Décidément, le courrier des lecteurs de Télérama est encore ce qu’il y a de mieux dans ce journal « haut représentant du parisiannisme culturel ». Je vous livre un petit texte, lu il y a cinq minutes, que j’ai bien aimé, intitulé « élastique » écrit par Yves Desvaux Veeska, simple lecteur du journal :
« Les gens doivent bien accepter la flexibilité dans leur travail. Parce que le capital, lui, est inflexible. »
Il y a dans ce fameux courrier des lecteurs de Télérama, quelque chose qui tient du blog avant la lettre, je trouve (dans le format bref, le ton, l’anonymat, la confrontation des points de vue…)
Tiens, pendant qu’on est dans le courrier des lecteurs de Télérama, voici un autre courrier, celui de Jean-Claude Aparicio :
« Kouchner, Allègre, Védrine, Besson … avaient infiltré le PS ! Merci à Sarkozy de les avoir fait tomber ! »
Il me semble pourtant, cher Jean-Claude, que depuis le fameux tournant de 1983, le PS s’est ouvertement détaché du marxisme révolutionnaire et positionné en parti socio-libéral, cherchant davantage à cadrer et adoucir l’économie de marché, bref à la réformer, qu’à la remplacer par… quelque chose qu’on cherche encore à définir.
N’est-ce pas de ce fait plutôt les gauchistes radicaux – persistant dans une rhétorique qui ne reçoit même plus l’adhésion des classes populaires qu’elle est sensée défendre – qui infiltrent et pervertissent un PS qui gagnerait sans doute à faire vite scission s’il souhaite se reconstruire sur des bases solides en s’assumant, sans honte, tel qu’il est ?
Ne crois-tu pas, Vincent, qu’entre Marxisme révolutionnaire et anti-libéralisme (ce que tu appelles le gauchisme radical, ce qui sonne à mes oreilles de manière assez péjorative), il existe tout un éventail de nuances ?
Tu te demandes si le PS ne devrait pas se reconstruire en s’assumant tel qu’il est. Sans doute que le PS a besoin de reconstruction, mais sait-il, aujourd’hui, ce qu’il est ?
Ben oui, il sait ce qu’il est le PS, il me semble (même s’il n’ose bizarrement pas toujours l’avouer, intimidé qu’il est par son aile gauche) : tout simplement « socio-libéral » (je veux dire par là de gauche mais sans remettre en cause pour autant l’économie de marché).
Son accession au gouvernement, en 1981, lui a permis de passer rapidement de l’utopie au réalisme, bref de devenir « adulte »… ou « vendu » (selon le point de vue).
Il gagnerait, à mon sens, à se distinguer plus clairement de la gauche dite « anti-libérale » (qui a, sans doute un peu rapidement, abandonné Marx sans trop savoir encore par quoi le remplacer pour ne pas se contenter d’une simple posture de contestation).
Je trouve plutôt honnête – voire courageux – de la part de Kouchner, Allègre, DSK… de ne pas cacher qu’ils sont finalement plus proches de Bayrou ou Fillon que de Laguillier, Besancenot ou Bové.
J’aurais pour ma part plutôt tendance à pointer ironiquement Fabius, Emmanuelli, Mélanchon (et tous les autres partisans du « Non » à la Constitution Européenne) leur demandant ce qu’ils attendent pour quitter un PS « oui-ouiste » et participer à la construction de l’unification des forces sur sa gauche.
[…]« Sur le fond, la campagne a révélé un changement très important. Depuis plusieurs décennies, la gauche occupait le terrain moral, où elle exerçait une espèce d’hégémonie : les valeurs de justice, de solidarité et de protection des plus faibles l’avaient emporté sur les valeurs du travail, de la famille et de la patrie, honnies depuis Vichy, et même sur les valeurs d’ordre et de sécurité. La gauche avait gagné moralement : les fins étaient à gauche. Mais elle avait perdu intellectuellement, spécialement en économie. Depuis 1983, plus personne, y compris à gauche, ne veut sérieusement nationaliser les entreprises, renoncer à l’économie de marché, ni remplacer la concurrence par la planification. Les fins étaient à gauche ; les moyens étaient à droite ! D’où un brouillage généralisé, caractéristique des années Mitterrand puis des années Chirac. Cette fausse symétrie entre la gauche et la droite a éclaté avec la dernière campagne présidentielle : Nicolas Sarkozy a réussi à relégitimer des valeurs de droite (travail, autorité, compétition, nation). Mais, à l’inverse, la gauche n’a pas réussi à inventer, sur le plan des moyens, une politique économique nouvelle et crédible. Même si la candidate a fait une belle campagne, le programme du PS (abolition des lois Fillon, généralisation des 35 heures…) n’était pas à la hauteur. Ainsi, l’équilibre des fins et des moyens a été rompu au bénéfice de la droite. La droite a rattrapé son retard quant aux valeurs, tandis que la gauche n’a pas rattrapé le sien quant aux moyens économiques à mettre en oeuvre. C’est ce qui explique d’ailleurs le succès du centre. A gauche, à force de s’arroger le monopole du coeur, on a oublié d’être intelligent. Or, comme disait Coluche, « être de gauche, cela ne dispense pas d’être intelligent ». Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’un moyen n’est ni de droite ni de gauche. Il est efficace ou inefficace. Etre de gauche, ce n’est pas privilégier certains moyens – l’Etat plutôt que le marché -, c’est privilégier certaines fins, spécialement la justice sociale et la protection des plus faibles. Soyons fidèles à nos valeurs. Quant aux moyens, soyons pragmatiques ! »[…]
(André Comte-Sponville, Philosophie magazine n°10, juin 2007)
Pas complétement d’accord avec Vincent sur l’analyse, mais je dirais quand même, pour aller un peu dans son sens, qu’il y a dans ce pays trois grandes forces qui devront se structurer dans les années qui viennent : les antilibéraux (l’actuelle gauche de la gauche dont effectivement Fabius – même si ce personnage me répugne – fait partie), les socio-libéraux (dans lesquels il faut ranger maintenant le courant majoritaire du PS et Bayrou) et une droite plutôt dure (je dis « plutôt dure » car elle a repris à son compte les idées du FN).
Seule une bonne structuration des deux premières forces que j’ai citées pourra garantir une certaine démocratie dans notre pays.
Si je pense qu’il y a nécessité que la gauche de la gauche se structure, je dois dire que je ne vois pas trop sur quel base. J’ai du mal à percevoir ce qu’il y a comme point commun entre José Bové et un communiste par exemple. Mais peut-être qu’il sortira quelque chose de cette nébuleuse, pour peu qu’un peu de maturité advienne dans ces différents mouvements.
Tiens au fait, dans les trois grandes forces dont je parle, ils se rangent où les Verts ???
Presque d’accord avec toi, Bernard.
Ok pour deux forces à gauche qui doivent non seulement se distinguer mais rapidement se structurer : une gauche anti-libérale (mais pro-quoi ? elle va avoir du mal tant qu’elle ne le précisera pas) et un pôle socio-démocrate (PS/MoDem).
Mais deux pôles aussi à droite, car si Sarkozy a bien gagné en reprenant une partie des idées du FN, il n’en reste pas moins que la droite reste elle aussi traversée par une scission forte entre les partisans du « Oui » et du « Non » à l’Europe, avec tout ce que cela représente.
Deux partis à gauche, donc (ou plus ou moins), et deux à droite.
Mais en même temps, deux partis pro-Europe libérale encadrés par deux « anti ».
La disparition de Marx (et de ses analyses) dans le discours économico-politique, ça ne vous dérange pas, vous ?
Même les communistes n’osent plus s’y référer ! Je me demande d’ailleurs s’ils osent encore le lire (ben oui… ça fait tout de même beaucoup de pages, et peu d’images !!!)
Oui, c’est drôle ces personnages que la gauche n’ose revendiquer. On se rappelle du planqué de l’île de Ré qui cachait son passé trotskyste (comme si c’était une maladie).
Dans certains cas, on comprend pourquoi plus personne ne veut se référer aux personnages qui ont fait l’histoire du communisme. Ainsi Staline, Mao, probablement en raison des dizaines de millions de morts qu’ils ont provoqués.
Mais Marx ? La raison en est peut-être assez simple. Marx proposait une alternative au capitalisme. Mais quel capitalisme ? Le capitalisme industriel de l’époque, qui avait besoin de la masse des travailleurs pour prospérer. Rien à voir avec le capitalisme financier d’aujourd’hui basé sur des flux financiers et sur le tripatouillage et dans lequel le travail ne joue plus un très grand rôle. Que propserait Marx aujourd’hui ?
Marx avait prophétisé (si j’ai bien tout saisi) la mort programmée du capitalisme et la dictature du prolétariat faisant suite à une lutte acharnée des classes. Il n’avait pas imaginé que le capital parviendrait à faire disparaître ce fameux prolétariat avant justement qu’il ne gagne (en substituant le travailleur par des machines). Cela remet en cause certains aspects de sa théorie (qui ne demandent qu’à être actualisés) mais sans toucher, il me semble, aux fondements objectifs de son analyse économique (exploitation de la force de travail, baisse tendancielle du taux de profit, etc…)