A peine arrivé de Belgique en fin de matinée, je suis vite allé lire les commentaires sur mon dernier article, intrigué d’avance par les réponses au petit jeu (qui n’en est pas vraiment un) lancé avant de partir. Heureuse surprise d’abord d’y voir de nouveaux arrivés … et j’espère bientôt d’autres encore. Beaucoup de diversité dans les musiques écoutées par les un(e)s et les autres (je vais d’ailleurs essayer de trouver l’occasion d’écouter les artistes cités qui me sont inconnus). Très peu de musique classique citée, pas trop de jazz mais Mag va, j’espère, nous faire un plaisir de nous sortir une petite liste de derrière les fagots dès son retour de Texel. Beaucoup de diversité mais aussi quelques recoupements entre les différentes listes (Louis & Ella, Stan Getz, Brassens, Bernard Haillant). J’aurais pu mettre dans ma propre liste « le double blanc » des Beatles choisi par Anne, « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans » de Ferré cité par Vincent, peut-être même Tryo (proposé par Nico) que j’écoute souvent mais qui n’est pas encore à mon Top10…
Hier soir, Stéphane me disait qu’il fallait faire la différence entre les disques qu’on écoute le plus souvent et « les » disques qu’on emmènerait sur une île déserte. Effectivement, ce n’est pas tout à fait la même chose. Ce qui m’a amené à me poser la question : « Qu’est-ce que j’amènerais vraiment comme musique sur une île déserte ? ». Une vraie île déserte, une dont on n’est pas sûr de revenir. Et bien, au risque de déconcerter ceux qui pensent que la musique est vitale pour moi (ce qui a été vrai pour toute ma vie jusqu’à présent), je crois que je n’emmènerais rien du tout. Aucun disque. Je pense que je pourrais me contenter du silence, du bruit des vagues, du cri des mouettes et de ma petite voix intérieure (si j’arrive à la trouver). Dylan, Ferré ou Miles Davis me sembleraient incongrus dans une telle situation. Je me demande si Bach lui-même ne viendrait pas rompre cette harmonie de l’homme face à l’immensité de la nature … et/ou du vide.
Mais peut-être emmènerais-je quand même avec moi ma guitare et les partitions de Brassens. Histoire de garder un tant soit peu le contact avec la parole et notre langue … au cas où il me serait permis de retrouver un jour la civilisation. Et puis je m’imagine assez bien en train de chanter face à l’océan. Mouettes et goélands qui ne brillent pas par leur voix mélodieuse (c’est le moins qu’on puisse dire) accepteraient facilement je crois mes fausses notes et – qui sait – me prendrait peut-être pour un des leurs.
Je pense aussi qu’arrivé à une certaine étape de sa vie, l’Homme placé dans ce genre de situation trouverait peut-être dans cette solitude (imposée, acceptée ou même voulue) ce qui lui manque le plus dans notre vie moderne : silence, écoute de soi, lenteur, sobriété, vie au rythme du temps et des saisons … et frôlerait peut-être ainsi le vrai sens de la vie.
Mon artiste idéal : celui qui serait capable de composer la musique que j’ai dans la tête. Mais il n’est pas encore né …
Moi j’emmènerai avant tout un Manuel de survie (… et sans doute aussi l’Encyclopédie des plantes sauvages comestibles de François Couplan)
Il « frôlerait peut-être ainsi le vrai sens de la vie », dis-tu, Bernard… J’ajouterais volontiers « … ou la pire folie ».
« Sagesse », « folie », n’est-ce pas un peu la même chose ?
Les partitions de Brassens seraient mon « manuel de survie ».
Oui, les limites sont probablement ténues entre la sagesse et la folie. Entre la sagesse et le radotage aussi. Il y a des personnes qui se la jouent « vieux sage » et finalement, quand on les écoute, ça fait plutôt « vieux con ». De toute façon, j’imagine qu’un vrai sage est plutôt avare, et même très avare, de sa parole.
Trois mythes semblent hanter l’esprit occidental : Don Juan, Faust et… Robinson.
Il y a dans ce dernier, notamment (à mon sens), une conception de la Nature (idéalisée, telle que Rousseau en a développé l’idée) et de l’Homme (capable de se construire « tout seul », bref une sorte de self made man avant la lettre) qui me paraît assez symptomatique de tous les travers (pour ne pas dire les erreurs) de la modernité.
Vous ne trouvez pas ?
(…) « Il a été longtemps très difficile de lire le roman de Daniel Defoe, Les aventures de Robinson Crusoé (1719) dans sa version authentique et intégrale. Ce n’est qu’en 1950 qu’elle devint accessible grâce à l’édition de poche Marabout. C’est là que je l’ai lue pour la première fois.
Pourquoi réécrire cette histoire ? D’abord je rappelle qu’il y avait eu de nombreuses « robinsonnades » évidemment inspirées par le roman de Defoe : Le Robinson des glaces, Le Robinson des demoiselles, Le Robinson suisse, L’Ile mystérieuse de Jules Verne, Images à Crusoé de Saint-John Perse, Suzanne et le Pacifique de Jean Giraudoux, Images brisées de Paul Valéry, etc.
Mon idée de base était d’étudier en philosophe les effets de la solitude sur un homme. Après vingt années de vie sur une île déserte, que deviennent la mémoire, le langage, la vision du monde, la sexualité, etc., d’un homme ? Ensuite je voulais réhabiliter Vendredi. Dans la plupart des robinsonnades, il est supprimé. Chez Defoe, c’est un sous-homme. Seul compte Robinson parce qu’il est blanc, chrétien et surtout anglais. Vendredi a tout à apprendre de lui.
Dans mon roman, la supériorité de Robinson sur Vendredi ne cesse de s’effriter. Finalement c’est Vendredi qui mène le jeu et enseigne à Robinson comment on doit vivre sur une île déserte du Pacifique.
Robinson est véritablement un « mythe » parce qu’il a échappé à son auteur d’origine Daniel Defoe et s’est mis à revivre dans d’autres oeuvres. C’est par un phénomène analogue que Don Juan a échappé à son auteur, le prêtre Tirso de Molina, pour devenir la créature de Molière, de Mozart…
Ensuite il est clair que Robinson a pris au cours des siècles des significations que Defoe ne pouvait pas prévoir. J’en vois au moins trois :
– Le thème de la solitude. C’est un mal moderne. Elle n’existait pas du temps de Defoe où toute société était structurée en fonction de la famille, de la profession (corporation) de la religion (paroisse), de la commune, etc. Nous avons inventé la liberté et la mobilité, mais cela se paie en solitude avec ses séquelles, folie, suicide, violence, drogue. Il n’y a plus d’îles désertes, mais la solitude est partout dans nos sociétés. (…)
– Vendredi apparaissant dans l’île de Robinson, c’est le tiers-monde frappant à la porte du monde industriel. Quel dialogue va-t-il s’instituer entre les deux hommes ?
– Enfin il faut tenir compte de la séduction qu’exerce pour les hommes d’aujourd’hui une île dans la Pacifique avec des plages chargés de bananes et de dattes. Robinson est pour nous l’idéal de l’homme en vacances. il a un côté « club Méditerrannée ». C’est évidemment une idée qui ne pouvait pas effleurer Daniel Defoe.
Il faut rappeler que j’ai fait à ce jour trois versions de Vendredi. La première (Vendredi ou les Limbes du Pacifique, 1967) est un gros livre surchargé de philosophie et de réflexions. La deuxième (Vendredi ou la Vie sauvage, 1974) est entièrement réécrite, dégraissée, clarifiée. On la considère généralement comme une version pour les enfants, mais je ne suis pas d’accord. C’est simplement une version améliorée. C’est mon livre-fétiche puisqu’il atteint six millions d’exemplaires en France et connaît trente-cinq traductions à l’étranger. (…) J’en ai fait une troisième version sous forme de conte dans mon recueil Le Coq de bruyère. Cela s’appelle La Fin de Robinson Crusoé. J’imagine que Robinson est revenu à Londres avec Vendredi. Que va-t-il se passer ? Hélas rien de bon !
J’ai fait le tour du monde avec ce petit livre. J’ai parlé avec des enfants de tous les pays qui l’avaient lu. J’ai constaté que la plupart des enfants occidentaux aiment et admirent Vendredi parce qu’il incarne pour eux la joie et le plaisir de vivre. Mais au contraire les enfants d’Afrique noire le méprisent. C’est pour eux un « sale Nègre » incapable et pareseux. Ils n’admirent que Robinson, travailleur, rationnel et efficace. J’ai interrogé par exemple des fillettes à Libreville (Gabon) : « Si vous deviez vous marier, qui épouseriez-vous de préférence, Robinson ou Vendredi ? » Elle se sont toutes prononcées pour Robinson, « parce que, m’a dit l’une d’elles, Vendredi serait bien incapable de subvenir aux besoins d’une femme et de ses enfants ». Il faut en effet tenir compte des sujétions matérielles très lourdes qui pèsent sur cette jeunesse.
(Les vertes lectures, Flammarion, 2006)
Une brune, une rousse et une blonde sont sur une île déserte. Elles se trouvent sur une île déserte à 30 km du rivage
La brune annonce :
– Je vais tacher d’atteindre le continent à la nage.
Elle se lance. Elle nage 10 km commence à se fatiguer et puis 15 et là épuisée elle se noie.
La rousse prend le relais et dit :
– Je vais tenter ma chance !
Elle fait 15 km et la fatigue commence à se sentir, et au bout de 20 km elle se noie.
La blonde est restée sur l’île et commence à se sentir seule. Elle se lance et fait 10 km, 20 km, 25 km, 29 km et la côte est en vue mais elle se dit :
– Oh ! je suis vraiment trop fatiguée et elle fait demi-tour !
*
Une blonde et deux brunes sont sur une île déserte et elles n’ont aucun moyen de rentrer chez elles. Soudain, elles tombent sur une lampe magique : elles ont droit à trois souhaits. La première brune fait le voeu de rentre chez elle. La deuxième pareil. Il ne reste plus qu’un vœu et la blonde est seule sur l’île. Le génie s’impatiente :
– Fais un souhait !
Elle réfléchit et dit :
– Je souhaite que mes copines reviennent, je m’ennuie, je suis toute seule !
*
http://www.jokeotron.com/lampe-sur-une-%C3%AEle-deserte/jokes/iZ1uRid7xM/
Il y a deux hypothèses : soit je finis ma vie sur cette île déserte, soit c’est temporaire et je dois me préparer un jour à revenir à la « civilisation ». La perspective de devoir revenir un jour à une vie « civilisée » conditionne la façon dont on aborde la vie sur l’île.
Au départ je me suis demandé ce que j’emmènerais sur l’île qui me permette de m’assurer le minimum de confort auquel, en véritable princesse urbaine, je suis habituée
(un abonnement d’un an à Voici, un téléphone portable, un congèle pour mes magnums chocolat, de l’écran total, des bandelettes de cire pour me faire le maillot, un pyjama… bref le minimum) :
– des objets coupants : scie, couteau, machette
– une loupe pour faire du feu (ou plutôt deux au cas où je la casserais)
– une couverture de survie (y a des gens qui pensent à emmener ça quand ils campent… c’est pas con !)
– une dizaine de bouquins
– de quoi écrire
– un ou deux récipients
– mes lunettes
– du paracétamol
– du désinfectant
…
Mais en fait, la question que je me poserais avant de partir, c’est : est-ce que je vais essayer de reconstituer sur place le même mode de vie que celui que j’ai pour le moment (rites quotidiens comme les repas, la toilette, la prière, peut-être, le rangement, un semblant de « rigueur » etc) ?
Je crois que la mienne de réponse, c’est « non ». Je crois que quand on est plongé dans un environnement totalement nouveau et sûrement dangereux comme une île déserte (et sauvage, probablement), il est plus salutaire de concentrer son énergie dans la plus grande adaptation possible à son nouvel environnement. Si je tentais de maintenir un style de vie similaire à celui que j’ai ici, à Besançon, ce serait d’une part artificiel et stérile puisque pas du tout adapté aux exigences et priorités de l’endroit, et d’autre part voué à l’échec : la nature et la vie sauvage finiraient par grignoter lentement tous mes petits bastions de « civilisation », et je m’épuiserais à combattre le processus. La perte successive de tous les éléments qui constituent ma culture, me plongerait même probablement dans un abattement que je ne connaîtrais pas si j’y renonçais dès le départ. Il est peut-être donc préférable de prendre le parti d’accepter un retour immédiat à l’état de nature, puisqu’il semble inévitable à long terme (et je vous ferai grace d’une nouvelle référence à Sa majesté des mouches), et d’apprendre à s’apprivoiser soi-même dans cet état de nature. IL faudrait donc que j’apprenne à m’orienter sans lunettes, à faire du feu en frottant des bouts de bois, ou pas, que je trouve une solution naturelle à mes migraines (le sommeil, tout bêtement, et plus d’eau), que je simplifie mon alimentation, que je mange quand j’ai faim, et que je dorme quand j’ai sommeil… je ne pense pas que tout ça soit un vrai problème. Je doute en revanche d’avoir une vie intérieure qui me permette de me suffire à moi-même : sans échanges, sans confrontations d’idées, je me demande ce qui pourrait arriver à mon cerveau. Sans doute finirait-il par s’atrophier un peu, ce qui, du coup, me permettrait d’accepter d’autant mieux ma nouvelle condition de femme sauvage… et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ! Je n’aurais plus qu’à vivre une vie biologique jusqu’à son terme ! Du coup, je ne me poserais même plus la question de savoir si je suis heureuse…je me contenterais de vivre en acceptant ma condition… Youpiiiiiii ! La sagesse est à la portée de tous !!!
L’autre hypothèse serait de partir avec l’idée que cette réclusion sur une île déserte, pour aussi longue qu’elle puisse être (15/20 ans), est limitée dans le temps. Dans ce cas là, je me laisserais redevenir sauvage pour tout ce qui est d’ordre matériel et biologique, mais j’aurais pris soin d’emmener un recueil de poésies pour exercer ma sensibilité, et de quoi écrire des pages et des pages de façon à garder un lien actif avec le langage et m’aider à structurer mes pensées. Il me semble que sans ça, elles finiraient toutes par rester au stade de sensations, peut-être même être de plus en plus simples dans leur forme, ce qui pourrait compromettre un retour à la vie civilisée.
Mais est-ce que je le souhaite vraiment ce retour à la vie « civilisée » ? Ca n’a pas l’air si mal finalement de vivre toute nue avec les cheveux emmêlés et du poil aux pattes, avec pour seule question en tête : « Est-ce que je vais réussir à trouver 2/3 racines à me mettre sous la dent aujourd’hui ? », et la joie immense que j’éprouverai quand en fait, j’en aurai trouvé 4…
y a un hic quand-même : est-ce qu’on peut vivre longtemps sans la tendresse et les caresses d’un autre humain ? Est-ce qu’on ne dit pas que certains bébés meurent de n’avoir pas été suffisamment caressés ?
Le plus dur avec l’île déserte, c’est de trouver une fille qui y aille avec vous !
m’en parle pas ! Mais tu sais, les garçons, c’est pas plus facile… de nos jours il ne suffit plus d’agiter un sein… il faut EN PLUS avoir msn…. quelle misèèèèère !
Pour rebondir sur Lancien…
Je me demande si l’artiste idéal ne serait pas – pour ma part – au contraire celui qui serait capable de me faire entendre autre chose que ce qui tourne en rond dans ma tête, bref qui me ferait sortir de moi plutôt que de m’y ramener.
Ooooh.. Pourvu qu’il soit né, celui-là… Et que tu le trouves vite !!!!
« Si j’avais à imaginer un nouveau Robinson, je ne le placerais pas une île déserte, mais dans une ville de douze millions d’habitants, dont il ne saurait déchiffrer ni la parole ni l’écriture : ce serait, je crois, la forme moderne du mythe. »
(Disgressions, Oeuvres complètes III 1968-1971, Seuil, 2002)
(…) Daniel Defoe a confessé que Robinson Crusoe (1719) était la version allégorique de sa propre vie. Il y exprimait son sentiment d’insularité sociale. Si bien que le roman, qui prône la nécessité collective, illustre aussi l’individualisme rationnel !
Ce paradoxe au spectre large explique pourquoi chaque lecteur – chaque solitude – trouve un écho dans cette situation particulière de solitude généralisée. La projection et l’identification se font sans effort : toute solitude est « robinsonnable ». Voilà sans doute l’origine du succès unviversel de Robinson Crusoe. (…)
(Le complexe de Robinson, Magazine littéraire, juillet-août 1991)
Il me semble que le mot « île déserte » peut être pris au pied de la lettre mais aussi dans un sens plus élargi : trouver un espace d’isolement. Je ne crois pas que se trouver sa propre île déserte soit un acte associal. Il me semble qu’il peut être l’aboutissement d’une vie bien (trop ?) remplie. Il n’a de sens qu’à une certaine étape de sa vie. On peut avoir à un moment donné un besoin vital de cela, vivre pleinement son isolement volontaire et revenir ensuite (ou ne pas revenir) à une vie « plus normale ».
Il faut plutôt penser l’île déserte en tant qu’enrichissement de sa propre vie à un moment donné et non en tant qu’apauvrissement de ses conditions d’existence.
Plutôt d’accord avec Vincent à propos de la réflexion de Lancien. Mon artiste idéal plutôt celui qui arriverait à me surprendre. La musique que j’ai dans la tête, elle y est bien ancrée, pas besoin que d’autres me la jouent.
Mais la surprise devient plutôt assez rare, je trouve que la musique tourne en rond aujourd’hui.
Oui… j’imagine qu’on a déjà de toutes façons tous notre « île déserte », et que certains s’y réfugient plutôt plus souvent que d’autres… encore que « se réfugier » ne soit pas forcément le meilleur terme, toutes les retraites n’étant pas forcément des refuges. On peut ressentir le besoin de se retirer dans un endroit isolé, sans pour autant avoir subi d’ « agressions ». Moi j’y vais au moins 3 ou 4 fois par jour, et pourtant, j’ai une vie de rêve !
Les thèmes de la lenteur et de la sobriété ont déjà été évoqués suffisamment de fois dans ces pages pour qu’on se doute qu’ils te tiennent à cœur, Bernard. Mais dans l’image de l’île déserte, c’est surtout le thème de la solitude qui me vient à l’esprit (d’autant plus que tu précises qu’il faudrait chanter pour ne pas perdre l’usage de la parole).
Je me suis demandée pourquoi tu avais employé le terme (forcément choisi) de syndrome, dont la définition est « Ensemble de comportements particuliers à un groupe humain ayant subi une même situation traumatisante. Le syndrome du Viêt Nam. Le syndrome de la ville. ».
J’ai trouvé ça assez drôle qu’un des exemples cités par le dictionnaire soit à l’exact opposé de ton île déserte (à rapprocher de la phrase de Roland Barthes citée plus haut ?).
N’empêche, d’une situation traumatisante, se retrouver seul sur une île déserte, tu fais presque un phantasme. Et ce n’est pas la première fois que je t’entends évoquer cette possible vie d’ermite. Tu n’as pourtant rien d’un misanthrope, et ce presque désir de solitude extrême semble être plus le résultat d’une vie comblée que d’une lassitude des autres.
Peut-être peut-on se passer plus facilement de musique quand on en a écouté beaucoup ? Elle nous a déjà nourri, on l’a intégrée, on en n’a plus besoin.
Et dans ce phantasme, il en serait de même pour la compagnie des humains…
Parole de vieux sage qui me fait penser, désolée si ça plombe, aux personnes qui arrivent en fin de vie et qui basculent dans un état où ils arrivent à envisager la mort sereinement.
Je me pose la question des bonheurs partagés. Le plaisir n’est pas le même en solitaire ( !).
Par exemple, quand je découvre un morceau de musique que je trouve magnifique, il y a ce plaisir immédiat auquel se rajoute celui d’imaginer en parler à quelqu’un que j’aime bien et dont je connais suffisamment les goûts pour savoir qu’il l’appréciera également. Est-ce que j’éprouverais autant de bonheur si je ne devais jamais partager ce moment ?
Tout ce que j’apprends ne m’intéresse que dans la mesure où cela me permettra d’échanger avec d’autres, sinon, à quoi bon engranger des connaissances ?
Mais toutes ces tentatives sont plus ou moins vaines, et si les paroles de Bernard font penser à celles d’un vieux sage, n’est-ce pas parce qu’elles disent qu’il faut accepter que, de toute façon, on est toujours tout seul au monde ?
Merci Anne pour cette analyse plutôt pertinente et perspicace. Je me retrouve beaucoup dans ce texte que tu as écrit.
L’idée de prendre du temps et de me retrouver seul pendant un certain temps me taraude depuis toujours. La vie de moine (par exemple celle de moine jardinier) ne m’aurait peut-être pas déplu. Il y a quelques années, j’ai découvert l’île de Houat, très belle île sans voitures et peu peuplée. Il est probable qu’un jour je décide d’aller y vivre six mois ou un an pour me retrouver chaque matin face à l’immensité de l’océan. Je sais que mon cheminement personnel passe par une telle expérience. Je ne cherche pas à en connaître les raisons, je sens simplement, instinctivement, que c’est un besoin vital pour moi. Ce type d’envie revient me travailler souvent, c’est un peu maladif, d’où ce terme de syndrome que j’ai employé, j’ai quelque part « le syndrome (ou le phantasme) de l’île déserte » en moi.
Je comprends ce que tu dis sur la notion de partage. Je fais en permanence le grand écart entre une envie terrible de partager et d’autre part ce besoin inassouvi de solitude. C’est très dur à gérer. J’ai déjà beaucoup réussi à me restreindre. Il y a vingt ans, j’avais le besoin de communiquer avec tout le monde, aujourd’hui je ne me sens plus vraiment concerné par le collectif, seuls les gens que j’aime (ou que j’aime bien) comptent. Je me regarde parfois avec une certaine distance, amusé de me voir évoluer dans un sens que je n’imaginais pas autrefois. L’important est d’accepter de devenir différent et d’être à l’écoute de sa petite voix intérieure. Je sais que demain je serai différent et j’ai pleinement accepté cette idée. La seule certitude que j’ai en moi est que mon avenir passe aussi par des rapports encore plus étroits avec la terre et la nature. Je n’imagine pas une solitude enrichissante sans ces rapports avec le milieu naturel (et surtout la terre, j’insiste sur cela). Contrairement à ce que dit la citation de Roland Barthes ci-dessus, la solitude dans une ville de douze millions d’habitants n’est pas concevable pour moi. C’est le type même de solitude qui appauvrit l’individu, je parle d’une autre solitude, plus enrichissante, en phase avec le rythme du temps, des saisons, de la terre et de la nature. C’est dur à expliquer, c’est encore beaucoup pour moi du domaine du ressenti, difficilement formulable.
Il n’y a pas de règle générale, transposable à d’autres individus. On peut, à un moment donné de sa vie, devenir un peu plus sociable ou au contraire s’éloigner de la société. C’est très lié au parcours de chacun, c’est toujours un choix très personnel qui n’est jamais critiquable.
Dur dur d’écrire ce genre de choses, plutôt intimes, sur un espace semi-public qu’est un blog. Mais bon, les réflexions des uns et des autres, notamment sur la décroissance, la lenteur et la relativité du temps, m’ont alimenté dans ma réflexion. Ce blog est aussi pour moi un outil essentiel dans la clarification de mes idées et je me nourris sans cesse de ce que vous écrivez.
Cette conjonction île déserte (sûrement un fantasme) et solitude me touche aussi beaucoup. J’adore la solitude et dans tout ce que j’y trouve de fort et de constructif (teur ?), j’aimerais que le monde entier se retrouve. Et j’adore le fuir !
Finalement je sais que toute la vie réside dans cette tension entre des extrêmes aussi indispensables que repoussantes. Sans tension, ne serait-ce qu’artérielle, pas de vie.
Sans tension entre bien et mal… sans interdit ou tabou… pas de valeurs humaines.
Rien de sensible sans nuances… sans différences… sans tensions et sans virer rapidos dans le judéo-chrétien : pas de plaisir sans un peu de peine. Là encore le temps compte car les plus grandes peines donnent les plus grands plaisirs : quoi de mieux qu’un vrai blues pour éprouver ce trouble mélange de peine et de joie… cette tension que l’on peut alors supporter ?
Ne serions-nous pas tous des îles désertes ?
Pas de règle générale, tu as raison.
De mon côté, par exemple, ce « symdrôme » (ou phantasme) a surtout hanté mes esprits en gros de 15 à 25 ans (plus d’un quart de ma vie, ce n’est pas rien). Toutes mes lectures et recherches (notamment les expéditions de « survie » avec François Couplan) étaient alors orientées dans ce but.
Je ne saurais cependant trop dire s’il s’est aujourd’hui totalement effacé, mis en attente, ou simplement réalisé à la façon suggérée par Roland Barthes.
En tout cas, je ne peux nier qu’il m’a en quelque sorte construit… notamment en jouant le rôle de bienfaisant « refuge ».
Une pensée me vient ce soir sur le sujet. Elle est de Ferré (je ne sais plus où). Je cite donc de mémoire :
« Lorsqu’on est seul il nous arrive rarement de rire… mais il est fréquent qu’on pleure. »
Peut-être suis-je (encore ?) trop attaché au rire !
J’aime bien cette idée de tension entre les extrêmes dont a parlé Christophe.
Je rebondis tardivement sur la dernière phrase de Anne disant que, en gros, quoi qu’on fasse on est toujours seul. Je ne sais pas si c’est une vision simplement réaliste des rapports humains ou simplement trop pessimiste. En tous les cas, la question mérite d’être posée. J’ai l’impression que les événements rencontrés dans la dernière ligne droite de sa vie doivent être déterminants pour avoir une idée plus précise sur la question.
Le thème de la solitude, la plupart du temps lié à la mort, est revenu souvent dans l’oeuvre de Ferré. Par exemple :
– « Et l’on se sent tout seul peut-être mais peinard … » (Avec le temps)
– « Mozart est mort seul, accompagné à la fosse commune par un chien et des fantômes » (Préface)
– « Tu nais tout seul tu meurs tout seul entre les deux, il y a des faits divers » (la solitude)
… et probablement d’autres encore
(…) Selon le paradigme des Lumières, le sujet individuel est, par nature, premier et autosuffisant, ce qui implique que la relation à l’autre soit toujours seconde, comme l’est, de façon exemplaire, la rencontre de Robinson et de Vendredi. C’est même, depuis Descartes, une des croix de la philosophie moderne que de déterminer les moyens théoriques qui permettraient de récupérer l’Autre une fois accepté le postulat monadologique (c’est le célèbre problème de l’existence d’autrui, comme on le désignait naguère dans le jargon surréaliste de la philosophie universitaire). (…) L’originalité philosophique de la théorie du don, est, au contraire, de réinstaller la relation comme donnée anthropplogique première, en dehors de laquelle les multiples processus de subjectivation et d’autonomisation demeurent par eux-mêmes strictement incompréhensibles. Il se trouve qu’un tel « primat de la relation » (sur les pôles qu’elle unit et singularise à la fois) est « un des parti pris majeurs de la pensée chinoise » (cf. François Jullien, Penser d’un dehors de la Chine, Seuil, 2000). Il n’est donc pas étonnant de trouver dans les stimulantes analyses de François Jullien, et notamment celles qu’il consacre à Mencius et à la tradition confuséenne (cf. également son beau livre sur « fonder la morale », Grasset, 1995), des développements qui éclairent admirablement les théories du don et de la common decency. (…)
(Impasse Adam Smith, brèves remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche, Climats, 2002)
Cette citation (« un tantinet pédante », j’en conviens) pour illustrer l’idée qu’il faut peut-être certes – comme le préconisent les adeptes de la décroissance – « décoloniser l’imaginaire » (Serge Latouche en fait même un titre d’un de ses ouvrages, édité chez Parangon, 2003), mais alors, semble-t-il, bien au-delà de ce qu’on entend généralement.
Je crois en effet volontiers, comme Jean-Claude Michéa (et d’autres), qu’il faut creuser jusqu’au « paradigme des Lumières », aux fondements de la pensée moderne (notamment l’idée d’individu isolé, autonome, indépendant… qui nous paraît pourtant aujourd’hui une « évidence » indiscutable).
Pas facile, certes, mais quel intérêt si le chemin n’exige pas un long et patient effort.
Dernière « pédanterie » (…du jour !!!) :
Dans son Dictionnaire philosophique (et un registre qui reste attaché au « paradigme des Lumières »), André Comte-Sponville amène une distinction qui me semble fertile et pertinente (entre solitude et isolement) :
SOLITUDE : Ce n’est pas la même chose que l’isolement. Etre isolé, c’est être coupé des autres : sans relations, sans amis, sans amours. Etat anormal, pour l’homme, et presque toujours douloureux ou mortifière. Alors que la solitude est notre condition ordinaire : non parce que nous n’avons pas de relation avec autrui, mais parce que ces relations ne sauraient abolir notre solitude essentielle, qui tient au fait que nous sommes seuls à être ce que nous sommes et à vivre ce que nous vivons. « Dans la mesure où nous sommes seuls, écrit Rilke, l’amour et la mort se rapprochent. » Non qu’il n’y ait pas d’amour, ou qu’on soit seul à mourir ; mais parce que personne ne peut mourir ou aimer à notre place. C’est pourquoi « on mourra seul », disait Pascal : non parce qu’on devrait mourir isolé (du temps de Pascal, ce n’était presque jamais le cas : il y avait ordinairement un prêtre, la famille, des amis…), mais parce que personne ne peut mourir à notre place. C’est pourquoi on vit seul, toujours : parce que personne ne peut vivre à notre place. Ainsi l’isolement est l’exception ; la solitude, la règle. C’est le prix à payer d’être soi.
Une hypothèse : et s’il suffisait (comme l’entrevoit André Comte-Sponville sans oser pour autant s’y aventurer), pour aller au-delà du « paradigme des Lumières », de ne simplement plus chercher à « être soi » ?
(…comme le préconisent d’ailleurs certaines « philosophies orientales »)
La parfaite solitude consisterait à se quitter soi-même.
*
Tout au bout de la solitude, nous finirions par avoir peur de notre ombre.
*
Il est des isolements sans solitude comme il est des solitudes sans isolement.
*
Nous croyons chercher la solitude quand nous cherchons le silence.
*
etc.
(Le livre de la déraison souriante, Albin Michel, 1991)
En cas de « retraite » (ponctuelle ou définitive) hors de la vie moderne, avez-vous une idée des objets et autres marques de confort dont vous auriez le plus de difficulté à vous séparer ?
Pour ma part, j’en vois essentiellement trois :
– la douche (avec eau chaude)
– les toilettes
– le canapé
Pas grand chose, donc, certes, mais qu’il m’en manque juste un et je peux « péter un câble ».
Et vous ?
C’est assez drôle mais réagir à cet article et à celui qui s’intitule « c’est qui vous », c’est difficile de faire de faire la part des choses : comme faire sa valise.
Terrible d’oublier des trucs, voire un seul, dans sa liste !
Terrible d’avoir pensé depuis peu à tout ce que j’ai oublié dans ma liste, mais en même tant réjouissant de penser que rien ne tient à une seule organisation de la pensée…
Alors j’ai décidé de ne pas vous faire la liste de mes oublis car ils en appelleraient fatalement d’autres, et cet appel, devenu lancinant ne jouera même pas une musique !
Je souffrirais trop de faire à nouveau cette liste : difficile de partir comme de revenir.
Je me suis dit que finalement, sur cette île déserte (snif !), limiter la musique à une liste deviendrait vite insupportable. Il deviendrait alors nécessaire d’élargir cette liste grâce à un seul objet, non pas 10 mais 1, j’ai bien dit un objet : celui qui permettra de créer tous les morceaux qui vous manqueront.
Ce serait un instrument, votre voix, une découverte sur l’île…
Et finalement : quel instrument emporter ?
Quel objet comme le suggère Vincent ?
D’accord avec lui pour la douche chaude mais sur un seul point : le deuil !
Le canapé et les chiottes, ça me paraît moins problématique, foi de sauvageon !
Alors je crois que seul un instrument, c’est-à-dire l’outil de l’âme serait nécessaire…
Il y a un problème : j’ai toujours du mal avec mon instrument !
Alors mon outil ?
Ben… j’hésite… mon couteau ? Sûrement, mais alors lequel : celui qui a la meilleure lame, celui qui fait tire-bouchon ?
Bon sang ! Ne plus pouvoir tomber une bouteille avec les amis…
Mais sûrement qu’il y a un autre débile truc qui manquerait : le feu, la terre, le sec, l’amour…
La plus belle note de musique est le silence…
Il y a bien longtemps, je visitais l’ile de Capri. En ce temps la, bien que connue, l on pouvait se perdre tres vite dans ses sentiers et déboucher sur quelque lieu que seuls les dieux connaissent. Une maison, un homme dans un hamac, une table qui semblait etre la pour accueillir le voyageur égaré, et un opéra de Mozart. L’homme, sans un mot mais un magnifique sourire aux lèvres me sert une bière, puis se recouche. L opera se termine et le silence, sublime qui n’en finit pas et que l on ne veut plus voir finir….
Sur une île déserte, je ne sais pas …
Chez moi, je sais : jamais de musique, ni radio, ni télé (je n’en ai pas d’ailleurs (de télé)). Seul, le chant des oiseaux.
Et pourtant, j’aime la musique ! Mais encore plus le silence !
De nos jours, le plus grand luxe, à mon avis, c’est l’ESPACE et le SILENCE.