TRADUCTION LIBRE DE LA CHANSON « A HARD RAIN’S A-GONNA FALL »
Comme je l’avais annoncé, mon ami Jean-Louis me fait le plaisir et l’honneur de m’accompagner dans mon projet consacré à la dicographie de Bob Dylan. Il apportera sa pierre à l’édifice en traduisant chaque mois l’une des chansons du disque concerné. Nous voici donc au jour J !
Vous retrouverez donc le premier week-end de chaque mois l’article consacré au disque (le samedi) et la traduction d’une chanson (le dimanche). Nous voilà donc partis pour une aventure un peu dingue qui devrait durer trois ou quatre ans. A vous de suivre ou de zapper !
A chaque fois, je ferai un lien avec le texte original en anglais, pour ceux qui voudraient s’y référer.
Les textes de Dylan pouvant être assez longs, seuls les premiers vers de la traduction apparaîtront à l’écran. Il sufira donc de cliquer pour avoir la suite.
Nous commencerons ce mois-ci par la chanson « A Hard rain’s-a-gonna fall » (voir texte original en anglais, écouter 30 secondes de la chanson) traduit de manière libre par Jean-Louis :
AVIS DE TEMPÊTE NUCLEAIRE
Oh, où as-tu mis les pieds, mon fils aux yeux bleus ?
Et toi, où as-tu mis les pieds, ma tendre amoureuse ?
Moi, j’ai trébuché dans le brouillard sur les pentes de douze montagnes
J’ai marché, j’ai rampé sur six grandes routes tortueuses
Je me suis aventuré au beau milieu de sept forêts lugubres
J’ai visité les plages d’une douzaine d’océans stériles
J’ai pénétré de 10 000 Km dans la gueule d’un charnier
Et je peux vous dire qu’elle est terrible, qu’elle est terrible, qu’elle est terrible
La pluie dure qui va s’abattre sur nous !
Oh, qu’as-tu vu du monde, mon fils aux yeux bleus ?
Et toi, qu’as-tu vu du monde, ma tendre amoureuse ?
Moi, j’ai vu un nouveau-né, des loups sauvages tout autour
J’ai vu une autoroute de diamant, personne dessus
J’ai vu une branche désèchée encore dégoulinante de sang
J’ai vu une salle pleine d’hommes aux marteaux tâchés de sang
J’ai vu l’ascenseur des hommes blancs noyé par les flots
J’ai vu 10 000 orateurs, leurs langues paralysées
J’ai vu des flingues et des épées effilées aux mains de petits enfants
Et je peux vous dire qu’elle est terrible, qu’elle est terrible, qu’elle est terrible
La pluie dure qui va s’abattre sur nous !
Oh, qu’as-tu entendu, mon fils aux yeux bleus ?
Et toi, qu’as-tu entendu, ma tendre amoureuse ?
Moi, j’ai entendu le tonnerre qui annonçait l’orage
J’ai entendu le mugissement de la vague qui va déferler sur le monde
J’ai entendu les roulements de cent batteries en folie
J’ai entendu 10 000 murmures, personne pour les écouter
J’ai entendu quelqu’un mourir de faim et tant de gens se marrer
J’ai entendu la chanson d’un poète échouer dans le caniveau
J’ai entendu un saltimbanque qui pleurait, parcourant les rues
Et je peux vous dire qu’elle est terrible, qu’elle est terrible, qu’elle est terrible
La pluie dure qui va s’abattre sur nous !
Oh, qui as-tu rencontré, mon fils aux yeux bleus ?
Et toi, qui as-tu rencontré, ma tendre amoureuse ?
Moi, j’ai rencontré un petit enfant pleurant à côté d’un poney mort
J’ai rencontré un homme blanc qui promenait un chien noir
J’ai rencontré une jeune femme qui brûlait de désir
J’ai rencontré une jeune fille ; elle m’a offert un arc-en-ciel
J’ai rencontré un homme blessé : c’était le mal d’amour
J’ai rencontré un autre homme blessé : c’était le mal de haine
Et je peux vous dire qu’elle est terrible, qu’elle est terrible, qu’elle est terrible
La pluie dure qui va s’abattre sur nous !
Et que vas-tu faire maintenant, mon fils aux yeux bleus ?
Et toi, que vas-tu faire maintenant, ma tendre amoureuse ?
Moi, je vais encore sortir avant que la pluie ne s’abatte
Je marcherai dans les profondeurs des forêts noires les plus impénétrables
Où les gens sont nombreux et vivent les mains vides
Là où des quantités de poisons contaminent leur eau potable
Là où les maisons dans la verdure ressemblent à des prisons insalubres
Là où le visage du bourreau est toujours bien masqué
Là où la famine fait des ravages, où personne ne se soucie des âmes
Où le noir est la couleur dominante, où zéro est un maître nombre
Ce lieu, j’en parlerai, j’en témoignerai, j’y réfléchirai, je le respirerai
Je le mettrai en scène sur la montagne pour que chacun puisse se rendre compte
Et je me tiendrai au bord de l’océan jusqu’à ce qu’il me submerge
Par cœur, je chanterai au monde tout ce que je sais du déluge qui vient
Et je peux vous dire qu’elle est terrible, qu’elle est terrible, qu’elle est terrible
La pluie dure qui va s’abattre sur nous !
Interprétation : Jean-Louis
1er, 2 et 3 mai 2006
à mes enfants, Michel, Thomas, Maud
Cher Dupdup’s blog lover,
Comme je l’ai annoncé récemment, je vais m’associer à la folle entreprise de Bernard consistant à re-parcourir la carrière d’un de nos maîtres, (je n’ai pas dit idole !), Bob Dylan.
Je me suis donc engagé à produire une version française d’une chanson de mon choix pour chaque album de Dylan, plus d’éventuels commentaires. Bien sûr, si la mayonnaise prend et que Dieu me prête vie (Trois-quatre ans, ça fait un bail ! On est fringants aujourd’hui mais on est plus tout jeunes !…)
Au départ de l’aventure, je tiens à dire ceci :
1– Je ne suis pas un fan mais un amateur (celui qui aime !)… et je n’aime pas tout.
1-1 BD est humain et a aussi produit des « croûtes », à mon avis.
1-2 Je ne suis sans doute pas capable de tout capter de son génie
2– Je participe à cette entreprise par intérêt
2-1 émotionnel
2-2 esthétique
2-3 intellectuel
3– Pierre Delanoë et Hugues Aufray et d’autres traducteurs ont traduit/adapté Dylan avec plus ou moins de bonheur. Je leur rends hommage. Leurs adaptations à la chanson française sont remarquables dans l’esprit du show-bizz de leur époque (Quel coup de vieux pour certains titres !). Mais je ne suis pas dans la même démarche.
Je serai d’avantage porté sur les émotions personnellement ressenties, sur le sens et sur la poésie.
D’ailleurs que penseriez-vous d’un traducteur de Verlaine ou Rimbault en anglais ? (auteurs que Bob a lu !) Vous vous diriez impossible !
4– De Dylan , en France, on connaît la musique (américaine, bof… et pas si bauf que çà !) et, un peu moins, le contest song relayé notamment par Joan Baez (admirable mais chez nous, on n’cause pas anglais ! les chansons à rallonge ça nous gonfle !).
Dylan, tour à tour humaniste, poète, voire philosophe ou même mystique, c’est ce qui me plairait de vous faire approcher.
Comment faire autrement que de vous livrer mon ressenti, avec beaucoup de modestie ! Et de quel droit ?
Je précise que je ne suis ni prof. ni étudiant en anglais ou littérature américaine…
J’userai seulement de mon droit à… partager mes émotions !
Si je vous ennuie, zappez (Cà c’est pas très bon pour le blogadupdup !) ou plutôt, allez vous détendre sur la galerie de photos !
Je vous prépare « One too many mornings » pour juillet prochain.
Amitiés – Jean-louis
En tout cas, chapeau !
Et merci. J’imagine qu’il s’agit d’un sacré travail, à tous les sens du mot sacré.
Car même si vous n’êtes pas fan, on sent une immense admiration pour au moins une partie de l’oeuvre du personnage.
Il doit y avoir autant de traductions de Dylan que de traducteurs qui se sont attelés à cette tâche. C’est le propre de la poésie. Le sens général reste le même mais le choix des mots et des tournures relève plus de l’émotionnel que de la sémantique.
Ben j’avais entendu parler du talent d’écriture de Dylan… mais je ne m’attendais pas à ça ! C’est une vraie découverte… et ça va réellement modifier mon écoute puisqu’il va se placer tout à côté de l’endroit de mon cerveau où est stocké Léo Ferré. Il y a dans les mots un souffle qui me les met immédiatement en écho (ce n’est pas encore analysé… je vais peut-être m’y penché car je dois pouvoir trouver des raisons objectives à ce répprochement), pas vous ?
Je comprends aussi la volonté de Delanoë et Auffray de vouloir partager ce souffle en français. Le problème de cette tentative, peut-être : Auffray est trop joli, gentil, boy scout… Il manque le côté « opaque », « bad boy » qu’évoquait Bernard dans l’article précédent (et qui fait grandement partie du « charme » du bonhomme)
Deux choses encore (si je peux me permettre) :
1) Il me semble que c’est une grave erreur de considérer que cette chanson parle de l’affaire de Cuba. La poésie (et celle là en particulier) n’est surtout pas un « message », une « idée » ou je ne sais quoi qui aurait à voir avec la politique, le social… C’est une affaire de mots et de langage. Que le poète se soit branché sur un sujet pour laisser couler les mots est une chose, mais ce qui fait la réussite du texte (poétiquement parlant du moins) c’est justement qu’il oublie le but en se laissant séduire par les moyens, le média. C’est la langue qui se séduit elle-même et se reflète dans ses images. (cf. les ouvrages lumineux de Quignard sur la question, entre autre). La force de Dylan, c’est justement de ne pas parler « directement » de Cuba quand il pense/prétend/croit le faire. C’est tout ce biais, ce décalage, qui est rend le texte puissant, qui lui accorde une transcendance.
2) Parlons de « talent » (de « grand » talent même) plutôt que de « génie », nan ? Faut tout de même pas exagérer (ni oublier qu’Hégel signalait, je crois, que la décadence serait atteinte le jour où on emploierait ce terme à tout bout de champ).
Oui, si effectivement cette chanson a été écrite dans le contexte de la crise de Cuba, les paroles vont largement au-delà et ont une portée beaucoup plus universelle. Dylan a dit plus tard que les images de cette chanson lui étaient venues si vite que \ »chaque vers est en fait le début d\’une chanson entière. Je pensais que je n\’aurais pas assez de temps à vivre pour écrire toutes ces chansons, alors j\’ai mis tout ce que je pouvais dans celle-ci\ ».
Autre précision : c’est en écoutant cette chanson « a hard rain’s a-gonna-fall » que Leonard Cohen, écrivain, décida de se lancer dans la chanson.
Une thèse m’est passée en tête ce matin, et comme elle m’a fait sourire, je vous la livre :
Prendre un sujet mais ne pas en venir à bout, tourner autour du pot, se retenir, s’empêcher d’atteindre trop vite ou directement le but, se laisser séduire par les mots et leurs images, les préalables donc, la « lingerie fine » des pensées… c’est ce qui fait la différence entre l’érotisme et la pornographie.
Dylan ferait donc partie de ces rares chanteurs « érotiques » quand tant d’autres font plutôt du « porno » (même des « grands » comme Brassens, qui ne le cache pas d’ailleurs et en a même fait une chanson !).
Bien sûr, on a fait fort en commençant par « Hard rain ». Il y a des choses moins longues et plus faciles à interpréter. Mais la programmation veut ça : c’est un texte majeur du début de carrière de BD…
Je suis très touché par les compliments d’Anne, de Vincent et ceux que Bernard m’a fait « off blog » (!) Si vous avez trouvé du plaisir à nous lire, mon objectif de partage est atteint ! Merci à vous.
Nb : j’ai découvert récemment que le mot « traducteur » est de la même famille que « traître ». Voilà pourquoi je ne le revendique pas. Je préfère dire que je suis libre tout en ayant du respect pour l’original !…
La façon dont a été écrite la chanson, aux dires de Boby himself (rapportés par Bernard ci-dessus), est assez symptomatique de ce type d’écriture « automatique » comme l’ont qualifiée (et inventée ?) les suréalistes.
Tout le « talent » du poète consiste alors justement à disparaître, se faire tout petit, s’effacer au maximum… pour que les mots soient libres de s’associer à « leur » manière, pour que le langage s’exprime au plus loin du contrôle de la raison « humaine, trop humaine »… La vitesse d’écriture est alors une bonne manière d’empêcher ce contrôle. La drogue aussi, pour certains (en a-t-il usé… ou abusé ?)
C’est ce qui donne le caractère « mystique » à ces textes. Mais si le poète est alors bien « habité », pas besoin de faire venir une autre instance « supérieure » que le « langage » lui-même… Et c’est ce qui fait sa portée universelle, car s’il y a bien une chose que nous partageons tous, c’est bien d’être sous l’emprise de cette domination (dont nous chercons tous quelque part à nous défaire).
Cela permet d’entevoir également autrement la question de l’orgueil de Dylan (évoqué dans l’article précédent) : qui est le plus orgueilleux ? Le poète qui joue les modestes mais prétend dominer le langage, pris alors comme un simple moyen (type Brassens, comme le suggère « Humeur badine » ci-dessus), ou celui qui ne joue rien mais prouve par son écriture même qu’il sait s’effacer devant plus grand que lui, en l’occurrence justement le langage (type Dylan ou… Ferré, je persiste et signe dans ce rapprochement qui paraîtra sans doute audacieux) ?
Je ne crois pas l’avoir écrit, mais je l’ai tellement pensé que ça devait se lire entre les lignes : BRAVO et MERCI Jean-Louis et Bernard !!! Vous êtes « coincés » maintenant… Désolé mais vous allez être obligés de continuer, on ne va pas vous lâcher !
Voilà ce que dit Robert Shelton, qui est l’un des biographes de Bob Dylan, à propos de cette chanson : « A hard rain’s a gonna fall : vision d’apocalypse en une série d’images grotesques préfigurées par la crise des missiles de Cuba de 1962. Elle s’ouvre sur une paraphrase de la ballade classique « Lord Randall », mais la réponse du « fils aux yeux bleus » est devenue aussi moderne que la machine de guerre presse-boutons. Les vers gravés dans l’acide dépeignent les ruines de la guerre. Un panorama des scènes de la bataille d’Espagne me vient à l’esprit, sorti de la poésie de Garcia Lorca, du « Guernica » de Picasso et des esquisses antibellicistes de Goya. Bien que le titre soit de l’argot moderne, la diction du texte a un flot d’énergie qui doit beaucoup à Lorca et à Rimbaud. Ce dernier fut peut-être le premier poète à créer une vision cosmique dont les extrêmes de l’horreur et de la tendresse perdue, en un sens, égalent les enfers et les paradis de la réalité de moderne. »
Ok pour l’évocation de Picasso (même si la référence à laguerre m’y paraît moins évidente) et de Rimbaud (« Une saison en enfer »)… mais que trouve-t-il de « grotesque » dans toutes ces images ? Je ne saisis pas ce qu’il veut dire. Tout comme la référence à la « ballade classique LORD RANDALL », que je ne connais pas.
(Heu… me vient tout un coup en écho « the wall » des Pink Floyd… vous trouvez ça « grotesque » comme rapprochement ?)
Vincent, j’ai également eu du mal avec ce mot « grotesque ». Problème de traduction ? Est-ce qu’il ne parle pas d’images traitant du côté grotesque de la guerre ? Si l’on s’en tient au premier sens du mot grotesque (quelque chose d’extravagant qui incite à rire), il ne me semble pas qu’il y ait un seul vers de la chanson qui puisse être concerné par cet adjectif.
Quant à la ballade « Lord Randall », il s’agit d’une chanson nord-américaine, très populaire, originaire de Terre-Neuve, mais je n’en connais pas les paroles. Je n’ai donc aucune précision à apporter.
Oui, il y a une parenté certaine avec Léo Ferré. Ferré m’a toujours donné l’impression d’un volcan : il a des tas des d’images qui s’entrechoquent dans sa tête, elles sortent avec une force incroyable, non-contrôlée par l’artiste. Le sens des mots n’est plus la priorité, c’est de la poésie à l’état brut (à l’opposé du savoir-faire de Brassens qui est un artisan, dans le sens très noble du terme). Dylan, c’est un peu pareil, j’ai l’impression. A ranger donc du côté de Rimbaud. Mais on aura l’occasion d’en reparler.
Le mot « grotesque » ne me prend pas la tête. Il faudrait déjà savoir quel terme américain a donné ça en français.
Une des difficultés, mais aussi un des plaisirs, que je rencontre dans mes exercices d’interprétation, c’est que parfois on tombe sur des expression américaines où on a le choix entre cinq ou dix équivalents français !
D’autre fois, plus rarement, zéro équivalent français parce qu’il existe des éléments de leur culture, même si elle est récente qui nous sont totalement étrangers (et peuvent nous paraître étranges !)
Mais globalement, notre langue est beaucoup plus riche, ya pas de doute ! Alors , soyons indulgents avec le gars qui a dit : « grotesque ! »
Une autre possibilité serait que le commentateur trouve la chanson effectivement grotesque. Dans ce cas, rien à discuter : question de goûts et de couleurs…
Jean-Louis, avec tes belles traductions des chansons de Dylan, tu fus le premier parmi tous les blogueurs à écrire ici des articles. Tu es parti hier, par une triste journée de décembre, pour un voyage sans retour rejoindre d’autres cieux . J’envisageais de reprendre cette série sur Dylan et de te mettre de nouveau à contribution. Trop tard, toujours trop tard …
Nous avions pris récemment la décision d’écrire un livre ensemble. Aurais-je désormais l’envie de le réaliser seul ?
:angry:
En tous les cas, si le livre devait sortir un jour, il sera dédié à la mémoire de Jean-Louis.