Face aux lobbyes de tous poils, la législation n’est souvent qu’un faux-semblant. On se croit protégés de certaines atteintes mais nous sommes bien souvent trop naïfs. Ou alors, nous ne voulons pas voir. Ainsi, en matière d’alimentation, la plupart des consommateurs sont persuadés qu’on ne peut pas nous faire avaler n’importe quoi et qu’il existe des lois limitant le dosage de certaines molécules et interdisant d’autres. C’est vrai pour certaines, peu nombreuses. Mais il y a tellement de produits dont on ne sait rien, tellement de « seuils autorisés » qui ont été établis au pifomètre, qu’on peut se poser des questions. Et on ne rappellera jamais assez que sur 100 000 molècules de synthèse inventées par l’Homme, seules 2 000 (soit 5% seulement) ont fait l’objet de tests sur la santé.
Il est un autre domaine où le grand public est persuadé que la réglementation est bien faite, c’est celui de la pollution des eaux. On n’arrête pas d’entendre parler de réglementations, de « contrats de rivière », de rejets limités dans le milieu naturel et même de taxes qui s’appliquent aux pollueurs. Justement, parlons-en de ce principe « pollueur-payeur » dont on entend souvent parler. Il me semblait normal que les taxes-environnement payées pas les différents usagers de l’eau soient calculées au prorata de ce que rejettent les uns et les autres dans le milieu naturel. Et j’imagine que le public est certain qu’il en est ainsi. J’en étais moi-même persuadé. Jusqu’à hier soir. J’étais à l’assemblée générale de Franche-Comté Nature Environnement et j’ai appris qu’en France, le montant des prélévements de cette taxe étaient plus importants chez les pêcheurs à la ligne que chez les propriétaires de porcheries. Les lobbyes agricoles sont très forts. Convaincre le législateur que cet innocent pêcheur à la ligne que l’on voit, avec son air débonnaire le long de nos rivières, est un pollueur en puissance, il fallait le faire !
A vous dégoûter de manger du porc. A vous dégoûter aussi d’aller à la pêche. Le 22 avril et le 6 mai, au lieu d’aller à la pêche, j’irai donc voter. Promis.
Heu… A part Milhous (candidat de Chasse Pêche et machin-truc), il y en a d’autres qui ont au programme le rétablissement de l’équilibre entre les taxes des pêcheurs et des porcheries ?
Si les candidats de Chasse Pêche et machin-truc comme tu dis, ont toujours très peu de voix, n’est-ce pas parce que leurs électeurs sont à la pêche ce jour-la ?
Par ailleurs, la chasse aux voix ne semble pas trop leur convenir !
Euh…2000 sur 100000, ça fait pas 2% ? Ce qui ne change pas le fond du problème, je suis bien d’accord. Sauf que je suis en train de manger une tartine aux rillettes et que je n’aime pas les pêcheurs !
Remarquez, les pêcheurs creusois, ils sont supers ; ils ont des belles waders toutes neuves, et ils pêchent…depuis le pont. J’ai mis du temps à comprendre pourquoi, mais depuis j’en ai vu un obligé de faire le tour du pont pour aller décrocher sa ligne au milieu de la rivière : c’était donc en prévision, ils sont vraiment trop forts !…
Et pour en revenir au sujet, ben, ouaip, ça craint, mais on peut peut-être faire attention à ce qu’on consomme aussi, non ? Et rendre inutiles les gros pollueurs (j’avais déjà dit ça à propos d’autre chose, je crois que j’ai bien rendre ceux que je n’aime pas inutiles, mais pour les pêcheurs, j’ai pas encore trouvé !).
Ou alors offrir un cochon à chaque pêcheur.
Moi qui croyais être assez fort en calcul ! Pris en flag’ par Mag’ !
Oui, tu as raison Mag de donner une autre image du pêcheur que celle que je donne. Ou plutôt que je garde en mémoire car j’ai encore l’image du pêcheur que j’étais quand j’étais adolescent, qui arrivait à 4h du matin dans la pénombre au bord de l’eau après avoir marché 1 km, qui s’était bricolé une vieille canne à pêche toute pourrave, qui restait des plombes sans bouger. Pas de voiture au bord de l’eau, pas de chaise pliante, pas de canne à pêche en fibre de verre, pas de transistor, pas d’amorces achetées au magasin du coin, pas de casquette Ricard, pas de veste kaki … Oui, c’est vrai que le monde des pêcheurs est parfois aussi caricatural que celui des chasseurs. D’ailleurs, ce sont parfois les mêmes, non ?
C’est bien sûr « Nihous » et pas « Milhous » et « …Nature et Tradition » plutôt que « … Machin Truc ».
M. Vernet n’était pas un pêcheur à embarras, un pêcheur savant, lumineux, bavard, insupportable, il n’avait point de costume spécial, d’engins coûteux et inutiles, et la veille de l’ouverture ne lui donnait pas la fièvre. (…) Pourtant M. Vernet aimait la pêche ; passionnément, ce serait trop dire ; il l’aimait bien, il n’aimait plus qu’elle, après avoir renoncé successivement, pour des raisons diverses, à ses exercices préférés.
(…) C’est ainsi qu’il se trouvé, dimanche dernier, le matin, d’assez bonne heure, assis sur l’herbe, et non sur un pliant, au bord de la rivière.
(…) Bientôt, il prit un poisson.
(…) M. Vernet (…) au lieu de mettre le goujon dans le sac, sans savoir pourquoi (il ne sut jamais le dire), il regarda le goujon.
(…) Le goujon, après quelques soubressauts qui le fatiguèrent vite, s’immobilisa sur le flanc et ne donna plus signe de vie que par les efforts visibles qu’il faisait pour respirer.
Ses nageoires collées au dos, il ouvrait et fermait sa bouche, ornée, à la lèvre inférieure, de deux barbillons, comme de petits moustaches molles. Et, lentement, la respiration devenait plus pénible, au point que les mâchoires hésitaient même à se rejoindre.
« C’est drôle, dit M. Vernet, je m’aperçois qu’il étouffe ! »
Et il ajouta :
« Qu’il souffre ! »
C’était une remarque nouvelle, aussi nette qu’inattendue. Oui, les poissons souffrent quand ils meurent, on ne le croit pas d’abord, parce qu’ils ne le disent pas. Ils n’expriment rien (…).
Pour voir les poissons mourir, il faut, par hasard, les regarder attentivement, comme M. vernet. Tant qu’on n’y pense pas, peu importe, mais dès qu’on y pense !…
« Je me connais, se dit M. Vernet, je suis fichu ; je m’interroge et je sens que j’irai jusqu’au bout de mon questionnaire ; c’est inutile de résister à la tentation d’être logique : la peur du ridicule ne m’arrêtera pas ; après la chasse, la pêche ! Un jour quelconque, à la chasse, après un de mes crimes, je me suis dit : de quel droit fais-tu ça ? La réponse était toute prête. On s’aperçoit vite qu’il est répugnant de casser l’aile d’une perdrix, les pattes d’un lièvre. Le soir, j’ai pendu mon fusil qui ne tuera plus. L’odieux de la pêche, moins sanglante, vient seulement de me frapper. »
(…) « Je serais sans excuses, se disait-il. (…) Moi, je casse ma ligne ! »
Cependant, comme il tenait encore les morceaux brisés, M. Vernet murmura, non sans tristesse :
« Est-ce enfin devenir sage, est-ce perdre déjà le goût de vivre ? »
(Jules Renard, Histoires naturelles, 1896)
« La chasse et la pêche fournissaient – avec la cueillette – les ressources alimentaires de l’humanité préhistorique. La cueillette a été remplacée par l’agriculture, et la chasse par l’élevage. Seule la pêche continue à être pratiquée professionnellement, parce que les mers couvrent 70,8% de la surface du globe terrestre. Mais elle est elle-même en crise. On en a à fixer aux chalutiers des quotas de pêche, et, inévitalement, on s’achemine vers la pisciculture.
Cependant la chasse et la pêche continuent à se pratiquer sportivement, et elles correspondent à des psychologies toutes opposées. On est rarement à la fois chasseur et pêcheur. Il y a dans la chasse une agressivité qui s’épanouit dans un cérémonial ostentatoire. La chasse à courre avec son rituel ancestral relève des privilèges aristocratiques et même royaux. Tous les rois étaient chasseurs, aucun ne fut jamais pêcheur. La fanfare des piqueurs, la bahulée de la meute et les uniformes rouges des veneurs entourent la chasse à courre d’un faste violemment spectaculaire. La généralisation ultérieure de la chasse au fusil et la pétérade qui l’accompagne vont dans le même sens. Le chasseur est un actif primaire. Il arbore une virilité conquérante, et se veut le roi de la forêt.
La pêche au contraire s’entoure de mystère et de silence. Nul ne sait ce qu’il y a et ce qui se passe au-dessous du miroir des eaux. Il y a des chiens de chasse, pas des chiens de pêche, bien que certaines races adorent l’eau. Mais ni le labrador ni le terre-neuve ne profitent de leurs qualités de nageurs pour pêcher. La nature paraît parfois cruelle. Au chat, elle a donné un goût prononcé pour le poisson, et une horreur insurmontable de l’eau. En dépit du nom d’une rue parisenne rendue célèbre par Balzac, on n’a jamais vu un chat pêcher. Comme pour mieux marquer la frontière entre la chasse et la pêche, on ne chasse pas les oiseaux marins. Se nourrissant de poissons, leur chair n’est pas comestible.
Le chasseur s’enorgueillit d’une venaison qui fournit sa table plus noblement que celle du roturier. Le cerf, le lièvre, le faisan et le sanglier y remplacent le boeuf, le lapin, le poulet et le porc. Cette cuisine sauvage possède un fumet âpre et mordant qui s’exaspère avec la chair faisandée. Au contraire, la fraîcheur demeure l’impératif absolu de la pêche.
Le pêcheur incline à la rêverie et à la méditation mystiques. Son royaume est fait de profondeur et d’obscurité. On notera que l’Ancien Testament nous montre Esaü ardent chasseur, évincé sans gloire – pour un plat de lentilles – par son frère jumeau Jacob. Les Evangiles sont plein de poissons et d’histoires de pêche, mais il ne mentionnent pas la chasse. L’homme de Dieu est appelé un « pêcheur d’hommes », car sa mission est de rassembler et de sauver ses semblables par une évangélisation qui rappelle le coup de filet du pêcheur. D’ailleurs le poisson a été le signe de ralliement des premiers chrétiens et le nom crypté de Jésus. »
(Michel Tournier, Le miroir des idées, Mercure de France, 1994)
La tapette à souris est le piège le plus proche du hameçon.
Pour le coup, la souris est l’animal terrestre le plus proche du poisson.
J’aime beaucoup ce texte de Michel Tournier et, effectivement, je crois qu’il y décrit très bien les différences fondamentales qu’il peut y avoir entre un chasseur et un pêcheur. Mais ça m’étonnerait que Mag ne réagisse pas à ce texte !
Ben moi, je préfère le texte de Jules Renard !
C’est marrant de dire que les chasseurs et les pêcheurs ne sont pas les mêmes, en prenant des exemples de chasse à cour et autres pratiques sanguinolentes. Je pense que des chasseurs peuvent être tout autant inclinés à la rêverie et à la méditation mystiques que certains pêcheurs. Et je connais également des pêcheurs barbares, qui placent leur virilité dans leur trophée de brochet ou dans la photo de leur plus belle prise de silure (c’est pas un peu freudien, ça, tiens ?).
Au fait, savez-vous en quoi veut être souhaiterait être réincarné Milhous : en canard ! Ben ouais, pour jouer avec les chasseurs !
J’aime aussi beaucoup le texte de Jules Renard, cette chute surtout qui laisse entendre que « joie de vivre » et « sagesse » ne vont peut-être pas très bien ensemble.
Très Nietzschéen, finalement.
Je repense du coup à Brel qui disait dans une interview télévisée (du temps de L’Homme de la Mancha) : « La pire folie n’est-elle finalement pas de regarder le monde tel qu’il est plutôt que tel qu’il devrait être ? »
Un millier de personnes pour une manifestation dans un petit village franc-comtois, pour protester contre la pollution des rivières, c’est quand même pas mal !
https://picasaweb.google.com/randolassus/2011_05_14Goumois?authkey=Gv1sRgCLzuqYHegOW67AE&feat=email#
(cliquer sur « diaporama »)
Une équipe de chercheurs a calculé que si on liposuçait les 144 millions d’Américains qui sont en surpoids, on récupérerait 2,4 millions de tonnes de gras, de quoi faire 2,6 milliards de litre de saindoux et de remplir 1 038 piscines olympiques. Sympa comme comparaison. Mais bon, qui aurait l’idée d’aller nager dans du saindoux ?
… d’autant plus quà ces saindoux-là on préfère ceux de nos belles !