J’achète très rarement un film, les DVD me semblant être condamnés à n’être regardés que peu de fois (un film qu’on aime bien, même génial, est-ce qu’on le regarde plus de quelques fois dans sa vie ?). Par contre, les DVD musicaux me semblent plus intéressants, j’y reviens en tous les cas beaucoup plus souvent, ils présentent aussi l’avantage de pouvoir être regardés « par petites touches ». J’adore en particulier les concerts : souvent l’image renforce tellement la musique !
Il semble que contrairement au CD audio, il n’y ait pas vraiment de règle en matière de prix, le même DVD pouvant être trouvé à des prix qui varient du simple au double, selon l’endroit où on l’achète, ce qui est assez inexplicable (peut-être que les marges sur ce type de produit sont énormes). En ce moment, il semble que les producteurs se soient enfin décidés à baisser leurs prix et certains DVD sont tombés à 12, voire 10 euros. Presque deux fois moins chers qu’un CD audio, l’image en plus, et parfois deux fois plus longs !
Récemment, je suis tombé sur un DVD live de Miles Davis, l’un des derniers enregistrements du trompettiste, enregistré à Paris en novembre 1989, un peu moins de trois ans avant sa mort. Une aubaine : ce DVD était vendu à Carrefour à 9,99 euros alors qu’il est à … 29,71 euros sur Amazon !
J’ai toujours aimé la musique de Miles Davis qui a profondément marqué l’histoire du jazz. Tous les trompettistes du monde entier se réclament de lui, mais seul le son de Miles Davis est reconnaissable entre tous. Il suffit de quelques notes … ! Peut-on rester insensible à cette musique ?
Le personnage de Miles Davis me semble complexe. Parfois arrogant (ou simplement provocateur ?). Je me rappelle d’une interview dans lequel il disait « quand une chemise me plait, j’achète l’usine ». Sur le concert de Paris, l’attitude de Miles Davis est conforme à ce qu’elle a toujours été sur scène : Miles semble indifférent à la présence du public, lui tournant parfois le dos ; lorsqu’il ne joue pas, il évolue en marchant entre les musiciens en mâchant un éternel chewin-gum, tout sourire semblant être proscrit de son visage. La solitude et l’autisme de l’artiste tout entier à l’accomplissement de son oeuvre ?
Mais il reste la musique ! De la grande musique ! N’y cherchez pas du travail de grand virtuose, il y n’y a que des notes essentielles, aucune fioriture ou avalanche de notes pour meubler le discours. Chaque note est épurée. Une grande sobriété et une grande économie de moyens au service de la musique avec un grand « M ». Miles Davis est entouré de musiciens hors pairs, notamment Kenny Garrett au saxophone (époustouflant dans Human Nature) et Benjamin Rietveld à la basse.
Vincent a très bien décrit la musique de Miles Davis. En effet, lorsque j’ai mis en ligne un article sur un autre grand trompettiste, Louis Armstrong, il y a quelques mois, il avait écrit dans un commentaire : « Armstrong me semble en effet autant extraverti, solaire, ouvert, souriant, foisonnant (il pointe sa trompette vers le haut, ou vers nous, lorsqu’il joue)… que Davis est introverti, lunaire, refermé, souffrant, parcimonieux (et pointe sa trompette vers le bas ou vers… lui). D’un côté la joie, la santé, de l’autre la beauté qui est toujours un peu maladive. »
Les puristes du jazz, ceux qui en sont restés au « kind of Blue » de Miles Davis, n’aimeront peut-être pas cette dernière période du trompettiste, avec claviers électroniques et percussions électriques. Dommage ! Qu’ils visionnent ce DVD qui pourrait les faire changer d’avis !
Petite précision : chaque fois que je parle d’un disque ou d’un DVD (ce qui pourrait arriver souvent dans les temps qui viennent), je peux évidemment prêter ces disques.
Dis-moi Bernard, est-ce qu’il a toujours eu cette forme musicale « épurée » ou est-ce qu’il y est venu petit à petit ?
Je pense (étrangement) à Picasso qui est venu au cubisme après avoir commencé à peindre « comme tout le monde ».
Miles Davis a-t-il donc « comme tout le monde » d’abord joué les virtuoses ?
Effectivement, je suis en train de réécouter à l’instant un disque live de 1964, la musique de Miles Davis y est beaucoup plus virtuose (il s’agit à l’époque d’un Miles Davis entouré de 4 musiciens « de choc » : Georges Coleman, Ron Carter, Herbie Hancock et Tony Williams).
Je ne connais pas les enregistrements antiérieurs à 1960 mais nul doute que Miles Davis a dû être autrefois encore plus virtuose (un jeune musicien devait forcément montrer qu’il savait jouer et faire preuve de beaucoup de dextérité), d’autant plus qu’il a fait ses premières armes en 1944 avec Charlie Parker et Dizzy Gillespie, deux grands virtuoses des cuivres (Miles Davis avait 19 ans lorsqu’il a enregistré son premier disque avec Charlie Parker). Et puis, le be-bop de l’époque était avant placé sous le signe de la virtuosité, non ?
Le dictionnaire du jazz présente Miles Davis comme « virtuose de la non-virtuosité, maître du silence et de l’allusion, du non-dit et de la note-fantôme, de la limite, du dérapage et de la brisure… » Très bien résumé, non ?
Tiens, en relisant 2-3 choses de/sur Nougaro je tombe sur ce petit texte (texticule ?) de lui :
Tout barricadé de lunettes
Et crépu de cent mille nuits
Quel est ce serpents à trompette
Cherchant soleils au fond des puits.
“La pureté serre les vis”
Ainsi parlait Miles Davis
Pas mal aussi, nan ?
Alors Bernard, on fait de la pub pour la grande distribution ?
C’est vrai que cette différence de prix est assez étonnante. Quoi que…
La valeur marchande des produits dépend d’un tellement grand nombre de critères (et d’intermédiaires). Ça me donne envie de raconter deux anecdotes, qui n’ont aucun rapport avec Miles Davis, mais Bernard nous a déjà dit qu’il adore les digressions sur son blog :
La première se passe en Afrique. Un touriste fait son marché, tôt le matin, et il avise le minuscule stand d’un paysan qui n’a à vendre que trois espèces de légumes, chacune en petite quantité. Il fait un rapide calcul de combien coûte le tout selon les prix pratiqués et propose au paysan une somme légèrement inférieure, considérant que celui-ci peut lui faire un prix s’il achète la totalité de la marchandise. Le paysan refuse. Le type propose alors le prix « normal », mais le paysan refuse encore. Le type se fâche presque, demandant au marchand pourquoi il ne veut pas lui vendre ses légumes. Le paysan lui répond que s’il vend tout, il ne pourra pas rester sur le marché, et que, s’il vient vendre sur le marché, c’est aussi pour prendre des nouvelles des cousins, des amis,…
La deuxième se passe en Amérique du Sud.
Un touriste amèricain repère une chaise tressée chez un artisan. Le prix affiché est de 10 dollars. L’américain demande s’il peut commander six chaises identiques, et à quel prix. L’artisan lui répond que, oui, il peut avoir six chaises identiques et qu’elles coûteront soixante-quinze dollards. Le touriste s’étrangle, dit à l’artisan que celui-ci ne sait pas compter, et qu’un bon commerçant baisse toujours le prix quand il a l’occasion de vendre en quantité. L’artisan lui répond qu’il sait parfaitement compter, qu’il a pris beaucoup de plaisir à fabriquer cette chaise unique, à choisir les motifs et les couleurs. Mais que s’il doit reproduire la même chose six fois de suite, cela deviendra un travail inintéressant et fastidieux… et que ça, il le fait payer.
Evidemment, je n’avais pas vu que je faisais de la pub pour la grande distribution. Pris en flag ! On va croire que j’ai des actions chez Carrefour. Aïe, aïe, aïe ma réputation va en prendre un coup !
Bravo pour ces deux histoires qui sont très belles et qui montrent des différences de conception du travail complétement opposées entre notre propre vision occidentale du monde du travail et celle des pays du sud, qui à vrai dire me convient mieux et qui est très saine et très cohérente.
Pour en revenir au prix des DVD, si les artistes ne touchent pas plus que pour les CD audio (c’est à dire en moyenne 28 cts par disque), on pourrait imaginer que les DVD puissent à terme être vendus à un prix encore plus bas. D’autant plus que la fabrication d’un CD ou d’un DVD ne coûte pas grand chose (on voit même des films en DVD qui sont vendus 1 euro).
A propos de silence :
Il existe à New-York des bars où, dans le juke-box, on peut choisir un morceau… de silence.
Les gens payent pour avoir de la non-musique.
Oui, pourquoi pas, il y en a bien qui payent pour avoir du bruit !
A partir d’un certain âge quand on écoute Moustaki, Carla Bruni, Etienne Daho, Françoise Hardy… on n’entend aussi que du silence !!!
A propos du silence, lu dans le dictionnaire du jazz :
« Mais c’est évidemment sa sonorité… qui reste la constante essentielle de toute son aventure : voilée, feutrée, ou plutôt embrumée dans le grave, sans vibrato, et perçante, incisive dans l’aigu. Elle nait et s’éteint toujours « in a silent way » (titre d’un de ses albums), car elle participe du silence, de ce silence sans quoi la musique de Davis ne saurait exister. »
Miles Davis ne serait-il pas parvenu à isoler chaque note jouée – comme Nougaro isolait chaque syllabe chantée – pour faire de chacune d’elle un être à part entière, lancé dans l’air et y vivant librement sa vie en s’isolant ou au contraire s’associant aux autres ?
S’il tourne ainsi le dos au public, c’est donc peut-être par pudeur : sa trompette est un « cul de poule » pondant de drôles d’oeufs d’où jaillissent tantôt des aigles au cri perçant, tantôt des troglodytes se pressant de disparaître sous une racine, tantôt des étourneaux volant en groupe, etc. Les jours de grande inspiration, il parvient même à pondre des Martinets, mais bon c’est rare !
On dirait du Kandinsky la jaquette du DVD. C’est une peinture de l’ami Davis himself, c’est ça Bernard ? Il peint en fait comme il « musique » : dans l’abstrait, en isolant les éléments !
Vous avez peut-être remarqué ce phénomène étrange : les tenniswomen des pays de l’Est ont presque toutes la même coiffure que Miles Davis. Vous savez pourquoi ? …………….(je vous laisse chercher)……………..
Tout simplement parce qu’elles sont souvent blondes… et qu’elles cherchent toutes à gagner… la Coupe Davis !!!
Petit complément d’infos pour situer ce concert dans la carrière de Miles Davis :
Pendant six ans, de 1975 à 1981, Miles Davis disparait du circuit : aucun concert, aucun disque. C’est une longue traversée du désert due à des tas de problèmes (accidents de voitures, opération de la hanche, problèmes cardio-vasculaires…). Cette retraite est entourée de mystères, de ragots et d’anecdotes. Il faut dire que la popularité de Miles Davis excède les amateurs de jazz.
Quand Miles Davis renaît de ses cendres, tel un phoenix, à l’aube des années 80, c’est un Miles Davis très différent qui revient sous les feux de l’actualité. Miles est entouré de musiciens jeunes, certains étant complétement inconnus sur la scène du jazz, et il ne refera plus jamais appel à ses anciens compagnons (mis à part John McLaughlin et Gil Evans). La musique est devenue très électrique, presque rock, et le disque “We want Miles” en est le grand témoignage. Les puristes reprocheront alors à Miles Davis de flirter avec le monde de la variété (tenues vestimentaires, collaboration avec Michael Jackson, Sting …). La toute dernière période de Miles Davis (celle qui correspond au DVD de cet article) est moins rock mais plus tournée vers les musiques électroniques. Ces dernières années ne laisseront pas à la postérité de traces discographiques consistantes.
Deux ans après ce DVD, c’est à dire quelques semaines avant sa mort, Miles Davis accepte de revisiter son répertoire lors d’ultimes concerts qui auront lieu à Paris et à Montreux. C’était la première fois que Miles Davis, qui a toujours foncé de l’avant et qui a plutôt vécu cinq vies en une, jetait un regard sur son passé !
Oui, c’est bien Miles Davis qui a peint ce tableau représenté sur la jaquette du DVD. Je n’ai pas retrouvé sur internet d’autres reproductions de tableaux (mais ma recherche a été très rapide). Etait-ce une activité habituelle chez lui ?
J’ai bien aimé la comparaison de Miles Davis avec Nougaro, cette manière d’accentuer chaque note est très proche de la façon du Grand Claude d’accentuer chaque syllabe.
j’ai adoré le passage sur la trompette « cul de poule ». J’ai réécouté quelques disques de Miles ces jours-ci. Tu peux être rassuré Vincent, parmi les notes perçantes, il y a bien des martinets, plus fréquents que tu ne le dis. Est-ce à cause de ces martinets que la musique de Miles Davis est une musique de « haut vol » ?
A propos de Kandinski (dont a parlé Vincent), je viens de trouver un blog sympa dans lequel le dernier article parle de lui justement : http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/lunettesrouges/
Une page intéressante trouvée sur le net, qui résume la vie de Miles Davis et qui parle pas mal de sa discographie : http://membres.lycos.fr/rockstore/Davis-Miles.htm
Suite à ton commentaire sur mon blog je suis venu faire un tour sur le tien.
Pleins de trucs sympa je vais prendre le temps de le lire.
Au sujet de Miles, je crois que c’est au cours de ce concert qu’il dit à Kenny Garrett en lui laissant prendre un solo «This night is your night if you want»
Je ne connaissais pas l’anecdote. J’imagine que l’histoire du jazz (et celle de Miles Davis en particulier) est truffée de petites anecdotes de ce genre. Merci pour l’info.
Guitare classique et Miles. Ca a le mérite de tenter