Cet article a été écrit pour le bulletin annuel de la Société d’Histoire Naturelle du Doubs, dans lequel il paraîtra prochainement. Je me suis dit qu’il pouvait aussi intéresser les lecteurs de ce blog.
Nul doute que pour un œil profane, le guêpier est l’un des oiseaux de notre région les plus spectaculaires. La palette de couleurs du plumage est telle qu’on se dit qu’il y a là « un miracle de la nature ».
Dans les dernières décennies du 20ème siècle, les Franc-comtois amoureux des oiseaux qui avaient envie de « se rincer l’œil » allaient observer cette espèce, rare à l’époque, dans la basse vallée du Doubs, à la limite de la Saône et Loire, sur le secteur de Champdivers, Petit-Noir, … Quand était-il arrivé dans notre région ? Aucune réponse sûre à cette question. La seule certitude est que le premier couple nicheur y a été noté en 1977 (Pierre Piotte). La population du Bas-Jura n’a eu cesse d’augmenter durant ces décennies-là, jusqu’à atteindre 163 couples en 2002. A cette époque, cette population jurassienne de guêpiers représentait la quasi-totalité de l’effectif franc-comtois.
A partir du début de notre siècle, la situation a évolué rapidement et l’espèce est partie, avec succès, à la conquête de nouvelles rivières franc-comtoises. Quelle est la raison de cette extension ? Sans doute que les changements climatiques globaux sont en bonne partie responsables de cette évolution, car il semble assez logique que de nouveaux espaces plus au nord soient conquis les uns après les autres. Mais il y a sans doute aussi une dynamique interne propre à l’espèce, accentuée par la grande capacité d’adaptation de cet oiseau qui tolère plutôt bien la présence humaine, notamment celle des pêcheurs et autres usagers du milieu aquatique.
Tous les dix ans, la LPO Franche-Comté réalise un inventaire régional des effectifs de guêpiers et les chiffres donnés dans cet article proviennent des recensements successifs qui ont été effectués par cette association régionale.
En 2005, pour la basse vallée du Doubs, on était à un niveau très haut : 407 couples (un chiffre inégalé depuis), soit 93% de l’effectif régional. C’est la première fois qu’apparaissait cependant le guêpier dans la vallée de l’Ognon, mais très timidement (un seul couple).
Dix ans plus tard, en 2015, les effectifs de la basse vallée du Doubs ont fortement diminué : 146 couples, soit 2,8 fois moins qu’en 2005. Par contre, l’augmentation était importante au niveau de la vallée de l’Ognon (37 couples), cette rivière devenant alors la deuxième rivière franc-comtoise pour la reproduction du guêpier, suivie par la Loue (17 couples), la Lanterne (10 couples) et la Saône (9 couples). A noter que cette étude 2015 a montré non seulement une baisse importante du nombre de guêpiers sur l’ensemble de la Franche-Comté (226 couples contre 436 couples 10 ans plus tôt) mais aussi une tendance très nette à l’éclatement des colonies : un plus grand nombre de colonies certes (52 au lieu de 39 en 2005), mais beaucoup moins de couples par colonie (68 couples dans la plus grosse colonie en 2005, 38 seulement en 2015 ; moyenne de 4 couples seulement par colonie en 2015 au lieu de 11 en 2005).
Depuis quelques années, je surveille attentivement mon secteur situé dans la partie de la vallée de l’Ognon qui est la plus proche de Besançon. Je n’y avais noté jusqu’à présent que quelques couples peu nombreux, dont un isolé à quelques centaines de mètres de la maison. Mais en 2019, j’ai commencé de mener une prospection systématique de mon secteur. Enfin, j’espérais le faire ! Car dès le premier jour de prospection le long de la rivière, je suis tombé sur une très belle colonie, dans un endroit superbe. Alors je me suis contenté d’en prendre « plein les yeux », je ne suis d’ailleurs pas allé plus loin, je suis resté tout bêtement là à observer cet oiseau magnifique. Cette première année, je n’ai pas vraiment estimé le nombre de couples mais je pense qu’il pouvait y en avoir une douzaine.
Et, évidemment, j’y suis retourné en 2020, bien plus sérieusement, bien plus assidûment (une vingtaine de visites). Dès le début de la saison, j’ai senti qu’il y avait plus d’activité que l’année précédente. Par recoupements successifs, j’ai estimé la population de la colonie à une bonne quinzaine de nids, sans doute 17 ou 18. Ce chiffre m’a été confirmé en juin car, en pleine période de couvaison, les oiseaux se sont soudainement envolés des terriers (j’étais avec Gilles S, nous n’avons pas compris la cause de leur frayeur, si frayeur il y avait …, et nous avons alors compté 31 oiseaux au vol). Chiffre important donc, car la taille moyenne des colonies est de 4,3 couples en Franche-Comté (recensement 2015).
Que dire sur l’activité du guêpier ? Pour schématiser, de manière assez approximative, disons que la vie de cet oiseau est très phasée avec le rythme mensuel :
- En mai, tous les guêpiers reviennent de migration et se mettent très vite à l’ouvrage : formation des couples (pour les couples qui ne seraient pas encore appariés), creusement des trous de nidification dans les berges de la rivière (au moins 5kg de terre évacuée pour un tunnel qui fait toujours plus d’un mètre de profondeur, parfois 2 mètres), accouplements …
- En juin, c’est la période de la couvaison. Celle-ci dure trois semaines environ. Le site est alors bien plus calme, mais mâle et femelle se relaient souvent sur le nid (au moins toutes les demi-heures), d’où une certaine activité tout de même dans la colonie.
- En juillet, c’est l’effervescence, ça vole de partout ! Les oisillons (en général 6 par nid) sont nourris sans cesse, parfois une visite par nid toutes les minutes, mais avec parfois de longues pauses dans la journée. Autant dire que pour une bonne quinzaine de nids, il y a un va-et-vient incessant, parfois un nourrissage toutes les 10 secondes dans la colonie. Ce mois de juillet, notamment pendant la période allant du 15 au 25, est donc, en raison de cette activité tonitruante, le meilleur mois pour observer les guêpiers sur leur site de nidification.
- En août, c’est l’envol des jeunes puis leur apprentissage, sous tutelle parentale, de la chasse aux insectes. Dès le début du mois, l’activité dans la colonie décroît puis cesse complètement. Tous les oiseaux sont déjà ailleurs, les jeunes apprennent à subvenir à leurs besoins sur un secteur assez vaste, se regroupant toujours le soir pour passer la nuit ensemble (dans ma commune, il y a eu pendant une semaine à la fin août une centaine de guêpiers qui passaient la nuit à la cime d’une vieille plantation de peupliers, ils s’envolaient tous ensemble vers 8H30 le matin pour ne revenir sur le lieu que le soir). Désormais, je vois chaque année des groupes d’une centaine d’individus qui survolent mon jardin ou ma maison à la fin août. C’est devenu chose courante et cela témoigne de la très bonne reproduction du guêpier dans la vallée de l’Ognon.
- Au début septembre (dans les tous premiers jours, au plus tard le 10), c’est le départ général. Direction l’Afrique (les guêpiers ignorent le confinement) !
La nourriture du guêpier est composée uniquement de gros insectes. Dans le cas de la colonie que j’ai suivie, il y a eu une prédominance de libellules jusqu’au début juillet, puis au fil des semaines qui passaient une très grosse dominante de diptères (taons notamment) et d’hyménoptères (énormément de bourdons, mais aussi des abeilles, des guêpes et, plus rarement, quelques frelons). J’ai estimé qu’au début juillet il y avait un minimum de 1000 libellules (essentiellement des grosses espèces) capturées quotidiennement par les guêpiers de cette colonie.
Cela suppose une très forte richesse du milieu naturel à proximité immédiate de la colonie (car les guêpiers ne vont pas chasser bien loin s’ils le peuvent). Dans le cas présent, l’existence d’un bras mort de la rivière, très productif, permet de répondre aux exigences alimentaires de la colonie.
D’autres observations faites par ailleurs dans la vallée me laissent à penser que le chiffre de 37 couples (dernier recensement LPO de 2015 pour la vallée) est déjà largement dépassé (les deux colonies que je connais sur mon secteur atteignent à elles seules ce chiffre).
A suivre donc avec attention dans les années qui viennent, mais tout porte à croire que la vallée de l’Ognon est devenue, malgré la forte baisse des effectifs au niveau régional, « un bastion fort » de la population de guêpiers en Franche-Comté. Pour le plus grand plaisir des yeux des habitants du secteur !