ai toujours cru que chez Brassens, seules les paroles étaient importantes. Je me trompais. Sans la musique, et aussi sa belle voix, cela n’a plus du tout le même charme.
La musique redonne une deuxième vie à un poème et parfois même une première vie (comme dans le cas des Passantes).
A noter que les règles qui régissent les mises en musique ne sont pas les mêmes que celles qui concernent simplement l’écriture (en terme de longueur, de diction …) et que la pratique d’amputer des textes ou de les modifier un peu est quelque chose de courant et d’admis. On pourrait croire que le fait de ne pas respecter le texte d’un auteur est quelque chose d’irrespectueux, en fait non, pas du tout …
Aragon a adoré son texte « il n’y a pas d’amour heureux » mis en musique par Brassens alors que celui-ci en a éliminé, non seulement une strophe mais aussi le vers de la conclusion.
Idem pour « Le Petit cheval », Brassens a transformé le « Eux derrière et lui devant » en « Tous derrière et lui devant », ce qui sonne infiniment mieux et Paul Fort à applaudi à cette modification.
Florent, je suis en train de relire le livre de Vian. Beaux propos sur Brassens mais aussi sur Trent qu’il admire tout autant.
Trent Reznor ? Ou Charles Trenet ? :tongue:
Le livre vaut surtout pour la truculence de son style et sa description du monde de la zik d’alors. Pas si surranée que ça d’ailleurs puisque ce sont les mêmes rouages en action actuellement
Oups, la faute d’orthographe !
Je finis le livre à l’instant … je l’ai commencé à 18H et ne l’ai quasiment pas lâché.
Emission sur Brassens ce soir à 23H sur la 3.
Je pense qu’elle sera mieux que l’émission de 21H (Carla Bruni, Elodie Frégé … qui interprètent Brassens).
Documentaire EXCEPTIONNEL 🤗🤗🤗🤗
Oui, magnifique !!! :wub:
Il y a eu ci-dessus une petite discussion sur le fait que Brassens a éliminer deux strophes d’Antoine Pol. Ces deux strophes, j’ai essayé de les chanter, elles se prêtent bien moins à la mise en musique que les autres.
Mais surtout, après quelques recherches, il y a deux autres suppositions pour lesquelles Brassens les auraient éliminées.
– La première concerne le côté universel de la chanson. Avec des phrases telles que « à la compagne de voyage … » ou « à celles qui sont déjà prises », la formulation reste vague et chacun peut se sentir concerné par la phrase qui a une portée universelle. Mais dans le couplet éliminé que voici …
A la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulut rester inconnue
Et qui n’est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal
… c’est bien trop précis et comme l’auditeur n’a sans doute pas connu de souple et triste valseuse par une nuit de carnaval, il se sent forcément peut concerné par ce vers.
– la deuxième concerne l’autre couplet éliminé par tout le monde, y compris par Maxime le Forestier :
A ces timides amoureuses
Qui restèrent silencieuses
Et portent encor votre deuil
A celles qui s’en sont allées
Loin de vous, tristes esseulées
Victimes d’un stupide orgueil.
Dans ce couplet, on passe d’un seul coup du point de vue masculin (celui de tous les autres couplets) au point de vue féminin avant de revenir ensuite au point de vue masculin. Cela enlève énormément de force au texte.
Peut-être que tout cela explique le fait que le poème n’ait pas été remarqué à l’époque de sa parution.
Une très belle interprétation de la chanson par Pierre Richard :
Cette mélodie est tellement belle :wub: … Que le fait que la chanson soit interprétée en Français , en Italien ou en anglais , il en ressort toujours une émotion certaine .
Tiziano Ferro
Graeme Allwright
A noter que la chanson a également été reprise par les musiciens classiques. Le quatuor Enesco et Roland Dyens en ont fait une superbe version en 1993. Pas de trace de ce disque sur youtube.
https://www.france.tv/documentaires/art-culture/1375871-brassens-par-brassens.html
Version Jazz … :whistle:
Version Châabi HK :ninja:
Autres morceaux, plusse nordiques façon pays de la frite… Géniales ces versions Belgo-Kabyles !
Un peu de Vian passé à la moulinette
Et Ferré / Aragon
Comment ça je trouve que HK est un digne successeur du Grand Georges ? :blush:
Je connais Alexis HK que j’ai entendu sur scène chanter Brassens mais pas HK. J’avais cru que HK était une abréviation de Alexis HK, mais non.
Connaissant mal la musique, je ne sais pas analyser la richesse de la musique des passantes. Mais ce que je constate – et peut être que c’est lié à cette richesse – c’est que la suite d’accords n’est pas habituelle. Ce n’est pas courant les morceaux de musique qui commencent par Fa et Mi7. Et le passage La7-Ré-Lam me semble peu fréquent. Et enfin, les deux transitions (Mi majeur à la fin de la première moitié du couplet et Do7 à la fin du couplet) me semblent créer une véritable dynamique. En tous les cas, il y a un vrai plaisir à chanter tout ça malgré la difficulté (ce n’est pas facile que ça à chanter).
Magnifique !
Demain matin, départ pour la Belgique avec un programme de week-end un peu chargé : visite de la brasserie Lupulus (dont les bières font partie des meilleures bières belges, et donc du monde) et le festival Brassens de Liège.
Je vous en dirai plus avec sans doute un article lundi.
Ma dernière caisse prise c’était avec la Lupulus…. Je ne m’étais pas raté ce soir-là, avec mes compagnons d’ivresse
On peut recauser de la primauté mondiale des bières belges, ça s’è-frite tellement l’offre mondiale est impressionnante actuellement :ninja:
On en reparlera … devant un verre de Lupulus !