Sur les indications de Christophe, je vais maintenant régulièrement sur le site d’un jeune anglais ornithologue qui habite à Besançon et qui réalise ses observations d’oiseaux le long du Doubs, la plupart du temps en aval de la ville. C’est un passionné d’oiseaux doublé d’un talent fou pour le dessin et l’aquarelle. Christophe m’a dit que ce gars-là a déja réalisé des milliers d’aquarelles. Allez faire un tour sur le site, vous serez conquis par le travail de l’artiste :
http://www.surfbirds.com/blog/besancon/
oui t’as raison, c’est super beau !
Merci Bernard de nous faire découvrir ce site, j’ai trouvé tout comme toi qu’il a un incroyable talent mélangeant l’art et la passion de l’ornithologie.
Je ne le connaissais pas, mais ça donne envie de le rencontrer !!
Hé Nico, c’est probable que tu l’aies déjà croisé sans le savoir. La zone en aval de Besac, c’est bien l’une de tes zones de prédilection, non ?
Un bon truc pour reconnaître Nick : il traîne effectivement souvent le long du Doubs et il est de la génération piercing !
Sinon, c’est effectivement un mec bourré de talent et qui dessine de la main gauche.
J’ai un frangin gaucher, un père ambidextre (disons plutôt battu par ses maîtres pour ne pas écrire avec la main du diable) et devenu enseignant, je suis naturellement admiratif devant les stratégies mises en œuvre par les gauchers qui doivent écrire de gauche à droite (ne sont-ils pas plus heureux avec l’écriture arabe ?).
Mais j’ai surtout eu la chance de voir Nick dessiner : au départ on se dit que les coups de crayon jetés à toute vitesse sont des ratés et que tenir ainsi son outil ne peut mener à rien… il suffit de 5 secondes pour réaliser son erreur : le bougre maîtrise gravement son geste, et d’un amas de traits surgit ce qui se trouve dans l’occulaire de la longue-vue. Magique.
Avis aux amateurs : Nick vend ses œuvres difficilement, il ne dispose pas de voiture et le simple fait de l’avoir promené une fois à Baume-les-Messieurs m’a gratifié d’une belle journée de naturaliste et plus tard… d’une magnifique aquarelle de Bruant fou.
Vraiment (et littéralement) fascinante cette capacité à faire « revenir » – et même « revivre » – d’un coup de plume un animal, un personnage, un événement !
Ça ait écho pour moi à ce qu’avait dit Pascal Quignard, dans la discussion précédente sur la poésie, sur le pouvoir de l’image (plus « archaïque » que celui du sens).
Cela me fait également (et surtout) au magnifique Préhistoires de Jean Rouaud, qui imagine comment le « petit nabot » capable de dessiner les mammouths a pu progressivement prendre le pouvoir au « grand caïd » qui ne savait que les chasser.
Voilà, comment Jean Rouaut imagine la scène. Le « il » est justement l’avorton (incapable d’aller chasser tant il est malingre, juste bon à rêver la vie qu’il aurait pu mener si le hasard l’avait davantage favorisé), qui pourrait être à l’origine de l’art :
(…) « Tout à l’heure, à l’écart du foyer, tendant l’oreille pour ne pas perdre une miette des récits du conteur, il a vu la main au-dessus des flammes tracer dans la nuit rougeoyante le crâne et l’encolure d’un mammouth, et c’était comme si le puissant animal avait un court instant surgi du brasier avant de se fondre dans les ténèbres. Il n’a pu s’empêcher une fois l’illusion enfuie de refaire le même geste, pour lui-même, et comme il lui semblait sentir sous ses doigts la laine rêche de la toison, de le refaire encore, et encore, jusqu’à éprouver dans tout son pauvre corps biscornu la chaleur du mastodonte, et même, oui, sa force triomphante.
Il en aurait hurlé de joie. Jamais ses rêves n’avaient pris corps à ce point. Au moment de sa découverte il s’est autorisé un regard circulaire, lui qui vit les yeux en permanence baissés, de crainte de s’être oublié au risque d’attirer l’attention, car de sa complète discrétion dépend sa survie, mais il est si habitué à se fondre parmi les ombres, qu’en fait, pour la reproduction de cette passe magique, sa main humble s’est contentée d’une modeste portion de l’espace, comme si elle s’exprimait à mots couverts. Un geste en modèle réduit, au ras du sol, au point qu’il a laissé dans la poussière une trace, un sillon courbe. Et quand il y a reconnu la protubérance crânienne du grand animal, pour la première fois de sa misérable existence il a souri. » (…)
(Préhistoires, Gallimard, 2007)
(…) Sur ces entrefaites quelqu’un a dû arriver qui, répugnant à faire un écart pour ce moins que rien, l’a bousculé, a sans doute même gommé d’un pied rageur l’empreinte au sol – fallait-il que celui-là qui la contemplait fût idiot –, mais ce n’était pas très grave désormais, le petit estropié souriait encore en tombant à terre. Le geste, il le portait en lui, il se sentait capable de le reproduire sitôt que la brute serait passée. Et tandis qu’il roulait dans la poussière, sa main se récitait mentalement le tracé de la bosse miniature. Cette nuit-là il rêva que les grands animaux féroces s’approchaient doucement de lui et qu’il les caressait sans crainte.
Le lendemain, il s’installait selon son habitude dans un coin du camp, mais sans chercher à se dissimuler, bien en vue, où à force son manège finit par attirer l’attention. Qu’est-ce qu’il avait encore inventé, l’avorton, qui depuis ce matin s’occupait à griffer le sol de son doigt ? Les enfants se poussaient du coude, réjouis déjà à l’idée de le chahuter un peu, quand l’un d’eux s’avisa que les curieuses traces à terre lui rappelaient, oh c’était forcément un effet du hasard, vous allez rire sans doute, mais figurez-vous que j’y vois, oui, des mammouths. Tous se penchèrent par-dessus l’épaule du petit bossu. C’était ma foi vrai, disons plutôt qu’on devinait ici un haut de crâne, et puis là peut-être la trompe et les défenses, mais dans l’ensemble ils étaient d’accord, ça pouvait faire penser à ça – et se tournant maintenant vers le gardien de cet étrange troupeau, l’interrogeant du regard, alors quoi, lu lard ou du cochon ? du pemmican ou du bison ? Et soudain, en guise de réponses, l’audace inouïe, notre dompteur de formes s’empressant d’effacer de la main les lignes sur le sol, et du même coup envolés les pachydermes, évanouie l’illusion collective, fallait-il que celui-là fût fou pour détruire ce pur hasard qui lui avait valu un court instant des marques aussi inespérées d’intérêt, (…) et voilà qu’à nouveau il se penche (…) et fait surgir de la poussière la gueule ouverte d’un lion, car à n’en pas douter, il s’agit bien d’un lion bien qu’on ne distingue que la mâchoire et les canines aiguisées, mais l’ébauche est suffisamment menaçante pour que tous reculent instantanément de frayeur. » (…)
(Préhistoires, Gallimard, 2007)
Pourquoi a-t-il ensuite essentiellement peint dans des grottes ? Et des animaux dont on sait qu’ils n’étaient pas les plus fréquents autour ?
Jean Rouaud fait encore une hypothèse séduisante :
(…) « C’était agaçant à la fin ce pouvoir de faire surgir à la demande un gibier de plus en plus rare sur le terrain. Cette ménagerie en vignette, docile et proliférante, commençait à faire du tort au grand veneur, surtout quand il rentrait bredouille. Qu’il aille donc, le voleur de forme, ensemencer la terre de ses noires créatures. On verra bien si après plus ou moins longtemps de gestation les portées en surface seront plus prolifiques.
(…)
Alors pour se concilier les forces vives de la terre qui était grosse de toutes ces choses, les fleurs, les fruits, les animaux, qui les portait en elle, en son sein, jusqu’à ce qu’elle les fasse éclore à sa surface, il cherchait un conduit jusqu’à la matrice, descendait au plus profond de ses entrailles, rampait dans des boyaux étroits comme des trompes jusqu’à déboucher dans une salle plus vaste.
(…)
Une telle aisance du trait maintenant qu’ils ont le clair sentiment d’ensemencer la terre, ça revient pour lui, à chaque dessin, à procéder à une sorte de défondation in vitro, ou in caverna, si tu veux. Il est les grand inséminateur. Désormais la maîtrise du monde est en marche. »
(ibidem)
Vraiment bien vu, je trouve… jusque dans cette petite conclusion, l’air de rien : « Désormais la maîtrise du monde est en marche »
Bon, ça avait forcément déjà commencé avec la domestication du feu… mais rendre comme ça (gentiment) les artistes « complices » du mouvement de maîtrise du monde (eux qui si souvent se positionnent en « résistants »), je trouve ça pour ma part « trop fort » !
Un tout petit bouquin, qui n’a pas fait trop de bruit, il me semble, mais qui mériterait pourtant… Non ?
C’est là que s’est initié la répartition des tâches finalement. Une sorte d’inclinaison naturelle liée aux hasards des « chances » données au départ.
A-t-on bien fait de le pousser davantage ?
Histoire de proposer de poursuivre ici une discussion engagée loin derrière désormais : le « nabot » a-t-il bien fait de pousser – et individualiser – son talent (jusqu’à la création du statut d’artiste) plutôt que d’apprendre tout de suite à chaque membre de sa tribu à faire sinon aussi bien, du moins comme lui ?
(…) Ce geste de la main qui peuple le royaume des ombres d’une ménagerie fabuleuse, ce geste d’une aisance inouïe qui est l’expression d’un tremblement de l’être devant le mystère de la mort et de la naissance va ainsi se transmettre pendant vingt mille ans sur les parois obscures. Vingt mille ans, ce n’est pas rien, si l’on considère que le temps des cathédrales, c’est, allez, deux siècles. Et regarde comme déjà elles mêlent les styles et les époques, hésitent, se mélangent les rinceaux. Sans doute au fil du temps le geste est-il devenu mécanique, s’est-il vidé de sa substance spirituelle. On avait sans doute oublié ce qu’il avait signifié jadis, et de quel pouvoir magique il était investi. Alors le climat pouvait se réchauffer et le sol se couvrir de forêts, repoussant les grands herbivores vers le nord et donnant naissance à la civilisation des mangeurs d’escargots du Mésolithique. Des millions d’escargots à tous les repas du jour et tout au long de l’année. Les escargots sont encore plus bêtes que les rennes, et pour les courser il n’est besoin que de se baisser. Pas de quoi en faire un dessin. Exit les artistes, place aux déménageurs de pierres. (…)
(Préhistoires, Gallimard, 2007)
L’art qui s’affaisse quand le confort s’installe.
Ça me fait penser cette question qui hante notamment Georges Steiner : l’art est-il compatible avec la démocratie moderne ? Les grandes oeuvres d’art ne naissent-elles pas avant tout sous la pression de la « difficulté » ?
Tiens, Isidore n’est plus là pour débattre de ce sujet ?
Notre ami Boby Lapointe aurait pu écrire « car Isidore y dort … », non ?
Parce que la démocratie moderne ne serait pas compatible avec la « difficulté » ?