Je viens de me livrer à une très belle expérience : lire un bouquin en écoutant simultanément les musiques dont parle le livre en question. Il s’agit en l’occurrence d’un magnifique ouvrage de Christophe Delbrouck , très étayé (450 pages), sur l’histoire du jazz-rock vue à travers le groupe Weather Report.
Il s’agit-là d’une époque (la décennie des années 70) que j’aime beaucoup et qui a permis de ramener au jazz un large public après une certaine désaffection suite aux errances et aux excès du free jazz des années 60 (c’est du moins ce qu’on dit, il s’agit là d’une opinion largement partagée mais … que je ne partage pas, il n’y a jamais eu d’errances ou d’excès, il y a juste eu une voie particulière qui a été explorée et qui a d’ailleurs donné de bien belles choses … et d’autres moins bien).
Le livre présente le cheminement de deux grands musiciens qui seront à l’origine de la création de Weather Report : Joe Zawinul et Wayne Shorter. Au fil des pages, on suit leur parcours musical depuis la fin des années 50. L’un va faire ses armes avec le grand orchestre de Cannonball Aderley, l’autre avec Miles Davis.
Ce dernier, avec son célèbre second quintet, va d’ailleurs être le précurseur de ce qui va arriver en 1969 : la naissance du jazz-rock (que l’on appellera plus tard « jazz-fusion » et que Delbrouck appelle à juste titre dans son livre « jazz électrique »). En effet, après cette période du second quintet, Miles Davis publiera un magnifique disque de jazz électrique : Bitches Brew qui sort dans les bacs quelques mois seulement après le premier disque de jazz rock de l’histoire (Hot Rats de Frank Zappa). Nouveau changement de direction donc pour Miles Davis (qui a souvent dit à l’époque à quel point il a été marqué par les musiciens rock des années 60, notamment Jimi Hendrix, et par les musiciens de musique funk : surtout James Brown et Sly & the Family Stone).
Wayne Shorter et Joe Zawinul participent tous deux à ce grand disque révolutionnaire de Miles Davis. Mais à partir de cette date, ils voleront de leurs propres ailes et créeront le groupe le plus célèbre de toute l’histoire du jazz électrique : Weather Report qui dominera toute la décennie 70 (d’autant plus qu’à cette période Miles Davis, pour des raisons de santé, sera complètement absent de la scène musicale pendant une longue période de six années). Weather Report durera 15 ans, publiera 15 albums et fera autant de tournées mondiales (un disque et une tournée par an). Le groupe sera rejoint en 1976 par le bassiste Jaco Pastorius pour une série de disques grandioses dont beaucoup resteront dans les annales (Black Market, Heavy Weather, Night Passage …).
En lisant cette histoire du jazz électrique, j’ai écouté simultanément et quasi-systématiquement les disques cités dans le livre. Pas seulement ceux de Weather Report, mais également ceux produits par Zawinul et Shorter avant la naissance du groupe ou ceux produits par d’autres artistes à la même époque. Par exemple, si je lisais dans le bouquin qu’au moment où Weather Report sortait tel disque, Herbie Hancock ou Chick Corea en sortaient chacun un autre, j’écoutais les disques en question, parfois tout en continuant de lire le bouquin, parfois en le posant et en me laissant aller à une écoute bien plus attentive. J’ai ainsi écouté tous les disques importants de cette période (Billy Cobham, Stanley Clarke, Return To Forever, Mahavishnu Orchestra, Jean-Luc Ponty, …).
J’ai adoré procéder ainsi. Je crois m’être à peu près approprié l’essentiel de ce qu’a été le jazz électrique de la décennie 70. Avant la lecture du bouquin, je connaissais assez bien les disques de cette époque mais le livre m’a permis de comprendre un peu mieux comment tout ça s’est construit, la cohérence du cheminement de chacun des artistes, les relations entre les musiciens (j’ai par exemple intégré le fait que Weather Report est avant tout le fruit d’une amitié à toute épreuve entre deux musiciens exceptionnels) et ça m’a surtout permis de revoir avec un certain recul cette époque particulière à travers le prisme particulier de la musique. Et puis j’avais 15 ans quand le premier disque de jazz-rock est sorti ! Autant dire qu’à cet âge-là j’avais une soif insatiable de musique (qui ne m’a d’ailleurs jamais quitté depuis). Je me rappelle avoir vécu toutes ces musiques avec passion. Des dizaines d’années plus tard (j’ose pas calculer !), pas besoin de vous dire que je viens de les revivre avec beaucoup de pincements au coeur.
Toute cette lecture et ces écoutes simultanées se sont déroulées il y a quelques semaines. Je ne suis d’ailleurs pas encore complètement sorti de cette expérience, j’ai réécouté depuis, une deuxième fois, la plupart des disques cités dans le livre. Et, histoire de croiser différentes sources biographiques, j’ai aussi consulté tous les articles de Wikipedia sur le sujet (ils sont très très complets et très synthétiques, voir par exemple les articles concernant Miles Davis ou Herbie Hancock). Et – pure coïncidence – au moment où je menais cette expérience lecture/audition, sortait enfin l’intégrale des disques de Weather Report !
Allez hop, avant de vous quitter, un concert complet de Weather Report en Allemagne en 1978 (l’image n’est pas de très bonne qualité mais reste potable tout de même).
On peut dire que tu vas au fond des choses. J’aime beaucoup cet état d’esprit.
Bravo Bernard.
Dans un autre genre de jazz, un coffret de Duke Ellington que je connais par coeur et dont le prix est désormais bradé : 5 € les 10 CD !
Dans un autre genre musical (mais c’est la même époque), un truc qui décoiffe, Nina Hagen avait 23 ans …
(j’avais déjà mis la vidéo sur le blog il y a quelques années)
Quand je pense que j’ai jeté les « titis » de mes enfants et que j’aurais pu en faire de magnifiques boucles d’oreilles ! :angry: :w00t:
Je ne saurais dire à qui revient la palme de l’excentricité entre Nina Hagen et Klaus Nomie :blink:
Toujours aussi agréable d’écouter (même en retard) ta passion communicative.
Du coup ça donne envie de ressortir des vieux disques un peu oubliés …
Une bonne émission sur France Musique ou France Culture ou une radio « libre »
voila qui te siérait bien. Je connais par exemple dans le Sud,sur Radio Galere, « Dixie » le samedi soir, par un amateur passionné de country et blues .C’est pas un pro mais c’est bien fait. C’est un créneau limité mais inépuisable.
Bien sûr tout cela te regarde, les conseilleurs ne sont pas les payeurs…..C’est juste le regret que ta culture ne soit pas plus partagée…(Cela n’enlève rien à la qualité et la sincérité de tous les très sympathiques blogueurs d’ici- dont moi, bien sûr)
Hou la la non, pas assez connaisseur des sujets musicaux que je traite ici sur le blog, tout juste bon pour partager un peu de ma passion à quelques personnes. Et avec mon affreuse voix d’ours franc-comtois … :angry:
D’accord n’en parlons plus….mais je donne le lien, on voit que c’est tranquille,
sans prétention.Par l’intitulé, en bas, « archives de l’émission », on peut se faire une idée de son répertoire.
http://www.radiogalere.org/programme/dixie
En attendant, les « quelques personnes » dont tu parles, savent bien apprécier tes présentations, tellement variées ! C’est le luxe des élites, qu’est ce qu’on y peut ?
Bauvais nouvelle ce matin au réveil, avec la mort de l’un des plus grands pianistes : Chick Corea.
https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/02/11/le-pianiste-chick-corea-legende-americaine-du-jazz-est-mort-a-79-ans_6069653_3382.html
Il était le pianiste du premier disque de Miles Davis que j’ai écouté (Bitches Brew, 1969).
Un concert complet de 2018 :
Ah oui, un très grand, vu à Besançon il y a longtemps sur l’information d’un copain : je ne connaissais pas Chick Corea.
Un des concerts les plus époustouflants de ma vie.
Malgré son status de dieux vivant, Chick promotionnait de jeunes pianistes, comme ici pour une performance virtuose avec hiromi.
Merci à lui pour ce qu’il laisse derrière lui…
A noter que la carrière de Chick Corea a commencé en 1968 lorsqu’il a dû remplacer au pied levé, lors d’un concert, Herbie Hancock dans le groupe de Miles Davis.
D’après leMonde, Miles lui aurait alors juste donner la consigne suivante « Joue la musique que tu entends ». C’était ça Miles Davis !
Wayne Shorter, l’un des plus grands saxophonistes de l’histoire du jazz vient de décéder.
C’est la deuxième fois que je l’entends aujourd’huis à la radio, et ce n’est pas fini: BRAVO!
Il a été remarqué la première fois en 1951 lorsqu’il a joué aux côtés de Sonny Stitt !
Plus de 70 ans de carrière musicale donc !
Un autre géant : Sonny Rollins a 93 ans cette année !
La musique ça conserve !
Je reviens sur Weather Report.
Pour moi, dans le jazz, la décennie 60 a été dominée, d’un point de vue créativité, par le second quintet de Miles Davis (je sais que Luc partage mon avis sur le sujet). Après la dissolution de ce quintet, deux disques majeurs (le début de « la révolution électrique ») ont été publiés par Miles Davis : In a silent way et Bitches Brew. Sur ces deux disques, deux musiciens extraordinaires : Wayne Shorter et Joe Zawinul. Ce sont ces deux musiciens qui ont continué l’expérience électrique de Miles Davis (celui-ci ayant été en grande partie absent de la scène musicale des années 70) et l’ont portée à un très haut niveau en créant Weather Report.
« La musique ça conserve ! »
Ouais.
Par exemple: Schubert, Chopin, Weber, Lekeu, Lili Boulanger… et plus près de nous Kurt Kobin, Jim Morrison, J. Hendrix, Amy Winhouse (on pouvait penser que l’alcool conservait!), Brian Jones… :devil:
Henry Purcell, Pergolèse, Mozart, Janis Joplin, Nick Drake, Buddy Holly, Gene Vincent, Eddy Cochran …
L’alcool conserve … les cornichons !
Les points de suspension était pour compléter la liste. Bien.
Sinon, les cornichons c’est pour moi ?
Dans ce cas, je ne peux même pas dire le contraire ! :silly:
A propos de Brian Jones dont tu as parlé, je suis en train de terminer un super bouquin : « Life » de Keith Richards. La vie des Stones donc vue par son guitariste. Il ne fait pas un portrait très élogieux de Brian Jones. Ni de Mick Jagger d’ailleurs.
Nul n’est parfait… les Stones encore moins, donc !
Tous les livres que je lis sur la musique du 20ème siècle, que ce soit celui de Miles Davis, des Grateful Dead, de Keith Richards … ont ce point commun : ils montrent l’importance de la drogue dans les milieux musicaux. Je ne sais pas comment ça se passe aujourd’hui dans le rock, le jazz, … , mais à l’époque des années 60 et 70, wouah !!!
Comme si la musique ne suffisait pas pour sortir de soi ! (c’est cet aspect-là qui m’interpelle le plus)