Pionniers du jazz (1)

En revenant de Texel, j’ai écouté un disque laissé dans le véhicule par Marc, l’un de mes collègues. Il s’agissait de Manu Dibango jouant Sidney Bechet. J’ai bien aimé mais je dois dire que je préfère Bechet par lui-même. Et puis dans ce disque, Manu Dibango s’est plutôt penché sur l’oeuvre connue du Maître (« Les oignons », « Dans les rues d’Antibes », « Petite fleur »…) et j’ai plutôt un faible pour la période précoce et moins connue de Sidney Bechet, celle des années trente (1932-1943 plus précisément). L’écoute de Manu Dibango m’aura au moins mis l’eau à la bouche et je suis revenu de Texel avec l’envie folle de réécouter, en arrivant, l’oeuvre originale de Bechet et aussi celle de retrouver ma radio de jazz préférée radiojazz.ch dont j’ai déjà parlé sur ce blog le 6 avril dernier.

Drôle de coïncidence, l’un des commentaires mis sur ce blog en mon absence (sur mon premier article consacré à Atahualpa Yupanqui) émanait de Philippe Zumbrunn. J’ai très vite fait le rapprochement entre ce nom qui m’a semblé tout de suite familier et ma radio de jazz habituelle. En effet, Philippe Zumbrunn n’est autre que le fondateur de cette radio internationale. On notera, autre coïncidence, que cette radio est parrainée par Dee Dee Bridgewater et par … Manu Dibango lui-même !

Comme j’ai pris l’habitude, depuis quelques temps, de mettre en ligne des vidéos musicales que je trouve sur Youtube ou sur Dailymotion et d’ouvrir régulièrement de nouvelles rubriques (« Monterey Pop Festival », « Tribute to Dylan »…), mon regain de passion pour les Grands qui ont fait l’histoire du jazz me pousse à ouvrir une nouvelle rubrique.

Evidemment, les vidéos des années 40 ou 50 sont très rares et souvent de piètre qualité. Je vous demande donc un peu d’indulgence.

Et pour commencer, une vidéo de Sidney Bechet. J’aime cette musique enjouée. La musique de cette époque là me semble être une musique d’adolescents. Il y règne une joie de vivre et une certaine insouciance qui font rêver aujourd’hui.

9 réflexions au sujet de “Pionniers du jazz (1)”

  1. (…) Le modèle de cette socialité communicative et joueuse est le jazz. Je ne connais pas de musique plus « existentialiste », si l’on veut. Elle est affirmation d’une liberté collective où chacun s’expose personnellement, fait entendre sa voix, se met en état de risque, suscite la réponse risquée de l’autre, bref improvise en se servant d’une technique acquise, assimilée au corps. Une improvisation qui n’est pas anarchie vengeresse mais réciprocité du don inattendu, dans l’interaction, dans l’appel à ce que l’autre a de plus singulier à l’intérieur du langage commun, pour créer ensemble de l’universel concret. Un orchestre de jazz qui « carbure », qui swingue, est une fédération gratuite et instantannée de gens libres qui font advenir la beauté. Pas le paradis, mais bien, ici-bas, et dans l’éphémère, le contraire de « l’enfer c’est les autres ». Faire jazzer le social, ce pourrait bien être l’indispensable utopie existentialiste.

    (Une philosophie pour note temps, in Magazine littéraire n°320, avril 1994)

  2. (…) Bechet est pratiquement le seul spécialiste du saxo soprano, instrument difficile dont il s’est rendu maître très complètement. Il possède sur cet instrument une puissance très grande, une très belle sonorité et une chaleur très émouvante. Son jeu est plein de sensibilité ; c’est vraiment un des meilleurs moyens d’aborder le jazz que de se confier à ce grand vétéran. (…)

    (Radio 49, n°268, 8 décembre 1949, in Ecrits sur le jazz, Christian Bourgeois éditeur, 1981)

  3. Chaque fois que j’entends le nom de Sydney Bechet, je repense à un (très) ancien numéro du Cirque Plume avec le chien Zippo. Jacques arrivait sur scène en annonçant qu’il allait jouer un morceau de S. Bechet (il prononçait plusieurs fois « ESSE BECHETTE ») mais un chien déboulait qui lui prenait la vedette. Le chien ne voulant pas quitter la piste, le musicien essayait de faire un numéro de dressage. Mais Zippo faisait tout le contraire de ce qu’on lui demandait. Lassé de ne rien pouvoir en tirer, le musicien annonçait à nouveau qu’il allait jouer un morceau de clarinette de S. Bechet (alors qu’il avait dans les mains un saxophone alto). Et quand il commençait à jouer (je n’en suis plus tout à fait sûre, mais il me semble bien qu’il jouait en fait du Duke Ellington), donc, quand il commençait à jouer, Zippo se mettait… à chanter des grands wooohhh wooohhh, pas tout à fait justes mais très impressionnants et très drôles.

  4. Jacques se trompait de prononciation. Bechet se dit « Bèchè » et non « Bechette » because l’origine du nom qui est créole. C’est peut-être pour ça que le chien n’était pas content : à cause de cette erreur !

  5. Le jazz, ça rime avec extase.

    *

    Il n’y a pas un chagrin q’une minute de jazz ne m’eût ôté.

    *

    La définition du jazz par Django Reinhardt est l’une des plus intelligentes que je connaisse : « Le jazz m’attira parce que je trouvais en lui la perfection de la forme et la précision instrumentale que j’admirais dans la musique classique, et qui manque dans la musique populaire en général. » On devrait l’apprendre dans toutes les écoles, cette phrase. Comme dans un solo de Django, tout est inversé et inattendu. Etre conscient, à la fois, que le jazz n’est pas une musique populaire et qu’on y retrouve ce qu’il y a de mieux dans la musique classique, ce n’était pas donné à tout le monde de le comprendre en ce temps-là…

    *

    Ça ne veut rien dire si ça ne swingue pas. L’aphorisme de Duke devrait être inscrit en lettres de feu dans le ciel de toute la jounée.

    *

    On reconnaît le swing mais on ne peut pas l’expliquer : c’est inexplicable, comme la Foi, le Désir, la Faim, la Poésie, l’Orgasme. Qu’est-ce que le swing ? Est-ce que vous pouvez m’expliquer l’odeur de la lavande ?

    *

    Je ne peux presque plus écouter de jazz. Je suis si nostalgique d’avance que prendre cette vieille musique dans mes bras comme un bébé me bouleverse. Nous sommes quelques-uns à savoir que le grand Jazz est mort et que son souvenir même est douloureux dans un temps comme le nôtre, si toc, pleutre et fade, où tout ce qui est contraire au jazz est sacré.

    *

    Rien de plus facile que d’être un excellent musicien aujourd’hui. C’est le jazz qui est devenu chiant. La musique la plus convenue qui soit. Davantage que le classique encore. Le thème, le solo de saxo, de trompette, de piano, de basse, les quatre-quatre à la batterie et le retour au thème. Avec en prime les lieux communs musicaux (l’équivalent de « la pluie diluvienne » ou « c’est pas évident ») par des instrumentistes aux personnalités interchangeables, voilà le jazz. Chacun retourne vers la musique qui lui plaît (1930, 45, 50, 60, 65, 70…). Ce n’est même plus de l’improvisation, tellement l’improvisation est un parcours obligé.

    (Morceaux choisis, Leo Scheer, 2006)

  6. Il y a quelque chose de « sain », je trouve, dans la musique de S. Bechet. On dirait que c’est l’un des rares dont l’ange gardien ne se défonce pas avec lui !

  7. Dans son solo (à la fin du morceau), Sydney Bechet tient un sol pendant exactement 25 secondes (de 1:25 à 1:00 sur le compte-à-rebours qui défile), c’est je crois la plus longue tenue de note que je connaisse.

    Et si on lançait un petit concours : qui peut proposer une vidéo qui « fait mieux » ?

  8. Non, non la plus longue tenue de note effectuée, c’est pas Sidney Bechet avec ses pauvres 15 secondes. C’est mon prof de maths qui m’a mis la note zéro pendant trois ans exactement !

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