J’ai toujours aimé les cimetières. Allez savoir pourquoi. Peut-être parce qu’il s’agit de lieux chargés d’émotion, chargés d’histoire. Je me rappelle d’ailleurs avoir écrit un premier article sur le sujet.
En novembre dernier, lors d’une petite escapade à Venise, je suis allé à San Michele, un cimetière qui occupe entièrement l’une des îles de la lagune. Le cimetière est reconnaissable de loin. Tous les bateaux qui partent en direction des îles de Burano et de Murano passent devant ce lieu. Mais peu s’y arrêtent.
Le cimetière de Venise est étonnant. Paisible comme tous les cimetières. Mais la qualité architecturale lui donne un cachet particulier.
Si j’avais tant tenu à aller dans ce lieu, c’est parce que le corps d’Igor Stravinski y repose. Le sacre du printemps est pour moi l’une des plus grandes partitions ayant jamais été écrite, je me devais de faire cette petite visite à son auteur. Stravinski y est enterré dans l’un des cimetières intérieurs au centre de l’île (en fait, il s’agit non pas d’un unique cimetière mais d’un ensemble de cimetières), probablement l’endroit le plus calme de l’île. Stravinski est mort à New York en 1971 mais c’est à Venise qu’il sera enterré, selon ses dernières volontés, à côté de don épouse Véra.
Juste à côté, dans un coin très ombragé, repose Serge Diaghilev, mort bien plus tôt, en 1929. Ce nom vous dit quelque chose ? Il s’agit de l’inventeur des fameux ballets russes. Mais Diaghilev est surtout connu pour avoir commandé à des compositeurs des oeuvres fameuses dont justement le sacre du printemps, oeuvre révolutionnaire qu’il a demandée à Stravinski en 1913 (Diaghilev a commandé, puis interprété avec ses ballets russes, de nombreuses autres oeuvres à Ravel, Debussy, Satie, Prokofiev, Richard Strauss et Poulenc …).
Comme je suis en train de trier des photos sur Venise, cet article est le premier d’une série qui pourrait durer toute la semaine. Mais pas de panique, il n’y aura pas que des tombes (juste encore une !).
Au juste, c’est un article sur les cimetières ou bien sur les compositeurs ? lol
Le plus adorable cimetière que j’ai vu (oui, je sais, dire qu’un cimetière est adorable est un peu osé !) se situe en Suisse, à Lauterbrunnen, petit village à côté de Grindelwald dans le Massif de l’Oberland Bernois.
Chaque pierre tombale était un rocher de granit à l’état brut sur lequel était accroché le piolet et la corde de la personne enterrée.
« J’aime pas la mort, j’aime les vieux cimetières ».
Reiser
La ballade des cimetières de Georges Brassens :
J’ai des tombeaux en abondance
Des sépultur’s à discrétion
Dans tout cim’tièr’ d’quelque importance
J’ai ma petite concession
De l’humble tertre au mausolée
Avec toujours quelqu’un dedans
J’ai des p’tit’s boss’s plein les allées
Et je suis triste, cependant…
Car je n’en ai pas, et ça m’agace
Et ça défrise mon blason
Au cimetièr’ du Montparnasse
A quatre pas de ma maison
J’en possède au Père-Lachaise
A Bagneux, à Thiais, à Pantin
Et jusque, ne vous en déplaise
Au fond du cimetièr’ marin
A la vill’ comme à la campagne
Partout où l’on peut faire un trou
J’ai mêm’ des tombeaux en Espagne
Qu’on me jalouse peu ou prou…
Mais j’n’en ai pas la moindre trace
Le plus humble petit soupçon
Au cimetièr’ du Montparnasse
A quatre pas de ma maison
Le jour des morts, je cours, je vole
Je vais infatigablement
De nécropole en nécropole
De pierr’ tombale en monument
On m’entrevoit sous un’ couronne
D’immortelles à Champerret
Un peu plus tard, c’est à Charonne
Qu’on m’aperçoit sous un cyprès…
Mais, seul, un fourbe aura l’audace
De dir’ : « J’l’ai vu à l’horizon
Du cimetièr’ du Montparnasse
A quatre pas de sa maison »
Devant l’château d’ma grand-tante
La marquise de Carabas
Ma saint’ famille languit d’attente
« Mourra-t-ell’, mourra-t-elle pas ? »
L’un veut son or, l’autre veut ses meubles
Qui ses bijoux, qui ses bib’lots
Qui ses forêts, qui ses immeubles
Qui ses tapis, qui ses tableaux…
Moi je n’implore qu’une grâce
C’est qu’ell’ pass’ la morte-saison
Au cimetièr’ du Montparnasse
A quatre pas de ma maison
Ainsi chantait, la mort dans l’âme
Un jeune homm’ de bonne tenue
En train de ranimer la flamme
Du soldat qui lui était connu
Or, il advint qu’le ciel eut marr’ de
L’entendre parler d’ses caveaux
Et Dieu fit signe à la camarde
De l’expédier rue Froidevaux…
Mais les croqu’-morts, qui étaient de Chartres
Funeste erreur de livraison
Menèr’nt sa dépouille à Montmartre
De l’autr’ côté de sa maison
En version jazz par D’jazzy D’Georges :
http://www.youtube.com/watch?v=DhvGHKW8HmM
Et la version originale de Brassens :
http://www.deezer.com/track/la-ballade-des-cimetieres-T1584356
Sais-tu Bernard, qui fut à l’origine du cimetière de San Michele ? Je te le donne en mille : Napoléon Ier !
« C’est par l’édit de Saint-Cloud de 1804 que Napoléon, alors maître de la ville, décide pour des raisons d’hygiène (particulièrement problématique dans une lagune) de fermer les petits cimetières paroissiaux lesquels, comme partout en Europe, entouraient les églises ».
Si vous voulez en savoir plus, consultez le site des « sépulturophiles » :
« Cimetières de France et d’ailleurs »
Morbidité garantie !
http://www.landrucimetieres.fr/spip/spip.php?article1474.
Et pour le premier (?) mardi musical du blog, à destination de ceux qui aiment autant le baroque que le jazz, une rencontre entre deux immenses musiciens : Vivaldi et Piazzolla
http://www.youtube.com/watch?v=VvEkpJl2aM4&feature=PlayList&p=B7B28548D7425FE8&playnext=1&index=43
Enfin, pour les amants de Venise, de la musique et de la littérature, je recommande une fois encore « Concert baroque », d’Alejo Carpentier.
« A Venise, pendant le carnaval, un Mexicain déguisé en Moctezuma rencontre Vivaldi. Puis Scarlatti et Händel se joignent à eux pour visiter un couvent de nonnes musiciennes et pour aller prendre un petit déjeuner sur la tombe d’Igor Stravinski. Car les chronologies s’enchevêtrent dans ce merveilleux concert baroque où la musique, forme sublimée du temps, mène le récit. Si Vivaldi avait pris la plume, il n’aurait pas écrit autrement ce Concert baroque. » (119 pages) Amazon. 3,52 Euros (port gratuit).
Tiens, je le proposerais bien pour un prochain « Et si nous parlions de nos livres préférés ? »
Oui, je suis en train d’organiser les prochaines discussions sur nos bouquins préférés. Se sont donc déjà manifesté Oetincelleo, BF15, Brind’paille et toi Robert. Ce qui va nous mener jusqu’en juillet.
A la bonne heure ! Te voilà encore occupé à une chose absolument utile.
Organise, organise, Dupdup !
Nous voici donc déjà rendus en juillet. A raison d’un livre par mois et par blogueur, nous n’allons pas tarder à bâtir des plans sur la comète.
Imagine : des années de lecture d’avance.
Des bouquins pour notre présence ici bas. Des bouquins à lire dans l’au-delà.
Des bouquins à acheter pour notre bibliothèque de San Michele… et une discussion pour l’éternité avec anges et démons !
Le pied intégral !
Ce concert baroque dont parle Robert est bien alléchant.
Certainement une bonne idée de proposition pour « Et si nous parlions de nos livres préférés ».
Qu’il soit ou non le sujet d’une future discussion, de toute façon, je le commande illico presto.
Ouaip, et en plus Robert, si les « cops » nous proposent des auteurs que nous ne connaissons pas du tout, il faudra prendre après l’éternité, une option sur une deuxième vie!
Je termine à l’instant « la vierge froide » et je cours en acheter un autre…
Du bas-Rock … AAhhh c’est bon ça !!!
Je ne connaissais pas Jorn et il me le fit rencontrer.
Tu ne savais rien d’Alejo et je le fis découvrir…
Et, oui, Luc, ainsi en va-t-il :
« Nous n’irons plus au but un par un mais par deux. Nous connaissant par deux nous nous connaîtrons tous, nous nous aimerons tous et nos enfants riront, de la légende noire où pleure un solitaire ». Paul Eluard (Notre vie)
Yvon, piace a te questo poema ?
Bonsoir,
Le père Igor à Venise ? J’ignorais .
Merci pour l’info et les jolies photos .
Je n’ai pas mieux à proposer mais ,
une info pour les latinistes , le père Félix :
l’auteur de leur incontournable « Gaffiot »
repose en paix à Liesle (25 F)
È un poema molto bello Robert !
Mon passé se dissout je fais place au silence.
LE SECRET DE LA VIE
Le secret de la vie est dans les tombes closes :
Ce qui n’est plus n’est tel que pour avoir été ;
Et le néant final des êtres et des choses
Est l’unique raison de leur réalité.
O vieille illusion, la première des causes !
Pourquoi nous éveiller de notre éternité,
Si, toi-même n’étant que leurre et vanité,
Le secret de la vie est dans les tombes closes.
Hommes, bêtes et Dieux et monde illimité,
Tout cela jaillit, meurt de tes métamorphoses.
Dans les siècles, que tu fais naître et décomposes,
Ce qui n’est plus n’est tel que pour avoir été.
A travers tous les temps, splendides ou moroses,
L’esprit, rapide éclair, en leur vol emporté,
Conçoit fatalement sa propre inanité
Et le néant final des êtres et des choses.
Oui ! sans toi, qui n’es rien, rien n’aurait existé :
Amour, crimes, vertus, les poisons ni les roses.
Le rêve évanoui de tes oeuvres écloses
Est l’unique raison de leur réalité.
Ne reste pas inerte au seuil des portes closes,
Homme ! Sache mourir afin d’avoir été ;
Et, hors du tourbillon mystérieux des choses,
Cherche au fond de la tombe, en sa réalité,
Le secret de la vie.
Charles-Marie LECONTE DE LISLE (1818-1894)
Je n’ai pas beaucoup aimé Leconte De Lisle (1818-1884).
J’ai beaucoup aimé son contemporain, Baudelaire (1821-1867).
Selon le premier, « la poésie doit rester impersonnelle (le poète ne doit pas chanter son ego) ; le poète doit privilégier le travail de la forme plutôt que se laisser aller à sa seule inspiration débridée ; il doit viser la beauté, dont l’antiquité (grecque, hindoue, nordique, etc.) fournit les modèles absolus ; par opposition aux sentiments, la science, guidée par la raison, constitue un champ d’expression infini ; le poète ne doit pas s’impliquer dans la vie moderne. »
Voir le portrait du bonhomme :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Leconte_de_Lisle#Id.C3.A9es_litt.C3.A9raires (pas d’agrandissement en haute résolution)
Il en va tout autrement pour pour Baudelaire.
Baudelaire a tenté de tisser et de démontrer les liens entre le mal et la beauté, le bonheur et l’idéal inaccessible (À une passante), la violence et la volupté (Une martyre), entre le poète et son lecteur (« Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère »), entre les artistes à travers les âges (Les Phares). En parallèle de poèmes graves (Semper Eadem) ou scandaleux pour l’époque (Delphine et Hippolyte), il a exprimé la mélancolie (Mœsta et errabunda) et l’envie d’ailleurs (L’Invitation au voyage). Il a aussi extrait la beauté de l’horreur (Une charogne).
Voir le portrait du bonhomme en haute résolution : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/52/Baudelaire_crop.jpg
Leconte De Lisle a vécu 66 ans. Adulé par les pouvoirs successifs, il termine sa carrière à l’Académie française.
Les Fleurs du mal paraissent en 1857 à 500 exemplaires. Le recueil sera poursuivi pour « offense à la morale religieuse » et « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». Baudelaire meurt de la syphilis à 46 ans.
Deux conceptions opposées de la poésie. Deux conceptions opposées du monde. Deux manières différentes de vivre, tout simplement.