En ce moment, comme j’ai la gorge un peu enrouée depuis plusieurs semaines, je ne peux pas m’exercer sur les chansons de Brassens (et en plus, Stéphane m’a emprunté ma seule guitare … pour le concert de la Nef des Fous qui a lieu ce soir). Plusieurs semaines sans être accompagné des chansons de Georges, c’est un peu dur, moi qui en ai fait mon quotidien ! Alors, j’en profite pour réécouter les disques du maître, chose qui ne m’arrive pas très souvent. A leur écoute, plusieurs commentaires me viennent et ça me donne envie d’écrire quelques articles à ce propos. Il pourrait donc y avoir plusieurs articles sur Brassens dans les semaines qui viennent. Oui, je sais, je m’étais promis de parler de plein de gens peu connus (Louki, Caussimon, Haillant, Jonas, Bertin…) avant d’évoquer Brassens. Mais je suis désolé, j’y reviens toujours et inlassablement. Et puis, j’ai encore du temps pour parler des autres (d’autant plus que vous avez été plusieurs à souhaiter longue vie à mon blog).
Brassens n’a jamais écrit de chansons vraiment tristes, l’humour finit toujours par l’emporter, même – et surtout – lorsqu’il parle de la mort, qui est son thème de prédilection (« les funérailles d’antan », « la ballade des cimetières » , par exemple, regorgent de traits humoristiques). Même dans la chanson « le testament » qui est un sujet grave et qui compte quelques passages très noirs (« je serai triste comme un saule », « est-il encore debout le chêne ou le sapin de mon cercueil ? », « me v’la dans la fosse commune, la fosse commune du temps »), Brassens ne peut s’empêcher de prendre les choses un peu à la rigolade, comme s’il faisait la nique à la mort, en émaillant son texte de mots d’esprit et de propos ironiques. Si l’on excepte « Pensées des morts » que Brassens a mis en musique tardivement (mais dont le texte superbe est de Lamartine), les très rares chansons foncièrement tristes qu’il a écrites lui-même datent toutes de ses débuts de chanteur.
Parmi ces rares chansons, il y en a une qui retient particulièrement mon attention, il s’agit du « fossoyeur » qui figure sur son tout premier disque. La chanson est bouleversante, c’est une véritable complainte, complainte de celui qui refuse la mort et ne peut se résoudre à faire ce triste travail qui est d’accompagner à la fosse ses « clients ».
Mais au-delà des paroles, c’est aussi la musique qui me frappe. Elle colle si bien au texte, elle est si évocatrice, avec son rythme lancinant, qu’on imagine même le décor de la chanson : au bord d’une tombe, un pauvre fossoyeur égrène quelques notes et paroles tristes. A chaque écoute, la chanson me fait immanquablement penser à un blues. D’abord par sa noirceur et sa tristesse sans fond, par la sobriété de la ligne mélodique et par un très bel accord de La7M qui souligne ce sentiment de tristesse. Cette impression est peut-être renforcée par le fait qu’on y trouve les trois accords classiques du blues (Mi7, La7 et Si7).
Mais c’est surtout par l’ambiance générale de la chanson, son côté plaintif et résigné (on a l’impression que tout le poids du monde pèse sur les épaules de ce fossoyeur), que cette chanson s’apparente vraiment à un blues, peut-être pas d’un strict point de vue musical, mais en tout cas par l’esprit. Bien sûr, le blues ne peut pas se restreindre à ce côté plaintif et résigné. C’est vrai. Mais je fais surtout référence à la première période du blues, celle qui a vu naître les génies de Robert Johnson, Blind Willie McTell ou Skip James (oui je sais, vous n’étiez pas nés … moi non plus) dans les années 20 ou 30 et non du blues tel qu’on l’entend aujourd’hui, avec ses longs solos de guitare électrique, mis à la sauce du public blanc par des gens de talent que sont John Mayall (qui a formé Eric Clapton. Au fait, le saviez-vous, Mayall passe à Besançon le 23 mars) et par les Stones.
Mais revenons à la chanson. Ce fossoyeur, on l’imagine aussi très solitaire (même si Brassens parle des copains qui « s’amusent de moi, y’m’disent mon vieux par moment, t’as une figure d’enterrement ») ! Là aussi, il y a encore un autre point commun car le blues aussi est une musique de solitaire (contrairement au jazz, et encore plus au gospel, également nés en Amérique, qui sont avant tout des musiques communautaires et collectives).
Alors Brassens, bluesman ? Ce concept vous choque-t-il ? Mon ami Vincent va-t-il encore dire que j’ai fumé la moquette ? Quelqu’un a-t-il un avis sur la question ?
Du tac au tac (d’autant plus que tu me sollicites) donc sans analyse musicale (c’qui m’arrange car j’en suis bien incapable), non seulement je valide ta proposition,Bernard, mais je ferai référence aux deux autres chansons qui me sont imédiatement venues à l’esprit pour illustrer ta thèse : « Pauvre Martin » (même si on imagine davantage le blues à la première personne du singulier, ça fait quand même pas mal « cueilleur de coton » cette chanson !) et… « Marinette » ! Sans déconner, cette chanson, ralentissez autant que vous pouvez le tempo, ça devient un « bon vieux blues des familles », nan ? (En tout cas moi j’adore la chanter comme ça !). Essaye un coupe Bernard, tu vas voir, surtout avec la voix enrouée… Si tu te prends pas pour BBKing ou je ne sais pas moi, Joe Big Joe Black Joe, c’est que vraiment… heu… ben, on fume pas la même moquette !!!
Reste à savoir ce qu’est réellement (musicalement, j’veux dire) le « blues ». « Philosophiquement », n’aurait-ce pas un peu avoir avec un certain sens du « tragique » (contre lequel l’humour peut s’appliquer mais sans jamais pouvoir le dépasser) ? Dans ce cas-là, j’irai jusqu’à dire que tout Brassens sent à plein nez le « blues » !