DISCOGRAPHIE DE BOB DYLAN (4)
Alors que le dernier disque The times they are a-changin’ sort tout juste dans les bacs des disquaires, Dylan entreprend en février 1964 une série de concerts aux Etats-Unis.
Pendant la tournée, la route est longue, la radio tourne à plein et Dylan découvre ce nouveau groupe qui inonde d’un seul coup tous les Etats-Unis : les Beatles. Le Rock ‘n roll était né dix ans plus tôt, transformant profondément la vie de jeunes adolescents comme Dylan, mais ce nouveau genre musical avait disparu au bout de quelques années seulement, laissant la place à une sorte de musique de variétés sirupeuse, mièvre et aseptique. L’arrivée des Beatles fut une bouffée d’air frais et l’influence de ce groupe anglais aux Etats-Unis fut considérable.
Lorsque Dylan revient de tournée, il entre aussitôt en studio et enregistre son nouvel album « Another side of Bob Dylan », disque que certains trouveront un peu baclé. Evidemment, Dylan ne l’avait enregistré qu’en une seule journée ! On peut écouter ici quelques extraits de 30 secondes de chacune des chansons du disque.
Concernant les paroles, ce disque n’a pas grand chose de commun avec les précédents. Comme il l’avait sous-entendu à la fin de son dernier disque, Dylan s’est éloigné à grand pas de ses préoccupations politiques pour se lancer tête baissée dans la poésie d’avant garde, et l’on peut noter dans certaines chansons comme Motorpsycho nitemare ou I shall be free n° 10 « d’étranges constructions linguistiques remplies de métaphores surréalistes et de considérations impulsives » (Robert Santelli). Les mouvements folks de l’époque, qui souhaitaient faire de Dylan leur porte-parole, sont quelques peu déboussolés, d’autant plus que l’une des phrases du disque « But I was so much older then, I’m younger than that now » (« J’étais tellement plus vieux alors, j’ai rajeuni maintenant ») laisse entendre que Dylan a dit adieu à la chanson engagée. Mais le véritable divorce avec les milieux folks ne sera consommé que plus tard. Pour l’instant, les folkeux deviennent méfiants et sont seulement dans l’expectative.
Beaucoup de chansons de l’album traitent du sexe féminin, de manières très différentes d’une chanson à l’autre : satirique (All I really want to do, au vocabulaire bizarre, qui raconte l’histoire d’un homme simple qui tente de se lier avec une femme complexe aux penchants freudiens), de type complainte (I don’t believe you, dans laquelle Dylan décrit l’ivresse d’une nuit d’amour suivie d’un mal de crâne dû au détachement de sa partenaire), pleine de regrets (Ballad in plain D, placée sous le désespoir et la désolation, chanson autobiographique suscitée par une malheureuse scène violente entre Dylan et Suze) et métaphoriques (le célèbre It ain’t me Babe, qui est un catalogue des fardeaux de l’amour et que Dylan transpose aux relations humaines en général).
La chanson Chimes of freedom, assurément la plus belle de l’album, a fait couler beaucoup d’encre. On a comparé Dylan à Edgar Poe, à Blake et surtout à Rimbaud (avec notamment la parution d’un essai : « Bob Dylan et la poésie symboliste française »). Robert Shelton écrit à propos de cette chanson « un triomphe de la couleur des mots et des métaphores pour englober l’humanité ». Juste quelques vers de cette chanson qui prend place dans un décor dramatique d’orage (« une soirée sauvage de cathédrale ») : « A travers le martèlement fou et mystique / de la grêle sauvage qui s’abat / Le ciel balançait ses poèmes dans un émerveillement à nu… »). Cette chanson deviendra l’un des hymnes-phares des années 60.
J’aime beaucoup les musiques de cet album, les mélodies sont très belles et certaines deviendront d’ailleurs de véritables succès : My back pages, It ain’t me babe et surtout Chimes of freedom dont j’ai parlé ci-dessus. J’ai un petit faible pour la mélodie de To Ramona, sorte de petite valse un peu atypique dans l’oeuvre de Dylan.
Comme je l’ai dit plus haut, les Beatles étaient en train de redonner vie au rock ‘n roll américain. Dans ce quatrième disque de Dylan, deux chansons présentent des signes avant-coureurs de son passage à l’electricité et de la naissance du folk-rock : il s’agit d’abord de la chanson Black crow blues (dans laquelle Dylan tape sur son piano – instrument inhabituel chez lui – comme à l’époque où, adolescent, il singeait les joueurs de rock ‘n roll) et surtout Motorpsycho nitemare (« cauchemar psychomoteur » dans laquelle on peut facilement imaginer, d’après le staccato des paroles, la section rythmique que Dylan avait probablement dans la tête).
Dylan dira plus tard « Pour moi, cet album était un disque de transition. Je n’allais pas en rester là. Je l’ai fait très vite, et seul, même si je savais que ces chansons auraient été mieux servies avec un groupe pour m’accompagner ».
Au moment où sort le disque, en août 1964, Dylan rencontre les Beatles …