Le monde de la distribution du disque classique a subi un electrochoc l’an passé avec la mise sur le marché, par les éditions Brilliant, de l’intégrale Mozart. Non pas qu’il s’agisse d’une deuxième intégrale Mozart, ce qui est déjà un événement en soi, mais à cause et surtout de son prix incroyable : 99 euros pour 170 CD, mettant le CD à moins de 60 centimes.
La surprise a été aussi du côté de la qualité : les critiques ont été quasiment unanimes pour saluer la richesse des interprétations (supérieure même à celles de la première intégrale Phillips, parue en 1991 lors du bicentenaire de la mort de Mozart) et la qualité technique des enregistrements. Le succès a été au rendez-vous malgré quelques critiques venant de quelques « coincés-du-cul » pour qui il est proprement inadmissible que l’on mette Mozart à la portée de la plupart des bourses, voir à ce propos un article intéressant du directeur des éditions Abeillemusique.com.
En février 2006, 100 000 coffrets Mozart étaient déjà distribués en France et il semblerait aujourd’hui que le nombre de disques de cette intégrale vendus soit supérieur à tout ce qu’il se vend comme disques de musique classique. Le marché du disque classique en a été boosté comme jamais. Bon nombre de personnes qui n’avaient jamais écouté Mozart se sont vues offrir un coffret à Noël. Espèrons au moins qu’elles auront la curiosité de mettre un disque sur la platine… !
Bien sûr, on peut se poser la question de la nécessité de cet achat qu’on mettra toute une vie à digérer (d’autant plus que 2006 étant le 250ème anniversaire de la naissance de Mozart, nous sommes tous un peu victimes d’indigestion, non ?) et sur cette nouvelle manie, très liée à notre époque, de « consommer de la musique au kilomètre » (et malheureusement je ne suis pas le dernier !).
Les éditions Brilliant ont récidivé, avec un coffret consacré à ce grand compositeur qu’est Chostakovitch (assurément le plus grand symphoniste depuis Beethoven, bien que je sois plutôt un accro de ses quatuors pour cordes) : 27 CD pour 63 euros environ. Il ne s’agit pas là d’une véritable intégrale car il y manque les oeuvres vocales, les oeuvres pour piano solo et les opéras.
Tout ça pour vous signaler un nouvel événement discographique : les éditions Brilliant sortent demain 31 août une « intégrale Jean-Sébastien Bach », la première sur le marché : 155 CD pour un prix de 89 euros. L’événement est de taille, il était annoncé depuis un an.
Bach étant moins facile, moins « immédiat », moins médiatisé aussi que Mozart, on peut se demander si le succès sera aussi au rendez-vous. Il y a pourtant tellement plus de modernité dans Bach !
Petite précision : les éditions Brilliant onf fait un vrai travail d’éditeur en accompaghant l’intégrale Mozart d’un CD de textes au format pdf qui présentent les oeuvres du coffret, ce qui représente un total de 868 pages qui sont malheureusement en anglais.
Par contre le coffret Bach est annoncé avec un CD en français et toutes les paroles des célèbres cantates !
Merci pour l’info !
PS : 155 CD en 75 ans, contre 170 en 35… le roi de la glandouille, le Père Jean-Sebastien !!!!
pour plus d infos sur les deboires de l heritage musical du grateful dead et du fait de diffuser librement tout ou de trouver autre chose …… viens sur mon forum
Ben c’est quoi l’adresse de ton Forum ????
Cyril avait laissé un commentaire sur mon article consacré à Grateful Dead et avait donné l’adresse de son forum destiné aux fans ce de groupe :
http://gratefuldead.forumactif.com/
merci a toi bernard
sinon le prix du coffret mozart vient peut etre du fait que c est pas du karajan
Il ne faut surtout pas croire qu’il s’agit, pour le coffret de Mozart, d’interprétations au rabais et qu’elles ne valent pas ce qu’a fait par exemple Karajan pour les symphonies, la Messe en Do ou le Requiem.
Il ne s’agit pas du tout de jeunes musiciens roumains tous juste sortis du conservatoire (je caricature un peu, volontairement) mais de musiciens tout à fait confirmés et appréciés par la critique musicale. D’ailleurs, tout le monde s’accorde pour dire qu’il s’agit là d’enregistrement de haute qualité artistique. Pieter Van Winckel, le Directeur Artistique de Brilliant Classics, connaît son affaire et il a mis tout son goût musical et sa connaissance de la discographie au service de son projet. Il a travaillé en étroite collaboration avec des labels indépendants, en prenant le meilleur de chaque label (il a travaillé avec les labels Claves, Nimbus, Bis, Berlin Classics, CRD, Hungaroton).
Là où je rejoins Cyril, c’est que s’il y avait eu des artistes aussi exigeants financièrement que Karajan, il n’y aurait effectivement pas d’intégrale à un prix aussi bas (petit rectificatif : j’ai dit 99 euros dans l’article mais je viens juste de m’apercevoir que l’intégrale est descendue à 85 euros sur Amazon, port compris).
Pour ceux qui hésiteraient à acquérir un tel coffret et qui habitent sur le secteur de Besançon (la plupart des lecteurs de ce blog à priori), je serais très heureux de prêter mon intégrale Mozart aux hésitants (ce qui est vrai d’ailleurs pour tous les disques ou dvd dont je parle). Et j’offre une petite bière en plus … évidemment !
Petite réponse à Humeur Badine qui déclare que Bach est un glandouilleur qui n’a fait que l’équivalent de 155 CD en 75 ans, bien moins que Mozart donc.
Je reconnais-là le côté « titilleur » d’Humeur Badine qui veut absolument me pousser à m’exprimer sur un sujet qui me tiens beaucoup à coeur, le seul compositeur dont j’amènerais l’oeuvre sur une île déserte : Jean-Sébastien Bach (j’y amènerais d’ailleurs aussi ma guitare pour garder le contact avec la langue française, via les chansons de Brassens).
Il y a tellement de choses à dire sur Bach qu’il va bien falloir que j’aborde un jour sérieusement ce sujet mais bon, comme j’ai encore cinquante ans devant moi, je ne suis pas pressé. Voici donc ce que je peux écrire dans un premier temps sur la remarque d’Humeur Titilleuse :
D’abord Bach est mort à 65 ans (1685-1750) et non à 75. Et toc ! (il n’est pas inutile de rappeler qu’il est quasiment l’exact contemporain (les années de naissance et de mort sont sensiblement les mêmes) des trois autres grands compositeurs de l’époque : Vivaldi en Italie, Rameau en France et Haendel en Angleterre.
Ensuite, toutes les oeuvres de Mozart n’atteignent pas la hauteur de son quintette pour clarinette ou de son quintette pour cordes (KV 516). Certaines oeuvres sont nettement en-dessous, bien qu’étant toujours extrêmement agréables à écouter (je dirais qu’il s’agit d’oeuvres très plaisantes, sans nuance péjorative dans ce terme). J’imagine que ces oeuvres ne sont pas très longues à composer, surtout quand on est un génie.
La qualité est beaucoup plus constante chez Bach, presque toutes sont très profondes et j’imagine qu’il lui a fallu beaucoup plus de temps pour les écrire, d’autant qu’elles sont beaucoup plus complexes. Complexes, car Bach, c’est avant tout l’art du contrepoint (la superposition des différentes lignes musicales). Je n’y connais rien en musique mais la moindre des partitions de Bach que j’ai eue sous les yeux m’impressionne, ce sont des tas de courbes qui s’entrecroisent, c’est d’une très grande complexité mais même un ignare comme moi est capable d’y déceler aussi, et c’est très paradoxal, un esprit étonnamment ordonné malgré la complexité du propos musical (la complexité n’est pas forcément le fouillis). Celà va bien au-delà je pense d’une partition de Mozart. Attention, ce n’est pas un jugement de valeur, j’adore Mozart, qu’on ne se méprenne donc pas sur mes propos.
Mes propos s’arrêtent d’ailleurs ici car je dois être à 18H15 précises, c’était il y a quelques minutes, sur le terrain de pétanque de Bussières. A toute à l’heure donc pour la suite du propos (qui dépendra évidemment du fait que j’aie gagné ou perdu à la pétanque, ce genre de chose influe évidemment sur l’humeur générale, non ?).
T’essaieras de pas prendre une défaite comme la dernière fois que t’as joué à la pétanque
(à savoir 15 / 0)
Sur l’île déserte, je te laisse son oeuvre… et moi je prends sa femme, ça te va ?
Non non, Steph, c’était pas une défaite, c’était … une branlée ! Ben oui, tout arrive ! Meilleur score ce soir (13/10) mais la pluie a empêché toute idée de revanche. Me revoici donc un peu plus tôt que prévu pour poursuivre la conversation avec cette satanée Humeur Badine. Mais bon, y’a des sujets, j’aime bien qu’on me titille dessus !
Revenons donc sur ce qui fait, à mon avis, la spécificité de Bach, à savoir la richesse du discours, pas trop sur l’aspect horizontal de la partition (la mélodie), Mozart lui sera bien supérieur à ce niveau, mais d’un point de vue verticalité, ces fameuses lignes musicales qui se superposent et qui donnent de la profondeur au discours.
On peut dire aussi que cet art du contrepoint a grandi au fil des siècles qui ont précédé Bach et que Bach est le sublime aboutissement de cette époque à jamais révolue. On sentait bien dans cette première moitié du 18ème siècle que la musique allait changer, que Haydn n’était pas bien loin et que le classissisme de Mozart se profilait déjà. Les musiciens de l’époque doutaient de la musique qui les avaient précédés, tous sauf un : Bach, qui a passé sa vie entière à synthétiser tout ce qui avait existé avant lui sans jamais se détourner de cette tâche qu’il s’était assignée et sans prêter la moindre oreille aux nouvelles modes musicales qui arrivaient. J’aime ce caractère obstiné de Bach que rien ne peut détourner de son objectif. Bach a donc, en quelque sorte, non seulement synthétisé la musique de ses prédécesseurs mais il est allé plus loin, il a magnifié tout ce que les siècles avaient produit jusque là, c’est la fin d’une très longue époque. Bach était l’ultime gardien de la Tradition.
On oublie souvent que Bach a eu aussi d’autres fonctions. Il avait une charge énorme de pédagogue, devait former des tas de jeunes gens du cru (dont il se plaignait souvent de la médiocrité), il était même surveillant dans son établissement scolaire, devait faire chanter les choristes tous les dimanches dans les églises, était aussi facteur d’orgue (l’un des plus grands ayant jamais existé) et a élevé une ribambelle d’enfants (la bagatelle de 21 je crois, dont évidemment certains sont morts en très bas-âge, comme l’époque le voulait). Alors, dans ces conditions, composer plus d’un millier d’oeuvres, c’est pas mal, non ? Surtout quand ces oeuvres sont, pour la plupart, très riches et très différentes l’une de l’autre.
Evidemment, la remarque d’Humeur Badine était une boutade car on ne peut pas mesurer la qualité d’un musicien à la quantité de ses oeuvres. A propos de quantité, je terminerai ce propos par une remarque humoristique qu’avait faite Stravinski à propos de Vivaldi (qui est, rappelons-le un contemporain de Bach) : « Vivaldi n’a pas fait 600 concertos, il a fait 600 fois le même ».
On m’a offert l’intégrale de Mozart au mois de mars (joli cadeau, n’est-ce pas ?) mais je dois avouer que je ne suis toujours pas parvenu à trouver une façon de l’explorer ! Ca rebute – écoeure- presque ce paquet… peut-être parce qu’elle est décorée comme une boîte de chocolat !
« Je ne sais plus où j’avais déniché cette plaisanterie – sans doute dans un livre très grave, le sourire va si bien à la gravité : quand ils sont devant Dieu, les anges jouent du Bach. Et quand ils sont entre eux, ils jouent du Mozart. Cette histoire est certes un peu injuste pour Bach, mais si on ne peut plus se moquer de ceux que l’on aime, de qui se moquera-t-on ? »
(Christian Bobin, Autoportrait au radiateur, 1997)
« Je trouve Mozart dans Mozart, trop de Beethoven dans Beethoven, rien de Bach dans le sublime anonymat de Bach. »
(Alain Bosquet, La fable et le fouet, 1995)
« Il existe un talent particulier, dans l’art de la composition, qui est celui de la superposition. L’empilement de rythmes (Brahms), de métriques (Beethoven), de phrasés et d’articulations (Bach), de tonalités (Stravinsky), de genres (R. Strauss), en est la forme la plus élémentaire. Mozart, qui possède au plus haut degré tous les talents d’un musicien, a su pousser la simultanéité à un point quasi métaphysique dans Les noces de Figaro, en superposant un récitatif et une marche (!), puis un récitatif et un fandango (!!) ; il montra un génie encore plus épanoui, plus éclatant qu’une pivoine à la fin du printemps, en faisant jouer ensemble trois orchestres, dans trois mesures différentes, à la fin du premier acte de Don Giovanni. »
(Jacques Drillon, de la musique, 1998)
« S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu. »
(Emile Cioran, Syllogismes de l’amertume, 1980)
« L’idéal serait de pouvoir se répéter… comme Bach. »
(Emile Cioran, Aveux et anathèmes, 1987)
« Aspect inhumain ds oeuvres « parfaites ». Bach – enchaînement de théorèmes.
*
Bach. (…) Tout est sur la table – Pas d’ombres. Pas de sentiment, pas de mystère, autre que celui (qui est suprême) de l’existence par soi.
*
Miraculeuse Suite en Ré majeur de Bach – Exemple adorable – où je n’entends ni mélos, ni pathos, ni rien qui ne soit… réel, qui ne se développe qu’en soi-même, et s’expose sous toutes ses faces sans me voir. Intensité de pureté. Nul emprunt au coeur, ni au hasard heureux, ni à moi, ni au passé – Quel présent ! Exemple adorable. Action en soi, qui semble à l’infini de tout objet, pure de tout dessein, volonté isolée, acte pur ; m’ignorant et m’éblouissant… tellement que moi, auditeur, qui, après tout, donne existence par mon ouïe et par mon être à ce phénomène, me sent être acidentel – Ma sensation pourrait… se passer de moi.
(Paul Valéry, Cahiers, tome 2, 1974)
« Même pour les cordes, Johann Sebastian Bach aimait à noter sur la partition des rondes et des blanches liées à deux cordes d’écart qui ne pouvaient ête audibles que pour l’oeil. Notes ininterprétables, sons non sonores, signes qui sont inscrits pour la pure beauté de l’écriture. Je propose d’appeler « notes inouïes » ces sons écrits injouables qui font penser à ce que les grammairiens nomment les « consonnes ineffables » (le p dans sept). »
(Pascal Quignard, La haine de la musique, 1996)
« Vous avez déjà vu un portrait de Bach ? Avec son ventre rond il me fait penser à une chatte enceinte. Son âme devait suivre son corps. Son âme était grosse comme un ventre de milliers de chatons, il a accouché tout au long de sa vie de milliers de notes. Le besoin de créer est dans l’âme comme le besoin de manger dans le corps. L’âme c’est une faim.
(…)
Bach, le gros plein de notes. Si je préfère sa musique à toutes les autres, c’est parce qu’elle est délivrée du sentiment. Pas de chagrin, pas de regret ni de mélancolie : juste la mathématique des notes comme le tic-tac des balanciers d’horloge. Comme la vie qui s’en va dans la vie.
(…)
C’est comme Bach : il a eu beau écrire des milliers de notes, il ne s’est jamais foulé. Partitas, cantates, sonates, messes, concertos, tout se ressemble et se répète merveilleusement, il n’est jamais sorti de sa nature, il n’a jamais cru ce que chantent les lève-tôt : qu’il faut se faire violence et s’expulser de soi pour aller dans le monde. Le gros n’a pas cessé de dormir en boule, en notes, en air.
(…)
Si on regarde les portraits de Bach, on peut trouver un gros chat mais aussi une baleine. Quand j’écoute cette musique, c’est comme quand je me glisse dans la baignoire et que je guette, tête sous l’eau, les bruits du dehors.
(…)
Le gros est en pleine forme. La nuit, il joue pour mes beaux yeux la sonate pour violon numéro 3 en ut majeur, BWV 1005. C’est ce qui est marqué sur la cassette. BWV 1005, je verrais bien ça sur une plaque d’immatriculation de voiture. Et le gros au volant, roulant à toute allure, nuque raide, visage fermé, grave comme un pape. Il y a trois choses qui m’apaisent ces temps-ci. L’écriture. Le vin d’Arbois. Et la sonate numéro 3. les deux premières sont liquides – encre et vin. La troisième est aérienne – ailes et joie. Je l’écoute la nuit comme on s’attarde devant une équation à plusieurs inconnues. Cette musique-là s’empare de la vie brute, faite d’attente, de fatigues et d’ennui, elle cherche si peu à oublier cette substance des jours ordinaires qu’elle en fait sa base, sa nourriture, sa terre d’envol : d’abord des ébauches, des bégaiements, le raclement sans grâce de l’archet sur les cordes, et d’un seul coup tout se recueille et s’envole dans la fugue d’un air pur. »
(Christian Bobin, La folle allure, 1995)
« Chaque fois que j’entends du Bach, je me dis qu’il est impossible que tout soit apparence. Il faut qu’il y ait autre chose. Et puis, le doute me reprend…
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La musique remue tout ce qu’il y a d’impur en moi, et plus elle est « noble », plus elle éveille mes rancunes endormies et les haines que normalement j’ai honte de m’avouer à moi-même. C’est à Bach tout spécialement que je dois de connaître l’étendue et la profondeur de mes pestilences.
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Mon amour de Bach m’a repris. J’aime écouter dans l’obscurité. J’éteins la lumière, et je me délecte dans un caveau. Parfois c’est comme si j’entendais de la musique après ma mort.
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Je n’ai qu’une religion : Bach.
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Bach demeure quand même la plus grande rencontre que j’aurai faite ici-bas.
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Entendre Bach dans les grands magasin, pendant qu’on achète un caleçon !
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Une jeune cantatrice allemande me demande quelle est la vraie signification de ma passion de Bach. Je lui réponds que Bach est pour moi un anti-doute (C’est presque un calembour, et j’ai horreur des calembours.)
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Colette aurait dit de Bach : « Une sublime machine à coudre. » Il n’y a rien de pire que l’esprit parisien.
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Avec Bach, la vie serait supportable même dans un égoût.
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Il n’y a que Bach qui puisse me réconcilier avec la mort. La note funèbre est toujours présente chez lui, même dans l’allégresse. Note funèbre et séraphique. Mourir au-dessus de la vie, et de la mort, triomphe au-delà de l’être. Dépasser la vie au centre, au coeur de la mart, et la mort. Un agonisant pleurant de joie – Bach est souvent cela.
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Certains moments chez Bach me font penser qu’il avait atteint cette extrémité où tout ne lui paraissait qu’un jeu que Dieu s’offre à lui-même.
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L’originalité n’est pas un critère. Paganini est plus original que Bach.
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En écoutant Bach aujourd’hui, j’ai senti qu’il ne fallait pas renoncer, qu’on n’a pas le droit de se laisser aller, et que, pour ce qui me concerne, j’ai le devoir de me saisir.
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Toutes les fois que je me méprise, je devrais songer à l’écho que suscite Bach en moi, et me dire que je ne suis pas si nul ni si vide que ça.
(Emile Cioran, Carnets 1957-1972, 1997)
« La joie de Bach est certes convaincante et même irrésistible ; elle diffère cependant de celle de Mozart en ce qu’elle est tout à fait convaincante et sûre d’elle-même, absolument garante de la solidité de sa propre réjouissance ; un peu comme si elle s’était au préalable, telle la philosophie de Leibniz, assurée auprès de Dieu. Le théologien protestant Karl Barth, dans une très belle plaquette consactée à Mozart, illustre justement cette différence entre l’allégresse de Bach et celle de Mozart lorsqu’il déclare qu’à son sentiment les anges musiciens jouent du Bach quand il s’agit d’honorer Dieu, mais du Mozart quand il s’agit de se faire plaisir à eux-mêmes. »
(Clément Rosset, Matière d’art, 1992)
« Chez Bach il y a encore trop de christianisme cru, de germanisme cru, de scolastique crue ; il se trouve au seuil de la musique européenne (moderne), mais de là il tourne son regard vers le Moyen-Age. »
(Friedrich Nietzsche, Humains trop humains, 1878)
Bach écrit souvent par série de 6 (Brandebourgeois, suites et sonates pour violon seul, suites anglaises, partitas, suites françaises, suites pour violoncelle seul, sonates pour violon et clavecin). La dernière pièce de ces ensembles a toujours une particularité, dans l’instrumentation ou le caractère. Elle tranche. Voyez le sixième Brandebourgeois, tout en cordes graves, la sixième suite pour violoncelle seul, pour piccolo, la sixième sonate pour violon et clavecin, qui comprend un mouvement entier sans violon… récompense, lassitude, plus-value, expérimentation, un pour cent culturel ? La perspective de la quille ?
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Que se passerait-il, si, dans un grenier de la bibliothèque de Leipzig, on découvrait une nouvelle Passion de Bach, ou bien six autres Concertos Brandebourgeois ? Il est à craindre qu’il n’arriverait rien de bien grandiose. Quelque articles, quelques enregistrements, quelques concerts, et puis tout redeviendrait comme avant. Cette oeuvre n’aurait pas de passé : elle n’aurait pas été patinée par l’amour de plusieurs générations, ni dirigée par Furtwaengeler, Jochum ou Klemperer ; en somme, elle n’aurait pas eu le temps de faire sa lente entrée dans la liste des merveilles du monde. Bien mieux, le monde serait déçu, désorçonné par cette existence nouvelle dont personne ne voulait, comme on regrette secrètement qu’un malade promis à la mort y échappe par miracle. De même, on ne devient pas « noble » en achetant une particule : il ne suffit pas d’être, il faut être né.
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On ne sait jamais qui parle, dans Bach. C’est agaçant. Dans ses Passions, le choeur endosse trois ou quatre rôles différents. Et dans la Saint Matthieu, il les multiplie par deux ! Avoir aussi peu le sens du théâtre, cela devrait être interdit. A sa décharge : il ne pouvait pas avoir tous les sens, cet homme.
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Gould disait que les variations Goldberg étaient de la musique sans début ni fin. Il n’avait pas tort,, puisque Bach a rajouté ultérieurement quatorze canons sur la page de garde de son exemplaire personnel, à la fin desquels il a noté : « u. s. w. » (« etc. »).
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Prendre des cours de latin avec JS Bach, je ne sais pas si j’aurais aimé cela.
(Jacques Drillon , de la musique, 1998)
Hééééééé, Bernard, qu’est-ce qui se passe ? C’est quoi ce truc ? Tu t’es inscrit à un site de citations qui beugue et ne s’arrête plus ? Ils veulent pourrir ton blog ou quoi ? Moi, en tout cas, j’préférais quand on causait gentiment entre nous !
Mis à part Drillon qui est aussi méchant avec Bach que les gens de gauche avec Ségolène, je dois dire que j’ai adoré toutes ces citations, notamment celles de Christian Bobin et celles de Emile Cioran.
Je ne savais pas que c’était Cioran qui avait écrit « S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu » mais je connaissais ce petit texte.
Dans le même registre, je me souviens avoir lu aussi cette petite expression : « Bach, l’homme qui tutoyait Dieu » mais je ne sais plus où. J’ai alors fait une petite recherche avec Google ce matin et trouvé que Télérama avait publié un hors-série intitulé « Il était une fois Jean-Sébatien Bach : l’homme qui tutoyait Dieu » (j’aurais d’ailleurs pu regarder dans mon salon, le hors-série en question y était) et constaté aussi que Jean-Louis Guillermou avait sorti un film en 2003 avec exactement le même titre « Il était une fois Jean-Sébatien Bach : l’homme qui tutoyait Dieu ». Je n’ai jamais vu ce film qui n’a pas eu beaucoup de succès mais Roland nous en avait déjà parlé dans l’un de ses commentaires, à l’occasion de l’un des premiers articles de ce blog intitulé « Journée Mozart : et vive Jean-Sébastien Bach ! »
Le hors série Télérama peut-être trouvé d’occasion (voir la page internet du site de Priceminister).
C’est étonnant cette opposition que l’on retrouve en permanence entre Bach et Mozart, ça se sent à la lecture des différentes citations ci-dessus. Je pense pourtant que l’on peut aimer profondément les deux, c’est d’ailleurs mon cas, mais pas aux mêmes moments. Il faut un état d’esprit différent pour écouter Bach. Idem pour Mozart.
Dans la même série de commentaires (à propos de l’article cité plus haut), Roland racontait les émotions qu’il avait connues en chantant Bach (soirée à St Claude avec coupure d’électricité) et avait dit qu’il avait rencontré ce même genre d’émotion en chantant le Requiem de Mozart. Ce qui prouve qu’on peut trouver le bonheur dans l’oeuvre de ces deux musiciens, sans rejeter forcément l’un d’entre eux.
Pas si étonnant que ça, Bernard, l’opposition Mozart/Bach, …
C’est un peu comme l’opposition Armstrong/Davis… Bien sûr qu’ils ont en commun de faire de la musique – donc de nous permettre aussi bien l’un que l’autre de plonger dans un univers que certains qualifient de « divin » car on y perd quelque peu l’illusion de son moi – mais ils représentent dans cet univers singulier deux pôles, deux chemins, deux options assez identifiables. L’erreur est peut-être de croire qu’il faut ensuite « choisir son camp » (Ségolène, à propos, elle est plutôt Bach ou Mozart ? Armstrong ou Davis ?), alors que ces distinctions ne sont que le préalable nécessaire à toute pensée. En effet, sans définitions, frontières, oppositions plus ou moins « artificielles », pas de mots, donc pas de pensées, et du coup rien à partager qu’un sourire béat ou une mine renfrognée, voire un mélange bien énigmatique des deux.
Il n’empêche que c’est toujours intéressant d’entendre ceux qui ne peuvent s’empêcher de choisir un camp, car ça révèle toujours un tempérament mais pas toujours de façon aussi directe que l’on croit : combien affirment par exemple préférer Mozart car ils sont au fond d’eux très « Bach » et que l’autre pôle leur manque terriblement ? Car qu’est-ce qu’on aime, ce qui nous ressemble, et par là même nous justifie ou ce qui nous dépayse et nous indique un chemin ? Ce qui nous distingue du troupeau ou au contraire nous donne l’impression de ne pas en être trop éloigné ?
Dis-moi qui tu aimes et je te dirai qui tu es !
Nan, c’est pas exactement ça en vérité mais plutôt : Dis-moi qui tu prétends aimer, qui tu as envie d’aimer, et j’aurais l’impression de pouvoir cerner qui tu es !
21 gosses ? Je comprends pourquoi il a tant composé : ça doit donner envie de s’enfermer pour bosser… et de faire naître des oeuvres qui, elles, seront non seulement moins bruyantes mais aussi immortelles.
Une petite nature, donc, le Père JSB, agressé par le moindre bruit… et un sacré orgueilleux ! Bref, un humain, un frère… juste un peu plus « atteint » que nous !
Ah oui, j’voulais aussi dire gentiment à Bernard qu’heureusement qu’il n’y a pas que des gens qui aiment Bach, car c’est pas eux qui nous aident beaucoup lorsqu’il s’agit de faire des révolutions !!!
Pour me faire pardonner, une blague à deux balles – comme il les aime – extraite des « variations Goldberg » de Nancy Huston :
« On ouvre le cercueil de Bach et on le voit, penché sur ses partitions, gomme à la main, en train d’effacer furieusement. Mais que faites-vous donc ? Foutez-moi la paix, qu’il répond, je suis en pleine… décomposition ! »
Warf, warf !
« Bach ne s’accomode pas, comme Beethoven, d’une audition par groupes de mouvements. Mais d’une rigoureuse et incessante attention. Le lâche-t-on, il nous lâche. Aucune période d’ordre « poétique ». (Le beau est monotone, a tendance à épouser le temps.) Toutes les notes travaillent, avancent, dans la plus stricte économie, pour compter dans l’addition finale. Musique cruelle, musique qui dit oui.
*
Bach chante toujours,mais san que son chant ressemble jamais à un ruisseau [ndlr : Bach signifie « ruisseau » en Allemand], un orage, ou une goutte d’eau. Bach ne ressemble à rien. Et quand on est gorgé d’humain, je veux dire de ruisseau, d’orage, etc. quel « soulagement » de se faire entendre, peu importe de quelle heureuse manière, ce qui ne ressemble à rien, et cependant existe.
*
Bach est bon, voilà. Il nous veut du bien. Sans pour autant tomber dans le prosélytisme. Rarissime. Un homme qui se veut bon rend généralement les autres méchants. De quoi je me mêle ! Couru d’avance. Mais Bach croit en Dieu comme il est infiniment rare qu’on y croie. Il y croit parce qu’il travaille, qu’il acquiesce au labeur quotidien. Au point peut-être exagéré de faire pas mal de gosses. Qu’il a su élever, nous le savons. La musique, pour lui, devant être comme le folklore du bon Dieu, une gymnastique gracieuse et grave, glorifiant l’absent. Aujourd’hui, certes, c’est le contraire. (Pas pour tout lemonde, n’oublions pas pour Stravinsky, Messian.) L’absence se fait par trop sentir. Merde à l’absent. Mais ça ne va pas mieux pour autant. Plutôt pire. »
(Georges Perros, Papiers collés I, II et III, 1960-78)
« L’homme qui tutoyait Dieu », ouais, bien vu !
J’accroche cependant pas trop, pour ma part, aux allusions et références trop directes – faciles, je veux dire ! – au monde divin pour qualifier la musique, bref les mots qui se gargarisent à dire qu’il n’y a rien à dire, qui ne jouent pas le jeu… et se laissent un peu vite gagner par le sentiment d’impuissance.
J’aime beaucoup le « gros plein de notes » de Bobin.
« J’ai recherché dans un placard un vieux disque noir de fandangos et séguedilles, chants de la Guerre civile. En vain. Mais retrouvé ces concertos de Bach… Et, dans ma mémoire, ce mot d’une vieille danseuse gitane qui, entendant un jour du Bach, s’écrie : « Olé ! Ca, ça a du duende ! ». Ce mot que rapporte Federico Garcia Lorca. »
(Jack-Alain Léger, Maestranza, 2000)
Bach, musicien de flamenco ?
Il était déjà, depuis les « Play Bach » de Jacques Loussier, un grand du jazz !
Je sais qu’il est loin de faire l’unanimité, mais moi, les interprétations et variations swinguées de Loussier, j’apprécie beaucoup ! Pas vous ?
Moi aussi, j’adore Jacques Loussier, je connais trois de ses disques. J’ai vu qu’il venait de sortir un dvd avec pas mal de morceaux de Bach justement.
Dans un autre dvd « Swinging Bach » dont j’ai déjà parlé, enregistré sur la place de Leipzig en 2000, Loussier et sa bande font une prestation très haute en couleur. Je peux prêter ce dvd, l’un des meilleurs dvd musicaux que je connaisse.
Oui effectivement, Loussier n’est pas aimé, ni par les classiques ni par les joueurs de jazz. Dommage !
Vincent, t’es sûr que t’as pas loupé la pré-rentrée ?
Regarde Bernard, mieux que prêter les CD et DVD, tu peux faire ça : les déposer sur un site (qui peut stocker des quantités énormes !!!) et nous signaler le lien qui permet d’y aller pour les récupérer. Le seul truc (bien vu, en fait) c’est qu’on n’a que 24h pour s’y rendre avant que tout soit effacé.
Pour tenter le coup, je viens d’y déposer un album de Loussier, allez-y donc voir avant de
main vendredi 11h45, et dites-moi ensuite si ça marche. Le lien est : [Lien Censuré]
(C’est demain et samedi matin pour moi, Joëlle, la pré-rentrée… si je ne me trompe pas !)
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« J’aime Mozart parce qu’il tend à la multiplicité là où par contraste Bach tend à l’unité. Quand vous avez six ou sept voix ou quatre voix ou quoi que vous ayez dans une composition de Bach, elles s’ajoutent toutes rythmiquement comme le rythme d’un moteur qui fait ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta logiquement, sans aucune pause d’aucune sorte. Et aussi pour tout ce qui concerne le ton, tout Bach est entièrement organisé de manière qu’il n’y ait rien d’extraordinaire, tout va dans le même sens, tandis que dans une oeuvre de Mozart chaque chose fonctionne dans un sens différent et en deux ou trois mesures de Mozart vous pouvez avoir plusieurs sens plutôt qu’un seul pour faire les choses. »
(John Cage, Entretien infini, 1987)
Pas mal la vision de John Cage, c’est en fait une autre définition du contrepoint et de l’harmonie :
Le mot contrepoint vient du latin punctus contra punctum, littéralement point contre point c’est-à-dire note contre note.
Les notes émises simultanément n’y sont pas considérées comme parties d’un accord, mais comme maillons de la ligne mélodique à laquelle elles appartiennent. L’harmonie de chaque instant musical naît de la rencontre des notes de chaque voix active à cet instant, l’art du contrapuntiste consistant à choisir les thèmes et à les organiser en respectant les règles de l’harmonie, même si des dissonances passagères sont admises et ajoutent un intérêt musical à l’œuvre. Au contraire, dans une pièce conçue sans référence au contrepoint, la mélodie naît de la succession d’accords plus ou moins complexes considérés comme les constituants de base de la mélodie.
En fait, ces deux visions sont parfois indissociables, mais le contrepoint propose une vision « horizontale » de la musique pendant que l’harmonie en propose une vision « verticale ».
(Définition reprise dans l’encyclopédie Wikipedia)
« S’il est un homme de musique (comme on parle d’hommes de lettres) dont on puisse dire qu’il soit universel, qu’il ait pu être perçu à partir des points de vue les plus divergents d’une génération à l’autre en étant capable de soutenir tous les jugements, toutes les idées de progrès et d’évolution du langage au cours des deux cents dernières années qui se sont écoulées, depuis sa mort, tout en continuant d’exercer une fascination toujours plus complexe, plus contemporaine et pourtant plus mystérieuse qua jamais, c’est bien Sebastian Bach. Il est sans doute le seul artiste dont l’oeuvre a pu servir de référence aux idées et aux concepts diamétralement opposés d’artistes et d’esthéticiens de toute époque. (…) L’homme religieux y trouve l’incarnation d’une inspiration divine, l’agnostique, la réalité d’une opiniâtreté terrienne. Dans l’universel, à chacun sa vérité. Mais pour parvenir à l’universel, il est indispensable de s’arracher aux pesanteurs de l’histoire, de se soustraire au conformisme chronologique dont chaque époque est porteuse. (…) Bach écrit l’Art de la fugue a contre-courant de toutes les tendances de son temps. (…) Bach, en réalité, ne représente pas davantage son époque que Gesualdo l’âge de la Renaissance italienne, ou Strauss celui de l’atone. Avec eux, nous avons affaire à des hommes pour lesquels le mouvement de l’art ou son évolution semblent comme suspendus, sans rapport avec le passage du temps, capables d’apparaître comme une rétrogression aussi bien que comme une progression, dotés d’une dimension particulière dans laquelle l’essence du temps peut être découverte et son absence ressentie. Bach transcende tous les dogmes artistiques, toutes les questions de style, de goût et de langage, toutes les stériles et frivoles préoccupations de l’esthétique. »
(Glenn Gould, Non je ne suis pas du tout un excentrique, 1986)
J’adore les (rares) interventions de Joëlle
« Le contrepoint n’est rien d’autre que la reconnaisance dans l’organisation des sons d’un vieux thème philosophique venu des philosophes présocratiques : tout s’écoule, tout devient. D’une idée, l’autre survient, qui, sans renier la première, l’altère et la prend dans un mouvement radical, ramifié et infini. Horizontalement, la pensée avance selon la dialectique du sujet et du contre-sujet, du thème et du contre-thème, des expositions et des réponses. Mais ce qui différencie le contrepoint d’autres musiques dialectiques, d’autres musiques du passage, comme les Ragas de l’Inde, par exemple, c’est la nécessité de ne jamais oublier le premier thème, d’organiser le temps comme irréversible, de ne jamais abolir le devenir dans le retour du même en courbant la flèche en un cercle. Qui dit contrepoint dit dialectique. Bach incarne le principe qu’énonçait Platon : « La musique adore les contrastes, comme elle abhorre les contaires. » Les contrastes se fondent, les polarités se résolvent en une unité supérieure. Bach est l’un des rares compositeurs chez qui l’affect (le mot n’a pas été inventé par Freud,mais il existe depuis la scolastique médiévale) est indiscernable de l’intellect, comme la main de l’esprit. »
(Michel Schenider, Musiques de nuit, 2001)
« La fugue, telle qu’elle fut mise en forme à l’époque de Bach, illustre de façon frappante la construction des mythes où s’opposent deux personnages ou deux groupes de personnages. L’histoire qui déroule le mythe est celle d’un groupe qui tente d’échapper à l’autre grope de personnages ; un groupe traque l’autre, parfois le groupe A rejoint le groupe B, parfois le groupe B s’échappe, le tout comme dans une fugue. L’antithèse ou l’antiphonie continue à travers le récit jusqu’à ce que les deux groupes se rejoignent et se confondent – c’est l’équivalent de la strette dans la fugue ; enfin on trouve une résolution finale, ou l’apogée de ce conflit dans la conjugaison des deux principes qui se sont ooposés tout au long du mythe. Ce peut être un conflit entre les pouvoirs surnaturels et les pouvoirs naturels, entre le ciel et la terre, ou le soleil et les pouvoirs souterrains. La solution mythique de la conjugaison ressemble tout à fait à la structure des accords qui résolvent et achèvent un morceau musical, car ils offrent également une conjugaison des extrêmes qui sont à la fin réunis. »
(Claude Lévi-Strauss, Mythe et musique, 1993)
« Ce qui menace une culture démocratique, une culture à l’échelle humaine, c’est le problème que Hegel posait déjà, c’est le problème de la platitude, au sens propre du terme. La platitude menace parce que ce qui caractérisait encore la moindre oeuvre de Bach – mais peut-être est-ce le dernier dans l’ordre de la musique – était le fait que cette oeuvre traduisait une vérité transcendante, une splendeur inhumaine, qui était à proprement parler grandiose et imposante parce qu’elle s’imposait aux êtres humains de l’extérieur et non pas comme étant issue d’une pure subjectivité. Quand vous entendez une suite de Bach, vous rentrez dans un univers dont vous vous apercevez immédiatement qu’il a quelque chose de religieux, qu’il a quelque chose de supra-humain. Illusion ? Ca, c’est une autre affaire, une autre question, celle de savoir si on est croyant ou non. Je ne prends pas parti, mais il y a quelque chose de grandiose dans ce rapport au divin que la culture démocratique a perdu pour les raisons qui sont liées à cette sécularisation du monde.
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Quand on constate simplement que l’Etat a inversti un milliard de francs pour soutenir institutionnellement l’oeuvre de Boulez, un problème se pose quand même. Si on compare avec Bach, c’est assez amusant. Les bourgeois de Leipzig entendaient sa musique sans savoir que c’était du Bach ; ils l’entendaient à la messe le dimanche, ils ne savaient même pas que Bach existait, mais ils aimaient sa musique. Bach avait un vrai public et qu’on ne me fasse pas le coup de dire que je défends ici la logique de l’audimat. Aujourd’hui la situation est inversée. Tout le monde, pratiquement, sait qui est Pierre Boulez, mais personne, ou presque, n’écoute sa musqiue. Beau paradoxe : Bach s’appuyait sur une élite bourgeoise contre des institutions figées. Il s’appuyait sur une fraction déterminante du peuple, la bourgeoisie, contre les institutions. Alors qu’aujourd’hui, la musique contemporaine s’appuie sur les institutions, j’allais presque dire, contre le peuple. C’est un vrai problème qu’on ne peut résoudre simplement dans les termes absurdes de l’avant-gardisme aux yeux duquel il est toujours bon de faire fuir le public, et toujours suspect de l’attirer à soi. Pas si simple. »
(Luc Ferry, Le sens du beau, 1998)
« Bach est toujours exact, mais il n’est pas naturel. Ses basses sont piquées sur les points névralgiques avec la précision d’une aiguille d’acupuncteur, mais sa mélodie a presque toujours un petit côté contourné, tarabiscoté, qui ne laisse pas d’inquiéter – au lieu d’apaiser. Il écrit pour la voix exactement comme pour l’orgue ou le clavecin, et pour l’orgue et le clavecin comeme pour le seul papier. Il a composé une suite pour flûte sans prévoir une seule respiration. Il n’était pas très charitable. (…) De même, les moyens rhétoriques qu’il met en oeuvre pour transmettre le sens du texte sont très élémentaires : notes graves sur « mort », sinuosités sur « serpent », dissonnances sur « trahison », et ainsi de suite. Comme s’il suffisait de bien parler pour se faire entendre.
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Ce qui, dans Bach, donne l’impression du magistère, c’est sa tyrannie. Il a tant de sapience, tant d’imagination aussi, que nous le jugeons impitoyable, absolu. Certes, il écrit « à la seule gloire de Dieu », jusque dans sa musique profane, souvent plus élevée que sa musique sacrée, et cela n’incline pas au laisser-aller. Certes, il est à la fois son interlocuteur et son porte-parole. Certes, sa fonction sociale était de transmettre un message religieux précisément déterminé. Mais nous autres, pour qui Dieu n’est rien sinon qu’une hypothèse d’école, ou même une donnée culturelle avec laquelle nous devons compter lorsque nous lisons des livres ou lorsque nous visitons un musée, nous ne recevons de Bach qu’un signal essentiellement musical, et non point « spirituel ».
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D’où vient qu’il nous « punit », qu’il nous « rassure », ou qu’il nous « inquiète » ? De ce que la musique pure, lorsqu’elle est ainsi exempte de la moinde faiblesse, contient une part de vérité. D’une vérité plus grande que la vérité, puisqu’elle ne supporte aucune discussion. Elle affirme ce qu’elle est avec une telle force, une telle sûreté, qu’il lui est impossible de se tromper. Et voilà ce qui nous désoriente chez Bach : l’absence de doute. Les prodigieuses constructions de la grande Passacaille pour orgue ou du Clavier bien tempéré en sont des exemples irrécusables. Mais le moindre menuet, la plus modeste gavotte, ont tant d’assurance mélodique, rythmique, harmonique, qu’ils deviennent aussi de véritables dogmes, mais des dogmes sans idées, des dogmes qui ne concernnet rien, qui n’établissent rien, sinon eux-mêmes. De quoi pour nous, et très largement, être punis, rassurés ou inquiets, puisque nous répugnons à ce qui est sans objet.
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Bach ne nous enseigne rien ; il est posé sur le sol de la terre comme ce mégalithe australien au milieu de la plaine, l’Ayers Rock, fort d’être lui-même, dense jusqu’à l’insupportable. Mais il n’est pas Dieu : il est Musicien. »
(Jacques Drillon, De la musique, 1998)
Vincent, j’avais peur que, tellement absorbé par le blogadupdup, tu en aies oublié la pré-rentrée ; d’autant plus que pour ma belle-soeur, c’est aujourd’hui et demain !!! Mais me voilà rassurée….
Merci Anne, ça me fait chaud au coeur…
« Jacques Rivière, la noblesse faite homme, écrivait, à la suite d’un récital donné salle Pleyel au début de 1912, par Blanche Selva (…) : « Le jeu rude et régulier de Blanche Selva accentue la remontrance que contiennent ces oeuvres ». C’est là que gît le lièvre : dans l’interprétation moralisatrice que tout pianiste formé a l’Ennui Obligatoire donne de Bach. Il n’ose pas y toucher ; il n’ose pas le faire chanter. Il n’ose le phraser, le timbrer ; il n’ose rien du tout : il serre les fesses, il attend que cela se passe. Il est heureux comme chez le dentiste : Bach fore sa carie.
(…) Dites à un pianiste de jouer une Suite française comme un nocturne de Chopin ; il est tout incrédulité, méfiance ; insistez, et soudain l’humanité de cette musique s’évoulera comme d’un abcès ; l’on vous jettera un regard de reconnaissance. Dites-lui que Bach, ce n’est pas de la morale, mais de la musique, que l’ornement est un plaisir, et pas un piège, qu’on peut inégaliser les valeurs égales et arrondir les autres, qu’on gagne à respecter le jeu des miroirs, à faire sonner l’instrument. Faites-vous entendre. Dites les mots qu’il faut, parlez de la tendresse, évoquez Mozart… Alors, le pianiste est transformé : le ventre est souple, les poignets se relâchent, les mâchoires se desserrent, et le chant naît. Péché et punition sont oubliés. Plaisir et profondeur s’installent. C’est le monde qui advient, c’est le regard qui court sur lui, plein de passion, d’amour et de colère. L’homme sans Dieu découvre la grandeur de l’homme et l’inutlité de Dieu. »
(Jacques Drillon, De la musique, 1998)
Tu m’as foutu les jetons, Joëlle, je dois avouer… J’ai pensé un moment qu’absorbé par le Blogadupdup (J’le retiens en passant, Bernard, de nous lancer, comme ça, sur « Mozart et Bach », juste avant la fin des vacances !), j’avais laissé passer un jour sans m’en rendre compte !!!
Bon assez « bouqui-musi-blogué » maintenant… Faut que je me lance dans des activités plus « sérieuses » !
« J’écoute un chant polyphonique pour deux voix de l’école de Notre-Dame de Paris,du XIIe siècle : en bas, dans les valeurs augmentées, en tant que cantus firmus, un ancien chant grégorien (chant remontant à un passé immémorial et probablement non européen) ; au-dessus, dans des valeurs plus brèves, évolue la mélodie d’accompagnement polyphonique. cette étreinte de deux mélodies, chacune appartenant à une époque différente (éloignées l’une de l’autre par des siècles), a quelque chose de merveilleux : comme réalité et parabole à la fois, voilà la naissance de la musique en tant qu’art : une mélodie est crée pour suivre en contrepoint une autre mélodie, très vieille, d’origine quasi inconnue ; elle est donc là comme quelque chose de secondaire, de subordonné, elle est là pour servir ; quoique « secondaire », c’est pourtant en elle que se concentre toute l’invention, tout le travail du musiqcien médiéval, la mélodie accompagnée étant reprise telle quelle d’un antique répertoire. Cette vieille composition polyphonique me ravit : la mélodie est longue, sans fin et immémorisable ; elle n’est pas le résultat d’une inspiration subite, elle n’a pas jailli telle l’expression immédiate d’un état d’âme ; elle a le caractère d’une élaboration, d’un travail « artisanal » d’ornementation, d’un travail fait non pas pour que l’artiste ouvre son âme (montre son « activité affective », pour parler comme Ansermet) mais pour qu’il embellisse, tout humblement, une liturgie. Et il me semble que l’art de la mélodie, jusqu’à Bach, gardera ce caractère que lui ont imprimé les premiers polyphonistes.
(…)
La situation change à l’aube du classicisme. La composition perd son caractère polyphonqiue ; dans la sonorité des harmonies d’accompagnement, l’autonomie des différentes voix particulières se perd, et elle se perd d’autant plus que la grande nouveauté de la deuxième mi-temps, l’orchestre symphonique et sa pâte sonore, gagne de l’importance ; la mélodie qui était « secondaire », « subordonnée », devient l’idée première de la composition et domine la structure musicale qui s’est d’ailleurs transformée entièrement. Alors change aussi le caractère de la mélodie : ce n’est plus une longue ligne qui traverse tout le morceau ; elle est réductible à une formule de quelques mesures, formule très expressive, concentrée, donc facilement mémorisable, capable de saisir (ou de provoquer) une émotion immédiate (s’impose ainsi à la musique, plus que jamais, une grande tâche sémantique : capter et « définir » musicalement toutes les émotions et leurs nuances). Voilà pourquoi le public applique le terme de « grand mélodiste » aux compositeurs de la deuxième mi-temps, à un Mozart, à un Chopin, mais rarement à Bach ou à Vivaldi et encore moins à Josquin des Prés ou à Palestrina : l’idée courante aujourd’hui de ce qu’est la mélodie (de ce qu’est la belle mélodie) a été formée par l’esthétique née avec le clacissisme.
(…)
Pourtant, il n’est pas vrai que Bach soit moins mélodique que Mozart ; seulement, sa mélodie est différente. Ce que j’entends dans L’Art de la fugue, c’est la mélodie authentique de la première mi-temps, insaisissable, immémorisable, irréductible à une courte formule, une mélodie (un enchevêtrement de mélodies) qui m’ensorcelle par son ineffable sérénité. Impossible de l’entendre sans grande émotion. Mais c’est une émotion essentiellement différente de celle éveillée par un nocturne de Chopin. Comme si, derrière l’art de la mélodie, deux intentionnalités possibles, opposées l’une à l’autre, se cachaient : comme si une fugue de Bach, en nous faisant contempler une beauté extrasubjective de l’être, voulait nous faire oublier nos états d’âme, nos passions et chagrins, nous-mêmes ; et, au contraire, comme si la mélodie romantique voulait nous faire plonger dans nous-mêmes, nous faire ressentir notre moi avec une terrible intensité et nous faire oublier tout ce qui se trouve dehors.
(…)
Au lieu de parler de l’oubli de Bach, je pourrais dire : Bach est le premier grand compositeur qui, par l’immense poids de son oeuvre, a obligé le public à prendre en considération sa musique bien qu’elle appartînt déjà au passé. Evénement sans précédent car, jusqu’au XIXe siècle ,a société vivait presque exclusivement avec la seule musique contemportaine. Elle n’avait pas de contact vivant avec le passé musical : même si les musiciens avaient étudiés (rarement) la musique des époques précédentes, ils n’avaient pas l’habitude de l’exécuter publiquement. C’est durant le XIXe siècle que la musique du passé commence à revivre à côté de la musique contemporaine et à prendre progressivement de plus en plus de place, si bien qu’au XXe siècle le rapport entre le présent et le passé se renverse : on écoute la musique des époques anciennes beaucoup plus qu’on n’écoute la musique contemporaine qui, aujourd’hui, a fini par quitter presque complètement les salles de concert. Bach fut donc le premier compositeur qui s’imposa à la mémoire de la postérité ; avec lui, l’Europe du XIXe siècle a alors découvert non seulement une partie importante du passé de la musique, elle a découvert l’histoire de la musique. Car Bach n’était pas pour elle un passé quelconque, mais un passé radicalement distinct du présent ; ainsi le temps de la musique s’est-il révélé d’emblée (et pour la première fois) non pas comme une simple succession d’oeuvres, mais comme une succession de changements d’époques, d’esthétiques différentes.
(Milan Kundéra, Les testaments trahis, 1993)
Intéressant cet article de Milan Kundéra qui montre comment Bach fut le premier compositeur à s’inscrire d’emblée dans la postérité. Belle justice pour un aussi grand compositeur qui, finalement, n’avait pas été très reconnu de son temps (Telemann, très célèbre, avait éclipsé Bach).
Ce que ne dit pas Kundéra, c’est que cette reconnaissance de Bach n’a pas été immédiate après sa mort et que c’est Mendelsohn, un siècle plus tard, qui a contribuer à réhabiliter la musique de Bach.
Je crois que pendant un siècle, Bach avait été oublié par le grand public ; par contre, les grand pianistes (y compris Mozart) n’avaient jamais oublié « le clavier bien tempéré » de Bach qui a été, pour des générations de jeunes musiciens, le passage obligé pour parvenir à un bon niveau pianistique (en quelque sorte, le « clavier bien tempéré » était considéré comme une suite d’études permettant d’acquérir des techniques musicales).
Notons qu’aujourd’hui, « le clavier bien tempéré » n’est plus considéré comme tel mais bel et bien comme l’oeuvre magistrale de Bach en matière de clavier. On dit même que « le clavier tempéré » constitue le premier testament du piano (les sonates de Beethoven en étant le deuxième).
« Si seulement Dieu avait fait notre monde aussi parfait que Bach a fait le sien divin !
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Quand j’écoute la fin de la Mattäuspassion de Bach, je comprends les hommes qui se sont suicidés par impatience du paradis.
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Qui n’a jamais imaginé la succession des mondes possibles qui s’interposent entre nous et le paradis ne comprendra jamais pourquoi les sonorités de Bach sont autant de baisers séraphiques. »
(Emile Cioran, Le livre des leurres, 1992)
« On pourrait consacrer une étude complète au pouce et à ses incidences dans l’écriture de Bach, qui fut, on le sait, le premier compositeur à se servir systématiquement de ce doigt jusqu’alors inutilisé.
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Ceux qui aiment Bach et ceux qui ne l’aiment pas (il y en a) le font pour les mêmes raisons : l’omniprésence de la polyphonie et le dédain de la mélodie, l’indifférence aux timbres et la préférence pour l’architecture, bref, une conception intellectuelle de la musique, Cosa mentale tenant plus de la recherche du vrai que du plaisir des sens. Nulle part ces traits ne sont plus manifestes que dans sa musique pour clavier.
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Avec Fantaisie chromatique et fugue en ré mineur (BWV 903) composée vers 1720, c’est un autre Bach qui apparaît, rhapsodique, peu contrapuntique, un Bach improvisateur, qui ne soumet pas la fantaisie au contrepoint, comme dans les Toccatas ou les Inventions, et n’insère pas la fonction « pathétique » dans une écriture de voix serrées, comme dans certains mouvements des Suites anglaises. L’émotion semble dominer, mais Bach la laisse se dérouler dans un temps non contraint. Trois parties, dans une couleur harmonique, et rythmique tourmentée, avec des cascades de gammes chromatiques, des fusées de dissonnance atonales, des tournoiements de traits arpégés. Ce Bach qui n’est plus Bach, mais revient à Buxtehude ou annonce Liszt et Wagner, déplaisait à Glenn Gould : trop de timbres et de couleurs, trop d’émotions et d’élans. Pas assez de contrepoint ni de rigueur. Par son caractère délorant et questionnant, par son discours ramené à un niveau de récitatif enflammé, c’est une sorte d’enclave parmi les pièces pour piano de Bach, où le propos compte plus que la langue.
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En une belle formule, Alberto Savinio disait que lorsqu’on écoute cet architecte de la polyphonie et du contrepoint que fut Jean-Sebastian Bach, on comprend qu’il était né sous un toit en pointe, apte à supporter un lourd poids de neige, tant sa musique est délicieusement hivernale. Non qu’y manquent la joie, les réjouissances et même la jouissance, mais sans cesse subordonnée à la loi du haut et du bas, de la pensateur et de la grâce, et de la dialectique d’une forme impeccable. Il faut être aussi puriste que Glenn Gould pour relever chez lui des fautes d’écriture, et aussi musicien, il est vrai, c’est-à-dire préférant l’esprit à la lettre, pour ne pas vouloir les corriger.
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Pour qui Bach écrit-il ? Certainement pas pour un public. Nos modernes notions d’art ou de culture lui sont étrangères. Il n’écrit pas pour nous divertir ou nous émouvoir. Il écrit pour Dieu et pour ses élèves. Pour leur façonner la main et remettre son âme de musicien entre les Siennes. Ainsi la dédicace de son Orgelbüchlein : « A l’unique Dieu suprême, pour l’honorer. Au prochain, pour faire son éducation. » La musique pour lui est rarement un dire. Plutôt un faire, un artisant de la manière et de la matière. Un faire qui ne dédaigne pas le savoir-faire et même le faire-savoir. Il y a du Liszt chez Bach et le premier reconnut, en transcrivant le second, non seulement la rigueur de l’écriture, mais le feu de quelque chose qui s’y dérobe et demeure non écrit.
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Pour Bach, finalement, il n’y a rien en deçà de la musique, rien au-delà. Il n’y a pas, avant elle, en dehors d’elle, en lui, une pensée à former, une émotion à transmettre. Il n’y a pas davantage, après elle, en nous, une pensée recueillie, une émotion partagée. Pas de pensée précédant l’écriture, pas de dire précédant le dit. La musique se compose à la main jusque dans ses plus hautes idéalisations. On retrouve chez peu d’interprètes ce pragmatisme du compositeur. Rosalyn Tureck est de ceux-là, qui ne perd jamais de vue les rythmes contrastés, la conduite des longues phrases fuguées, les grands plans de tonalité. La main qui pense.
(Michel Schneider, Musique de nuit, 2001)
Je crois que je n’ai jamais eu l’occasion d’écouter du Bach ou du Mozart , enfin il me semble.
J’ai pourtant toute sorte de disc classique à la maison tel que Ravel , Bizet ou alors Carmina Burana que j’affectionne particulièrement mais pas de Bach ni Mozart.
Mais vu la façon dont vous en parlez ,vous me donnez l’envie de découvrir…
Ca doit etre exquis!
Je ne saurais pas trop quoi conseiller pour uen première écoute. Peut-être simplement les concertos brandebourgeois, très connus.
Je suis très impressionné par toutes les citations qui ont été trouvées.
Moi qui gardais en réserve dans ma tête d’autres articles sur Bach, je me demande si tout n’a pas été dit dans ces commentaires !
Vincent nous avoue qu’il ne sait pas comment aborder le coffret de l’intégrale de Mozart… et je le comprends. La chronologie ? Les opéras ? Les concertos ? Les quintettes …?
A mon avis on peut, au hasard, découvrir les différents genres, puis on se sent, à un moment ou à un autre en phase avec l’oeuvre. On la réécoute et on l’adopte. Puis on continue. Mais il faut éviter l’overdose. C’est la même chose avec J. S. Bach.
En tout cas, les 55 commentaires m’ont beaucoup intéressé et je me sens un peu « en famille » avec les diifférents auteurs tous passionnés et passionnants.
Cela m’a donné envie de relire le pavé de Jean et Brigitte Massin sur W. A. M. édité chez Fayard en 1970. Une mine de renseignements biographiques et musicologiques (par exemple : toutes les tonalités dans l’oeuvre instrumentale année par année ! Faut le faire !!!)
Espérons que l’intégrale de Bach soit d’aussi bonne qualité. Ca sera mon prochain achat.
L’Intégrale de Bach est bleue, celle de Mozart était rouge ! Vous ne trouvez pas qu’il manque un coffret blanc pour mettre au milieu, sur l’étagère ?
«Immortelle présence et nécessité de J.-S. Bach: On ne peut parler de sa jeunesse ni de la force: il est de tous les âges, et toutes les puissances de la musique sont en lui. Jean-Sébastien Bach est notre Père Éternel. Il est le Fiat Musice du monde sonore. En tout art, de hauts génies dominent sur les autres, et semblent l’emporter sur toute beauté rivale: ainsi Shakespeare et Racine, Aristophane et Virgile, Goethe et Stendhal, Rembrandt ou Goya. Mais Bach me donne l’idée qu’il est plus grand, plus puissant, plus beau, plus étendu en musique, plus musical enfin qu’aucun autre artiste souverain dans son art propre. Et même la vertu de Bach est telle qu’il domine sur tous les artistes, en quelque art que ce soit, et non pas seulement dans le sien. Ni en poésie, ni en peinture, ni dans le statuaire, aucun homme n’égale Bach par la puissance et la beauté, la grâce de l’âme et la profondeur de l’esprit. L’équilibre de l’oeuvre et du sentiment est sans exemple. Bach révèle l’intelligence au coeur et pénètre d’amour toute l’intelligence. Il est plus parfait dans son propos que tous les autres artistes dans le leur. Bach est la vie rachetée du néant par l’harmonie et la sérénité pensante. Tout ordre et toute émotion en lui: dans cet art incomparable, le coeur et l’esprit s’accomplissent l’un par l’autre.»
ANDRÉ SUARÈS, Pages, Paris, éditions du Pavois, 1948, p. 257
Quand j’avais acheté cette intégrale Mozart (une très belle réussite artistique), je l’avais payée 99 €. Elle vient d’être ramenée à 40.
Peut-être que ça vaut le coup d’attendre plusieurs années !
http://www.amazon.fr/Mozart-LInt%C3%A9grale-en-170-CD/dp/B000A0HFZS/ref=pd_cp_m_1
Bon dieu et combien ça coûtait au temps de Mozart ?!?!
pas mal des culs ! euh, d’écus je veux dire !
Tout juste 4 ans après la première édition de 157 CD de l’intégrale Bach, les éditions Brilliant classics ressortent ce coffret avec quelques modifications d’interprètes par rapport à la première édition.
http://www.abeillemusique.com/CD/Classique/BRIL94050/5028421940502/Brilliant-Classics/Johann-Sebastian-Bach/Integrale-de-l-oeuvre/cleart-35855.html