Annoncée sur ce blog il y a quelques jours, la conférence de Claude-Roland Marchand, première d’une série de trois, a eu lieu hier soir à Besançon.
L’idée de ce cycle de conférences est venue de la polémique suscitée l’an passsé par le film « le cauchemar de Darwin ». Roland a d’abord eu envie de remonter aux sources du Darwinisme et de montrer comment est apparue la fameuse théorie de l’évolution. C’est l’objet de cette première conférence.
Plusieurs lecteurs de ce blog ayant regretté de ne pouvoir assister à le conférence, j’ai décidé de la restranscrire de manière plutôt détaillée, afin que le débat qui s’ensuivra (enfin, j’espère) puisse être le plus riche possible.
Au cours des quelques millénaires qui ont précédé Darwin, le « créationnisme » et le « fixisme » ont été la pensée dominante, sous des formes diverses. Les Egyptiens avaient imaginé des cosmogonies, monde bien organisé, régi par un « Dieu de tutelle » supervisant lui-même neuf dieux différents. On n’était pas loin du monde de la magie, il suffisait par exemple que le Dieu Ptah imagine, par la pensée, un être vivant, pour que celui-ci soit créé. Chez les Grecs, Platon et Aristote avaient sensiblement les mêmes idées sur la place occupée par les différentes espèces : chez Pluton chaque être est considéré comme « idéal » et n’évolue plus ; pour Aristote, chaque être a une place bien précise sur une échelle, chaque barreau accueillant une espèce fixe et permanente (la plus simple en bas de l’échelle, la plus complexe en haut). Pour les judéo-chrétiens, la seule version de la création du monde est celle qui est citée dans l’Ancien Testament : Dieu a créé le monde en sept jours (dont ce célèbre 6ème jour au cours duquel il créa l’Homme à son image pour qu’il puisse soumettre les autres êtres vivants).
Une évolution notable viendra avec l’arrivée des Encyclopédistes, tels Diderot et d’Alembert. Ils remettent en cause la pensée chrétienne, ils abordent assez peu ce problème de la création des espèces mais ils auront une influence énorme sur les scientifiques qui suivront.
Le grand naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778), l’inventeur de la Systématique (cette science qui classe les êtres vivants) ne fera pas évoluer le débat. Il était très croyant. Pour lui, toutes les espèces sont fixées, immuables, on pourrait dire, en caricaturant un peu, qu’il se contentera de les classer.
Buffon (1707-1788) sera l’un des premiers à faire évoluer les choses. Alors qu’il était admis à l’époque que la terre avait environ 6 000 ans, il se hasarde à dire 75 000 ans et même à écrire trois millions d’années dans ses notes personnelles. Et il écrit surtout que « les espèces changent au cours des générations ». Il n’en est pas encore à dire que les espèces se transforment en d’autres espèces mais un grand pas est fait, qui contredit la genèse.
Lamarck (1744-1829) apportera une pierre importante à l’évolution de la pensée scientifique. Il s’oppose au créationnisme. Il pense que les espèces se transforment graduellement (on parle alors de gradualisme). Ainsi l’histoire connue du fameux cou de la girage (« la fonction fait l’organe et l’usage l’amplifie »). Il explique la naissance des espèces par une sorte de mouvement, d’élan vital, qui créerait une dynamique de changement des espèces.
Avec Georges Cuvier (1769-1832), on fera presque un pas en arrière car ce très grand savant (l’un des plus grands de son époque) considère que les espèces sont immuables et fixes.
Voilà donc où on en est lorsque Charles Darwin arrive. Mauvais élève, mal orienté au départ vers des études de médecine, naturaliste curieux, les circonstances feront qu’on lui propose une place sur le fameux bateau The Beaggle qui le conduira, entre 1831 et 1836, tout autour de la terre. Les observations qu’il fera aux Galapagos, au Cap Vert, dans les forêts brésiliennes ne le conduiront pas à échaffauder tout de suite sa théorie. De retour en Angleterre, Darwin observe avec attention les résultats des éleveurs de pigeons, de chiens, il relit ce que Malthus a écrit sur les dynamiques des populations animales et ce n’est qu’en croisant tout ceci avec ses propres observations de terrain, qu’il échaffaude progressivement sa théorie. Le fameux livre de Darwin (« l’origine des espèces par la sélection naturelle ») ne sort qu’en 1859 (23 ans donc après son retour), il connaîtra six éditions successives qui permettront à Darwin de peaufiner progressivement ses arguments. Il y expose avec force sa théorie que la sélection des espèces se fait par petits ajouts graduels qui vont modifier la descendance (voir ci-dessous, dans mon premier commentaire un raccourci de la théorie de Darwin, extrait de Wikipédia).
Les adversaires de Darwin, aussi bien dans les milieux religieux que scientifiques, s’opposent à sa conception (« Monsieur Darwin, vous descendez du singe, par votre père ou par votre mère ? ») et les caricaturistes de l’époque s’en mêlent.
Mais finalement, les résultats scientifiques obtenus dans d’autres disciplines (notamment en embryologie et en paléotologie) viendront apporter de l’eau au moulin de la thèse de Darwin.
Mais le créationnisme à la vie longue : au 20ème siècle, Teilhard de Chardin ramène Dieu sur le tapis (« Dieu est le point initial et le point final : l’alpha et l’oméga »). Jean Chaline, lui non plus n’est pas loin du créationnisme, en affirmant que « la loi guidant l’évolution serait inscrite dans l’ADN ». Au cours du 20ème siècle, la théorie de Darwin sera dévoyée par Alexis Carrel (prix Nobel en 1912, qui a géré les problèmes humains sous Pétain) qui justifie l’existence des chambres à gaz par le fait que les plus faibles, comme dans la nature, doivent être éliminés. Des théories diverses seront émises au cours du 20ème siècle, dont la théorie du gène égoïste de Richard Dawkins (« l’individu est un artifice inventé par les gènes pour se reproduire »).
Dans les dernières décennies, l’ensemble des scientifiques (ou presque) s’est rangé derrière Darwin. Ainsi le néodarwinien Axel Kahn qui intègre les apports de la science moderne pour renforcer la thèse de Darwin, Christian de Duve, prix nobel 1974 qui est venu au secours des darwiniens (« l’évolution n’est plus une théorie, c’est un fait ») et François Jacob, prix nobel 1965 (« L’évolution procède comme un bricoleur qui pendant des millions et des millions d’années, remanierait lentement son oeuvre, la retouchant sans cesse, recoupant ici, allongeant là, saisissant toutes les occasions d’ajuster, de transformer, de créer »).
Comme vous le savez, les mouvement religieux créationnistes, très implantés aux Etats-Unis, remettent plus que jamais en cause la théorie de Darwin. En France, on pourrait se croire à l’abri de ce retour en force de l’obscurantisme primaire. Et bien non, il y a une quinzaine de jours, le ministère de l’Education Nationale a confirmé que des livres, réfutant la thèse de Darwin, avaient, au nom du Coran, été massivement envoyés aux écoles françaises (envois réalisés depuis l’Allemagne et la Turquie) et que le ministre avait lancé un message d’alerte auprès des recteurs pour que le livre ne soit pas lu par les élèves. On croit rêver.
Dans un contexte où les créationnistes religieux mettent les bouchées doubles, la conférence de Claude-Roland Marchand prend toute son importance.
Je remercie Roland qui a accepté de jouer le jeu avec les lecteurs de ce blog. Lui-même étant un intervenant régulier sur ce site, il est disponible dans les jours qui viennent pour dialoguer avec nous en ligne ! A vos commentaires donc !