« Bringing it all back home »

DISCOGRAPHIE DE BOB DYLAN (5)
Après avoir changé le cours de la musique populaire américaine, avec les deux chefs-doeuvres que sont Freewheelin’ Bob Dylan et The times they are a-changin’ (suivis par Another side of Bob Dylan qui est un album de transition), Dylan se met en retrait et passe le plus clair de son temps à l’écart de New York. Il adopte alors une attitude destinée à se démarquer complètement du monde du folk qu’il a décidé de fuir : chemise à col anglais, lunettes et bottes noires… Robert Santelli écrit à propos de cette époque “Son visage n’exprime plus tant l’innocence juvénile qu’une certaine arrogance distante”.

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Le dernier disque de Dylan, Another side of Bob Dylan, ne s’était pas bien vendu sur le moment, éclipsé par l’irruption de la musique des Beatles aux Etats-Unis. Juste après la sortie du disque, en août 64, Dylan rencontre justement les Beatles qui avaient été sidérés par le disque Freewheelin’ de Dylan et l’avaient, d’après Georges Harrison, usé jusqu’au dernier sillon. Influences mutuelles à la suite de cette rencontre au sommet : les Beatles vont désormais écrire des paroles beaucoup plus profondes (c’est vrai que jusque-là …) et Dylan, influencé non seulement par les Beatles mais aussi par les Byrds et les Animals, va passer … à l’électricité !

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Cinq mois plus tard, en janvier 1965, alors que les Animals connaissent un succès phénoménal avec l’adaptation rock de la version de Dylan The house of the rising sun, Dylan entre en studio pour l’enregistrement de son cinquième disque : Bringing it all back home. Disque une nouvelle fois mythique, enregistré en quelques jours seulement. On peut écouter ici quelques extraits de 30 secondes de chacun des morceaux du disque.Coup de maître !

Dylan est un vrai rocker, ça se sent dès le début du disque. Robert Santelli écrit à ce propos “La question de savoir si Dylan peut passer sans encombres de l’acoustique à l’électrique, et du folk au rock est rendue caduque dès la première chanson de l’album, subterranean homesick blues, avec son feu rouge de paroles servies par un beat vigoureux et des riffs de guitare rageurs”. Beaucoup de morceaux sont de cette même veine rock (Maggie’s farm, Outlaw Blues, Bob Dylan’s 115th dream…). J’ai un petit faible pour la chanson Love Minus Zero / No limit pour sa très belle mélodie.

Le disque se termine par quatre morceaux acoustiques, qui sont tous devenus des classiques célèbres Mr. tambourine man, Gates of Eden, It’s alright Ma et It’s all over now, baby blue.

Du point de vue des paroles, presque toutes les chansons du disque ont un sens qui n’est pas évident, les textes que l’on peut qualifier parfois de torrentiels déjouent les règles de la composition traditionnelle. Robert Santelli affirme que “Dylan écrit désormais de façon trop obscure pour que quiconque puisse comprendre précisément le sens de ses chansons, ouvertes du coup à toutes sortes d’interprétations – exactement le but recherché par leur auteur”. Deux chansons échappent à ce schéma : The gates of Eden et It’s alright, Ma qui parlent d’un monde désemparé, ayant complétement perdu ses repères. On est à des années-lumière de l’innocence de l’utopie des précédentes chansons, telle Blowin’ in the wind !

Ce disque marque officiellement la naissance du folk-rock qui est, en quelque sorte, une réponse des musiciens américains au déferlement de la musique anglaise, Beatles en tête, sur les ondes. De nombreux musiciens et groupes vont alors s’engager sur cette nouvelle voie ouverte par Dylan. A ce titre, Bringing it all back home fait donc partie des disques dont on peut dire qu’ils ont fait l’histoire de la musique !

15 réflexions au sujet de “« Bringing it all back home »”

  1. Extrait de l’article sur Dylan du Dictionnaire du rock de Michka Assayas :
    La création de « Mr Tambourine Man », un des ses titres inédits, par le groupe de folk-rock californien les Byrds, qui l’interprète à la façon des Beatles, l’enthousiasme.
    Il invite le guitariste de blues électrique new-yorkais Bruce Langhorne à venir jouer sur son nouveau disque, le producteur Tom Wilson se chargeant de recruter les autres musiciens.
    L’album qui sort sous le titre Bringing It All Back Home, en mars 1965, débute par un incroyable choc : « Subterranean Homesick Blues », un morceau à la Chuck Berry, mi-chanté, mi-parlé, illustre bien le titre de l’album (« On ramène tout ça à la maison » – « tout ça » étant le rhythm’n’blues américain que se sont approprié les Anglais).
    (…)
    Toute la première face de l’album est « électrique » et contient deux des plus belles chansons d’amour, au langage symbolique, « She Belongs to Me » et « Love Minus Zero – No Limit», que Dylan ait écrites.
    La seconde face, avec « Mr. Tambourine Man » et le classique « It’s All Over Now, Baby Blue », est enregistrée avec sa guitare sèche et son harmonica, en une seule prise et sans accompagnement. Nombre de ses dévots accusent désormais Dylan d’avoir renié son amour du peuple, d’être devenu une pop star vaniteuse vendue à l’argent.

  2. Pour rire et rebondir sur la dernière phrase d’Anne :
    Un journaliste a demandé un jour à Dylan « Vous gagnez beaucoup d’argent si je n’m’abuse ? »
    Réponse de l’artiste : « Je n’m’abuse ! »

  3. Pour faire suite à mon précédent commentaire, j’en profite pour dire que Dylan a été souvent considéré, à raison, comme « la terreur » des journalistes et les interviews étaient souvent surréalistes. Extraits d’un interview du 3 décembre 65 à la télévision :

    Q : « Est-il vrai que vous ayez changé de nom ? Si oui, quel était votre nom ? »
    R : « Kunezevitch. J’en ai changé pour éviter des personnes de la famille qui venaient me voir dans différents endroits du pays et qui voulaient des billets gratuits pour les concerts ».

    Q : « Combien de personnes se servent de leur musique pour protester contre l’ordre social où nous vivons aujourd’hui »
    R : « Cent trente six. C’est soit cent trente six, soit cent trente deux. »

    Q :« Comment définiriez-vous la musique folk ? »
    R : « Comme une remise en jeu constitutionnelle de la production de masse. »

    Q : « Que signifie pour vous le mot protester »
    R : « ça veut dire chanter contre son gré »

    Q : « Pourquoi nous faites-vous marcher comme ça, ainsi que le reste du monde ? »
    R : « Je ne fais qu’essayer de répondre à vos questions aussi bien que vous savez les poser. »

    Q : « Et quelle est la raison de votre visite en Californie ? »
    R : « Oh, je suis venu ici chercher des ânes. Je suis en train de faire un film sur Jésus. »

  4. Merci Anne pour cet extrait du livre de Assayas. Décidément, va falloir que j’en fasse l’acquisition !
    A propos de Mr Tambourine Man, l’une des chansons les plus connues du disque et popularisée, comme tu le soulignes, par les Byrds, voici ce qu’en dit Robert Shelton :

    “Mr. Tambourine Man : un grand poème lyrique sur la recherche de la transcendance par l’artiste. “Tambourine” est audacieux en définition, tout en résonnant d’ambiguïté. Dylan demande quelle expérience, quel chemin, quelle porte nouvelle peuvent nous amener au bonheur et à la plénitude. Le décodage le plus couramment accepté veut que Dylan parle de drogues… La thèse de la métaphore de la drogue est facile à plaider : la transcendance, la liberté, l’évasion et les allusions directes, au deuxième couplet, à un “trip” et aux sens mis à nu, et au quatrième couplet, aux “ronds de fumée de mon esprit”.

    La chanson touche à une expérience plus universelle que celle des drogues. Connaissant la musique gospel noire, Dylan pouvait certainement identifier l’homme au tambourin comme porteur du salut religieux qui introduit “un bruit de joie” dans l’église. N’importe quelle troupe de militants ambulants de l’Armée du Salut digne de foi utilise un tambourin pour égayer son évangile. L’homme au tambourin pourrait facilement incarner les muses de la poésie et de la musique, ou un marchand de sable pour adultes, un esprit qui nous soutire à notre défilé quotidien pour que nous nous enfuyions « loin de l’atteinte distordue du chagrin fou » avec l’espoir que nous puissions « oublier aujourd’hui jusqu’à demain »….

    La magie de la chanson vient en partie de ce qu’il existe des légions d’homme au tambourin. Je trouve que l’homme au tambourin est Dylan lui-même, qui joue pour moi une chanson, m’entraîne à sa suite, me place sous le charme de sa danse ».

  5. En regardant le titre du disque que j’ai à la maison, je me rends compte avec stupéfaction que celui que j’ai dans ma discothèque s’intitule non pas Bringing it all back home mais Subterranean homesick blues (qui est aussi le titre de la première chanson). En fait, il s’agit bel et bien du même disque. Les morceaux du disque et les dessins de la pochette sont rigoureusement les mêmes.

    Alors, pourquoi Sony l’a-t-il, à un moment donné, commercialisé sous un autre nom ? J’ai fait une petite recherche sur internet et découvert que c’est en Europe que le disque avait été commercialisé sous le titre de Subterranean homesick blues. J’en imagine assez bien la raison car le vrai titre d’origine est en fait assez anti-européen. Comme l’a écrit Anne, Bringing it all back home, qui est une belle expression de langage parlé, dénonce le flot de musique anglaise qui arrive aux Etats-Unis. En donnant ce titre qui veut dire ramenez tout ça à la maison, Dylan rappelle que le rock ‘n roll et le rythm ‘n blues sont bel et bien nés aux Etats-Unis.

    Je viens de me rendre compte en consultant le site d’Amazon que le disque est encore vendu de nos jours sous les deux appellations : Bringing it all back home et Subterranean homesik blues. Si vous deviez faire cet achat, privilégiez évidemment le premier qui respecte le titre publié en 1965.

  6. quel compositeur ce mec, quel songwriter malheuresement capable du pire comme du meilleur
    une de ces citations que j’aime :
    j’aurais pu composer « satisfaction » mais keith richards n’aurait pas pu ecrire like a rolling stone

  7. Je ne connaissais pas cette phrase à propos de Keith Richards mais elle m’a fait beaucoup rire !

    Oui effectivement Dylan est capable du meilleur comme du pire, mais surtout du meilleur. A y regarder de plus près, je ne vois que deux disques plutôt médiocres (self portrait et Dylan a fool such as I) entre 69 et 73. Dylan « resuscite » ensuite lors de la sortie de son disque Planet waves suivi de Blood on the tracks et Desire. La période « catho » des années 79-80 est moyenne mais pas médiocre. Depuis 1989, date de la sortie de Oh mercy, il me semble que Dylan ne produit que du bon.

    Sur scène, c’est différent, il y a beaucoup de bon mais aussi beaucoup de mauvais, Dylan s’acharnant souvent à détruire ses propres morceaux. J’ai lu une fois qu’il avait raté un concert sur deux. Je dirais deux sur trois, l’ayant vu à trois reprises, dont deux très bonnes !

  8. Evidement, si Joëlle et moi faisons (presque) toutes les photos de ce blog, celle de Dylan en 1965 n’est pas de nous. A 11 et 9 ans, on ne savait pas encore faire de la photo !

  9. J’ai cité quelques extraits ci-dessus d’un interview de Dylan de 1965, assez cocasses. Dylan répond-il volontairement à côté de la plaque ou au contraire y-a-t’il une part de vérité dans les réponses ?
    Je pensais qu’il s’agissait plutôt de provocation. Mais dans ce même interview de 1965, on lui pose la question « si vous deviez vous rendre à un intérêt commercial, lequel choisiriez-vous ? », Dylan répond « les sous-vêtements féminins ». On pourrait croire à une blague, et on imagine mal Dylan mettant sa réponse en pratique. Sauf que le Monde d’aujourd’hui publie un article sur Dylan dans lequel il est dit que ses détracteurs lui reprochent aujourd’hui d’avoir des intérêts … dans la lingerie féminine. Finalement, Dylan l’a fait … quarante ans plus tard ! Déroutant !
    En tous les cas, je vous conseille de lire l’article du Monde qui avait déjà consacré un très long article sur lui (presque une page complète) en 2002.

  10. Attention, l’édition limitée du nouveau disque de Dylan paru il y a quelques jours (celle qui contient un DVD en plus) est épuisée avant même qu’elle ne sorte en France. J’ai reçu un mail d’Amazon annulant ma commande. Finalement, je viens de le recommander, mais avec 7 semaines de délais, sur le site de la fnac en import du Japon. Et il est passé de 17 euros à 31 !
    Il n’y a semble-t-il que des bonnes critiques sur ce disque qui fait actuellement un tabac : déjà classé 11ème dans les ventes d’Amazon. Pas mal pour un vieux bonhomme hors du temps ! Le vieux lion n’est pas mort.

  11. L’article parle d’un retour aux racines. Comme si l’ultime progression possible formait forcément une boucle. Revenir aux sources mais après avoir tout exploré.
    Je suis impatiente d’écouter ce dernier album. Tu fais signe quand tu le reçois ?

  12. J’aime bien cette remarque sur le retour aux racines et cette progression en forme de boucle. Mais peut-être que la boucle n’est pas encore bouclée et qu’on va retrouver Dylan dans quelques années là où personne ne l’attendra.

    Concernant l’édition limitée du dernier disque de Dylan qui, d’après amazon n’est plus disponible et que j’ai dû commandée à la fnac en import du Japon, (avec 7 semaines de délais), je me suis rendu compte hier avec surprise que cette édition collector était dans les rayons de Forum à Besançon … ! Finalement, je l’ai achetée et j’expère que je vais pouvoir annuler ma commande à la fnac ou la reporter sur un autre produit.

    Pour ceux qui seraient tentés d’aller à Forum, l’édition limitée avec un DVD en plus ne vaut que 2 euros de plus que le disque audio seul (respectivement 21 et 19 euros).

  13. Je suis allée voir le clip de « When The Deal Goes Down », tiré du dernier album.
    Le morceau est magnifique et la réalisation du clip extrêmement bien faite.
    Le retour aux sources, dont on parlait plus haut, y est flagrante :
    Le film est tourné comme un super 8 familial . Les fringues, autos, lunettes, etc évoquent les années 50 ou 60.
    On aperçoit furtivement, sur les genoux de Scarlett Johansson, le livre « Bound For Glory », qui est l’autobiographie de Woody Guthrie.
    J’ai reconnu les pochettes d’un disque de Hank Williams, puis celle d’un disque de Buddy Holly.
    Je cours m’acheter le disque.

  14. Damned ! Moi aussi, j’ai la version européenne de « Bringing it all back home »… Ca a été le cafouillis dans ma tête pendant bien trois minutes, me disant que j’avais loupé un épisode discographique….

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