Proposé par Christophe :
« J’ai envie de croire qu’à la minute où je suis venu au monde, mon premier geste a été d’embrasser la terre. Là-bas, dans le hameau de Baldovinesti, sur l’embouchure du Sereth, la terre a sûrement dû se fourrer en moi, avec la violence de l’amour. Toute la terre ! Toutes ses beautés ! »
(PANAïT ISTRATI, « Pour avoir aimé la terre »)
Ce texte me parle beaucoup. Moi qui ai des rapports très forts avec la terre, c’est l’occasion probablement d’en parler. Je vais y réfléchir cette nuit …
Bons rêves !
si sa maman a accouché acroupie… il y a des chances qu’il ait effectivement embrassé la terre en venant au monde !
Dans ce coin de Roumanie, sûrement qu’au moins une crue dévastatrice a permis à Panaït Istrati d’en donner cette image : celle de sa naissance, celle de sa mère, celle de son sol, lui qui deviendra errant.
La crue emporte tout et laisse une terre des plus fertile, comme c’est le cas pour les volcans ; et quand on est près du Danube, les deux puissances, eau et feu, doivent être comparables.
Dès que l’eau s’est écoulée, on trouve par endroit les traces de cette violence, de la terre jusque dans des endroits incongrus, la fertilité, l’amour partout !
Allez va, un jour il n’y aura plus que ça puisque l’argent corrompt tout.
Lisez Istrati, vous n’en reviendrez pas indemnes !
Bizarrement, je sens que si j’ai beaucoup de choses en moi qui sont liées à la terre, les mots ne viennent pas forcément. Cela relève, me semble-t-il, du plus profond de mon être, cela vient de loin, de très loin. Et il faudrait probablement beaucoup de temps pour que le verbe ne jaillisse. D’autant plus de temps que la période n’est pas favorable pour moi. Je me suis rendu compte que mon organisme suivait un rythme annuel très marqué. De février à juillet, il y a une forte montée de sève en moi, j’ai envie sans arrêt d’aller travailler la terre, de la toucher, de la remuer … Et puis tout s’éteint et tout retombe à partir de la fin de l’été. Cela me semble être très lié à la condition du paysan d’autrefois. En hiver, on vit des récoltes de l’automne mais on n’a plus vraiment de rapport direct avec la terre. Je suis donc en stand by actuellement. Il va me falloir attendre un bon mois pour que je ressente ce lointain appel en moi qui revient immuablement chaque année.
Il me semble que si chacun était à l’écoute de son propre corps, il y décèlerait lui aussi ce genre de rythmes physiologiques internes. Mais notre mode de vie moderne a bien perturbé ces rythmes naturels.
Je ne me rappelle plus de mes premiers pas. Mais je suis sûr que j’ai traîné au jardin derrière ma grand-mère dès que j’ai su marcher. De là me vient probablement ce lien très fort avec la terre. J’ai toujours tripatouillé la terre, désherbé, pioché … aussi longtemps que je m’en souvienne.
Les quelques personnes passionnées de jardin que je connais sont toutes des personnes qui ont eu ce type de rapport avec la terre dès la plus jeune enfance. Je me demande si cela peut être autrement. Si cela s’avèrait être vrai et qu’il n’y ait pas de possibilité d’arriver à ressentir ces choses en ne s’y intéressant que tardivement, j’en serais très attristé. Attristé, car il me semble que l’on touche là du doigt des choses essentielles et qui ont trait avec l’origine de l’Homme et qu’il est fort dommageable que la majorité de la population en soit privée.
Ce texte me fais penser à Vendredi ou les limbes du pacifique, le moment où Robinson fait l’amour avec la Terre. Je n’en ai qu’un très vague souvenir. Ça me donne envie de le relire. Mais il y a peu de chances que je le fasse. Je n’arrive pas à relire les livres, même ceux que j’ai beaucoup aimés. Il y en a tant d’autres à découvrir.
Le rapport à la terre est, pour moi, quelque chose de mystérieux et de puissant.
Tu parles, Bernard, de la condition de paysans d’autrefois. Cet autrefois n’est pas si lointain pour toi. Il y a peut-être, aussi, des relents ancestraux beaucoup plus éloignés.
Je me souviens d’une discussion qu’on a eue sur la transmission de ce goût de la nature et de la terre en particulier. Tu parlais des gens ayant eu un père ou un grand-père paysan ou jardinier et à qui on avait transmis, enfant, cet amour et cette patience autour des choses de la terre. J’avais été en désaccord avec toi quand tu avais dit que, sans ce type de filiation, on n’était pas dans une histoire aussi puissante avec la nature (excuse-moi, je déforme forcément ton propos, je dis, avec mes propres mots, ce que j’en ai retenu).
Je m’étais fâchée parce que, venant d’un milieu citadin depuis au moins la génération de mes grands-parents, je m’étais sentie spoliée de ce droit à avoir un rapport fort à la nature.
Le rapport à la terre doit faire partie de l’inconscient collectif. Il a à voir avec l’histoire de l’humanité. Malgré ce que nous en faisons, la terre est notre milieu, celui qui nous nourrit, nous permettant ainsi de survivre. Je ne me place pas uniquement du point de vue biologique en disant ça.
Panaït Istrati parle des beautés de la terre.
Je me sens très contemplative devant elle.
Quand je serai vieille, je retournerai vivre à la campagne.
S’il en reste.
Ouaip… je ne saurais pas en dire beaucoup plus sur ce plan là de la discussion.
Quand je me pose la question lors de mes errances dans la nature, je me souviens d’avoir mangé de la terre : en portant enfant à la bouche les petites voitures et les modèes réduits de tracto-pelles dans les déblais, en bouffant sur place le fruit d’une maraude, en me chamaillant avec plus fort que moi et qui me ferait bouffer de l’herbe.
Ces mauvais goûts dépassés, je les retrouve mêlés dans ce que je mange ou bois (goûts minéraux ou organiques) et je les retrouve au meilleur en buvant la gentiane !
Entre la terre nourricière et ce qu’elle engloutit d’immondices, il y a bien des nuances ; et je me demande si les enfants de la ville sauront le goût de la terre pour le (la ?) respecter…
En ne reprenant pas le métier de paysan de mes parents, je me suis sans doute spolié moi-même de la possibilité d’avoir quotidiennement des rapports profonds avec la terre. Alors, j’essaie de compenser comme je peux avec mon activité de jardinage.
Mais quand tous les week-ends, je vais piocher mon jardin (qui est en plein champ) dès 6 h du mat’ et de longues heures durant, je me demande si je ne suis pas plus près du paysan d’autrefois que du jardinier d’aujourd’hui. Et je me demande aussi si je ne suis pas plus près du paysan d’autrefois que ne l’est le paysan d’aujourd’hui.
Finalement, il suffirait peut-être de donner le nom exact aux choses pour qu’en désignant par « agriculture industrielle » on nomme le système actuel d’exploitation de la terre, et par « agriculture traditionnelle » plutôt que « agriculture biologique », celui qui a fait l’honneur les siècles pré-industriels, et que pas mal d’entre nous ont pu encore connaître par un parent ou un grand-parent. On éviterait ainsi moultes confusions sciemment entretenues pour faire passer des vessies pour des lanternes, et surtout pour discréditer la résistance de la tradition.
C’est bien ça Isidore !
A tel point que c’est déjà à l’étude pour l’avenir : une agriculture sous le giron du ministère de l’industrie qui pourra donc encore bénéficier d’un soutien financier massif par ce biais, et une agriculture qu’on pourrait dire bio ou fermière ou qualitative… et qui ne bénéficiera que d’un saupoudrage.
On voit bien aujourd’hui que déjà à l’époque des Gaulois, la culture des céréales rapportait gros : le trésor découvert en Bretagne en est sûrement la trace.
Et c’était bio !
De là à espérer mieux, je cultive comme beaucoup un potager… salvateur.
…encore merdouillé dans les pseudos moi…
Je dis simplement, contrairement à ce que tu sembles avoir compris, Christophe, qu’en cessant de désigner par le terme « agriculture traditionnelle » l' »agriculture industrielle », comme ça se pratique aujourd’hui, et en ne stigmatisant pas sous un terme qui le discrédite à priori même s’il lui donne une couleur moderne: « agriculture biologique » mais en l’appelant par son véritable nom: »agriculture traditionnelle », puisqu’il s’agit bien d’une tradition ayant suivi le chemin de son évolution normale d’un monde qui se transforme, on lèverait une confusion qui favorise la domination de la première. Celle ci est de toute façon largement subventionnée actuellement et elle bénéficie de plus dans l’esprit des gens, et par imposture, de l’aura d’une tradition à laquelle elle n’appartient pourtant nullement. Et je pense que ça donnerait davantage de force à cette résistance traditionnelle pour se faire entendre. La situation confuse actuelle favorise au contraire, à mon avis ce que tu dénonces et que je dénonce aussi. Je précise aussi que par tradition je ne désigne nullement ce qui fait le pain béni des traditionalistes de tout poil, à savoir une forme figée, en référence à un passé illusoire et abstrait. Je parle d’une forme née d’une origine, ayant donc des racines, et qui évolue selon les conditions et les modalités de chaque époque qui la voit perdurer en se transformant nécessairement pour qu’elle reste vivante.
D’accord ! J’avais effectivement mal compris.
LA TERRE
(Ramassons simplement une motte de terre)
Ce mélange de terre des trois règnes, tout traversé, tout infiltré, tout cheminé d’ailleurs de leurs germes et racines, de leurs présences vivantes : c’est la terre.
Ce hachis, ce pâté de la chair des trois règnes.
Passé, non comme souvenir ou idée, mais comme matière.
Matière à la portée de tous, du moindre bébé ; qu’on peut saisir par poignées, par pelletées.
Si parler ainsi de la terre fait de moi un poète mineur, ou terrassier, je veux l’être ! Je ne connais pas de plus grand sujet.
Comme on parlait de l’Histoire, quelqu’un saisit une poignée de terre et dit : « Voilà tout ce que nous savons de l’Histoire Universelle. Mais cela nous le savons, le voyons ; nous le tenons : nous l’avons bien en main. »
Quelle vénération dans ces paroles !
Voici aussi notre aliment ; où se préparent nos aliments. Nous campons là-dessus comme sur les silos de l’histoire, dont chaque motte contient en germe et en racines l’avenir.
Voici pour le présent notre parc et demeure : la chair de nos maisons et le sol pour nos pieds.
Aussi notre matière à modeler, notre jouet.
Il y en aura toujours à notre disposition. Il n’y a qu’à se baisser pour en prendre. Elle ne salit pas.
On dit qu’au sein des géosynclinaux, sous des pressions énormes, la pierre se reforme. Eh bien, s’il s’en forme une, de nature particulière, à partir de la terre proprement dite, improprement appelée végétale, à partir de ces restes sacrés, qu’on me la montre ! Quel diamant serait plus précieux !
Voici enfin l’image présente de ce que nous tendons à devenir.
Et, ainsi, le passé et l’avenir présents.
Tout y a concouru : non seulement la chair des trois règnes, mais l’action des trois autres éléments : l’air, l’eau, le feu.
Et l’espace, et l etemps.
Ce qui est tout à fait spontané chez l’homme, touchant la terre, c’est un affect immédiat de familiarité, de sympathie, voire de vénération, quasi filiale.
Parce qu’elle est la matière par excellence.
Or, la vénération de la matière : quoi de plus digne de l’esprit ?
Tandis que l’esprit vénérant l’esprit… voit-on cela ?
– On ne le voit que trop.
(Pièces, Gallimard, 1962)
La terre
Dort
A midi
Et s’éveille
La nuit
(Sens magique, 1957)
Le Lakota était empli de compassion et d’amour pour la nature. Il aimait la terre et toutes les choses de la terre, et son attachement grandissait avec l’âge. Les vieillads étaient – littéralement – épris du sol et ne s’asseyaient ni ne se reposaient à même la terre sans le sentiment de s’approcher des forces maternelles. La terre était douce sous la peau et ils aimaient à ôter leurs mocassins et à marcher pieds nus sur la terre dont leurs autels étaient faits. L’oiseau qui volait dans les airs venait s’y reposer et la terre portait, sans défaillance, tout ce qui vivait et poussait. Le sol apaisait, fortifiait, lavait et guérissait.
C’est pourquoi les vieux Indiens se tenaient à même le sol plutôt que de rester séparés des forces de vie. S’asseoir ou s’allonger ainsi leur permettait de penser plus profondément, de sentir plus vivement ; ils contemplaient alors avec une plus grande clarté les mystères de la vie et ils se sentaient plus proches de toutes les forces vivantes qui les entouraient…
Ces relations qu’ils entretenaient avec tous les êtres sur la terre, dans le ciel ou au fond des rivières étaient un des traits de leur existence. Ils avaient un sentiment de fraternité envers le monde des oiseaux et des animaux qui leur gardaient leur confiance. La familiarité était si étroite entre certains Lakotas et leurs amis à plumes ou à fourrure, que, tels des frères, ils parlaient le même langage.
Le vieux Lakota était un sage. Il savait que le coeur de l’homme éloigné de la nature devient dur ; il savait que l’oubli du respect dû à ce qui pousse et à ce qui vit amène également à ne plus respecter l’homme. Aussi maintenait-il les jeunes gens sous la douce influence de la nature.
(Pieds nus sur la terre sacrés, textes réunis par TC McLuhan, Denoël, 1974)
La terre
Se promenait
Sans talons
A cause
Des trous.
(Sens magique, 1957)
Le limon discuté
Dans la terre glaise dans la terre glaise
le pied enfocé profondément
il va jusqu’à la cheville
chercher son origine
et pourtant point ne fut terre
le premier vivant
mais un peu gluant
voguait sur les mers
il ne faut pas chercher si loin
tout retourne en poussière
et pourtant et pourtant
la source est liquide
en plantant ainsi son pied
dans le sol humide
le paysan sait ce qu’il sait
de façon solide
jamais ton pied ne plantera
deux fois dans la même terre
c’est Héraclite qui dit ça
près du cimetière
(Battre la campagne, Gallimard, 1968)
Tu peux nous en dire un peu plus, Christophe, sur cet auteur (dont je n’ai pour ma part jamais entendu parler) et ce bouquin, steuplé ?
demain, j’interroge mes petiots sur la terre et j’esaierai de retranscrire; je suis sûre que ce sera intéressant… que ça fera suite à Ponge, en quelques sortes… nous verrons bien.
La terre,
La racine –
Un couple ?
(Relier, Galimard, 2007)
Voilà ce qu’en dit l’éditeur en poche (Folio). Ses œuvres complètes sont enfin publiées… ça c’est le vrai père-Noël !
Panaït Istrati (1884-1935), fils d’une paysanne roumaine et d’un contrebandier, a mené une vie vagabonde autour de la Méditerranée jusqu’au jour où, à bout de misère, alors qu’il était photographe ambulant à Nice, il tenta de se tuer. On trouva sur lui une longue lettre à Romain Rolland, qui n’était pas parvenue à son destinataire. Quand Romain Rolland en prit enfin connaissance, il trouva dans ce texte la promesse d’un écrivain, un prodigieux conteur comme l’Orient sait en créer. Panaït Istrati écrivit son œuvre en français, racontant d’abord des histoires de haïdoucs, ces bandits d’honneur qui luttèrent pour défendre les opprimés et les pauvres, au siècle dernier, en Roumanie : Kyra Kyralina (1924), Oncle Anghel (1925), Présentation des haïdoucs et Domnitza de Sganov (1926), Les Chardons du Baragan (1928).
Istrati partit en U.R.S.S. en 1927, en compagnie de son ami l’écrivain grec Nikos Kazantsakis. Il en revint profondément déçu et fut le premier à publier un « retour d’U.R.S.S. », Vers l’autre flamme, qui lui valut de nombreuses attaques et calomnies. Tuberculeux depuis longtemps, il revint dans son pays où il mourut prématurément. Son œuvre ne touche pas seulement par le merveilleux pittoresque, les aventures. C’est le cri d’un homme libre qui se lève contre toutes les oppressions, toutes les injustices. Istrati ne pouvait supporter qu’un homme inflige de la souffrance ou des humiliations à un autre homme.
Dans le texte on lira bien sûr vingtième siècle au lieu de siècle dernier.
Voici d’ailleurs des références disponibles sur Amazon :
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Difficile pour l’humain de résister à l’appel de la terre, qui est à la fois l’origine de son corps (façonné avec de la boue crayeuse, par les mains de la déesse Cura, selon la légende grecque) et celle de son nom (dérivé directement d’humus, selon l’étymologie).
Deux références mythologiques indispensables. Merci pour ces informations.