Depuis quelques années, je remarque quelques bizarreries chez nos amis les oiseaux.
En 2003, pendant la canicule, j’avais d’abord été surpris de voir disparaître des tomates, mangées essentiellement par les merles mais aussi par les mésanges. Au cours de l’été 2004, j’ai remarqué le même phénomène, mais de manière nettement moins forte. En 2005, été à nouveau très chaud, tous les petits fruits du jardin disparaissent dès le mois de juin : les framboises, les cassis, les raisins et même les groseilles acides. Dès le début juillet les premières tomates cerises sont, elles aussi, dérobées par des voleurs ailés qui sont encore les mêmes : merles et mésanges surtout auxquels s’ajoutent quelques fauvettes. Partout, les jardiniers franc-comtois, qu’ils habitent en milieu rural ou en milieu urbain et périurbain, se sont plaints de la même chose. Question : au cours de la canicule de 2003, certaines espèces d’oiseaux auraient-elles acquis de nouveaux comportements alimentaires ? Et pour quelle raison : manque de nourriture ? manque d’eau ?
Autre phénomène constaté au cours de cet hiver : au poste de nourrissage pour oiseaux, plusieurs espèces ont des comportements inhabituels. Ainsi, alors que je nourris, comme chaque hiver, des buses avec des déchets de viande, j’ai eu la surprise de voir, à de très nombreuses reprises, d’autres espèces manger la viande : le merle, le pic épeiche et la sittelle. Je n’avais jamais observé ce comportement. Autre constatation : le tournesol fait lui aussi de nouveaux adeptes : d’abord le pic épeiche mais surtout le merle noir qui d’habitude ne se nourrit pas de graines (ou alors peut-être en quantité très limitée). Actuellement, derrière chez moi, onze merles passent leur journée entière à manger du tournesol. Etonnant, non ? Les relations entre les oiseaux changent aussi du fait de ces nouveaux comportements. Avant, lorsque je mettais du tournesol par terre, il y avait toujours une armée de verdiers, tarins et chardonnerets qui occupaient tout l’espace et qui empêchaient, par leur nombre, les autres espèces d’approcher. Depuis quelques jours, ce sont les merles qui occupent l’espace central, s’accaparent une bonne partie de la nourriture, ne laissant qu’un peu de place aux autres. Est-ce que ce nouveau comportement hivernal est en relation avec un manque de nourriture général dans la nature ?
Rappelons-nous qu’à l’automne dernier, il n’y avait aucune baie dans les haies, aucun fruit aux arbres (la plupart des noix et noisettes étant même vides) et peu de graines sur les plantes. Ce manque de nourriture explique probablement la quasi-disparition de certaines espèces au cours des dernières semaines. Il me semble par exemple que les pies (espèces très sédentaires) sont soudainement devenues plus rares.
Avez-vous remarqué, vous aussi, des changements de comportements alimentaires identiques ? Ou des changements d’attitude au poste de nourrissage ?
Bon j’veux bien commencer à répondre mais j’préviens tout de suite les spécialistes, n’ayant pour ma part pas de poste de nourrissage (chacun ses lubies, j’n’ai pas encore celle-là), mon commentaire risque de ne pas satisfaire la demande précise (et naturalistiquement rigoureuse) de l’oncle Bernard.
Je peux toutefois signaler que certains observateurs patentés ont effectivement remarqué ces derniers temps d’étranges et nouveaux comportements autour des mangeoires. Ce n’est que par ouï-dire mais il semblerait que dans la région (et de plus en plus) il y ait des humains qui collent leur nez à la fenêtre la plus proche de la mangeoire et tendent une main ouverte et immobile vers l’extérieur. Encore un contrecoup de la canicule ? Que quémandent-ils ainsi ? Une nouvelle bière ? Les gouttes de pluie leur signalant qu’ils vont pouvoir (enfin !) sortir un peu ?
Je ne garantis pas que cette rumeur soit vraie, Bernard, et je dois avouer que j’en doute même un peu (c’est, je trouve, assez peu crédible)… mais c’est le seul élément que je peux apporter à la question que tu posais. Je laisse donc la place à d’autres mieux placés que moi pour t’apporter les éléments attendus.
J’aime bien les objections humoristiques de Vincent qui répondent en contrepoint au sérieux des interrogations de Bernard !!!
Ceci dit, ces petits ajustements confortent la thèse de la co-évolution et sont extrêmement rassurants.
Y a-t-il toujours eu du tournesol ou des boules de graisse à disposition dans la nature, au Miocène par exemple ? La réponse est non. Cela n’empêche pas nos passereaux visiteurs de venir se servir aux mangeoires que nous mettons à disposition ! Cette plasticité comportementale doit nous rassurer.
On pourrait citer des exemples récents observés dans les Galapagos où certaines espèces font un remake de la spéciation des pinsons de Darwin (Albignac ou Jean Pierre Herold pourraient en parler mieux que moi). La monophagie n’a pas occulté une capacité dormante de polyphagie, semble-t-il.
Etablir une corrélation avec le réchauffement climatique, pourquoi pas ?
Des observations fines de cette nature seront à confirmer et sont très utiles pour l’avenir. Bernard devient au fil des années le nouveau Fabre de l’avifaune et c’est justice.
En tout cas ce blog est une intéressante tribune et je suis heureux de pouvoir m’y exprimer !!!
le 4 février
Mon observation porte sur 7 à 8 années; c’est la première année que j’observe par exemple des geais (4 aujourd’hui même) à la mangeoire à tournesol ainsi que des tourterelles(2), que je vois le pic épeiche et le pic mar stationner presque en permanence et à tour de rôle pendant toute la journée. Le gros bec que je n’avais pas revu depuis 4 ou 5 ans est présent tous les jours depuis le début du nourrissage en octobre. Même observation que Bernard concernant le merle.
La plasticité neuronale, on connait maintenant bien , surtout chez les oiseaux! émissions sonores,comportements etc… ça explique déjà bien des observations faites en ces années de dérive climatique. Et puis : nécessité fait Loi…s’adapter ou crever….tout fait ventre….des aphorismes bien de chez nous qui ne datent pas d’hier!
Pour rester chez nous,et mème plutot « dans le haut », d’aucuns de mes collègues ont montré que les prédateurs des campagnols font du REPORT DE PREDATION dès que les populations diminuent après les « pullulations » et s’attaquent à tout (mème au gibier, sacrilège! disent les vaillants nemrods ) . Ne serions -nous pas dans le mème cas de figure qui pousse alors un geai à prendre Bernard pour un noyer (pas un noyé !) ??.
Peut-être que toutes ces adaptations sont le fruit d’une co-évolution, comme le dit Roland et comme semble le confirmer Jean-Pierre, c’est peut-être rassurant dans un certain sens mais il me semble que dans le cas présent, tout va à la baisse. Il y a peut-être effectivement des espèces qui s’adaptent mais il y en a aussi beaucoup d’autres qui disparaissent ou qui diminuent, d’année en année. Je ne suis pas d’un naturel pessimiste mais j’ai l’impression que nos campagnes se vident un peu plus chaque jour. Dans mon article, je parlais du manque de nourriture dans la nature (d’un point de vue baies, fruits, graines) mais Jean-Pierre me parlait aussi au téléphone du manque d’eau qui pourrait avoir pas mal de répercussions au niveau des espèces, n’y a-t-il pas une explication à rechercher de ce côté là ?
Bernard,
Serait-il possible d’avoir un petit mode d’emploi sur le nourrissage des oiseaux, écureuils et autres merveilles de la nature ? Peut-être à travers la galerie photos et tes commentaires ? Toi qui a une longue expérience maintenant. Par exemple, on m’a dit qu’il ne fallait surtout pas donner de boules de graisses aux passereaux. Va savoir…
En attendant, sur les branches d’osier mises en jauge dans l’eau d’une jarre près de la fenêtre, on a vu hier, avec les enfants, un troglodyte mignon tout ébouriffé vraiment adorable !
A bientôt, Valou.
Chez moi aussi les merles, pics mar et épeiche se régalent au tournesol ; après avoir vu les fauvettes s’attaquer à mes framboises, plus rien ne m’étonne ! Mais où cela va-t’il s’arrêter ? Peut-être que demain, les cormorans dédaigneront les poissons pour venir sur ma mangeoire ?!
Mag, j’en connais un qui va être content si les cormorans viennent à ta mangeoire : Jean-Pierre H. !
Il y a une épithète utilisée pour certaines espèces animales : c’est féral !!!
Est-ce que Bernard pourrait nous en dire un peu plus sur des espèces férales proches de nous ?
Ca pourrait nous éclairer sur la plasticité comportementale des animaux en général et des oiseaux en particulier …
Roland, je ne suis pas très compétent pour parler des espèces férales qui sont soit des espèces échappées de captivité, soit des espèces domestiques qui arrivent à vivre de manière pérenne dans la nature.
Il y a bien sûr le Dupdup qui, lorsqu’il s’échappe malheureusement de captivité, en profite pour dire des tas d’insanités sur les sportifs (heureusement qu’il y en a qui veillent pour le remettre dans la cage d’où il n’aurait jamais dû sortir), mais il y a aussi des tas d’autres espèces qui posent dans certains cas des problèmes. Je dis bien « dans certains cas », car tout dépend s’ils utilisent une niche écologique occupée ou non par d’autres. Mais en général, l’impact est plutôt négatif (une étude approdondie sur le dupdup le confirmerait sans aucun doute).
Parmi les espèces férales, on peut citer la perruche à collier, le canard féral (domestiques échappés et s’hybridant avec le colvert), l’érismature rousse, le cygne tuberculé, l’ouette d’Egypte, le faisan de chasse, le ragondin, le chien viverrin, le chat harret, le silure glane, la perche-soleil …
Exemple d’espèce qui peut causer de gros problèmes : les ibis sacrés qui se reproduisent maintentant en Vendée s’attaquent à des colonies de sternes caugeks et pourraient un jour mettre en danger une espèce rare comme la sterne de Dougall.
Tu as raison, Roland, il y a sûrement des tas de choses à dire sur ces espèces férales, ça méritera peut-être un article sur mon blog d’ici quelques semaines, quelques mois, ou quelques années …
Les observations qu’a faites Daniel confirment ce que l’on peut observer en d’autres lieux. Comme lui, beaucoup de personnes ont pu constater cet hiver la présence du geai au poste de nourrissage, y compris en plein village, et celle du pic mar qui vient se régaler de graines de tournesol ou de graisse dans bon nombre de postes de nourrissage (y compris dans le Haut-Doubs cet hiver, alors qu’il n’est pas censé y être). Ainsi, ce que l’on observe en un lieu donné est souvent observé au même moment ailleurs, comme si les changements de comportements se faisaient de manière générale et simultanée. Bizarre, tout ça !
Je sais, c’est pas très scientifique mais « érismature rousse » et « ouette d’Egypte », j’adore !!!! Dis Bernard, tu connais la personne qui donne les noms aux oiseaux ? Trop fort !!!!
Quoi ? c’est pas lui ? on m’aurait menti ?
Je ne sais pas ce qu’en pense Jean Pierre Herold, mais la Grenouille taureau (Rana catesbeiana) pourrait être classée parmi les espèces férales. A suivre.
NB et c’est pas un cadeau pour la biodiversité !!!
Pour Valou qui demande quelques conseils pour le nourrissage des oiseaux et auxquels je réponds tardivement. Quelques conseils très simples et très rapides :
– ne nourrir les oiseaux qu’entre décembre et mars
– utiliser le tournesol comme nourriture de base, ça convient à pas mal d’espèces (mésanges, sittelles, verdiers, chardonnerets, …)
– diversifier les types de nourriture avec de la graisse, plutôt végétale (type Fruidor) à mélanger avec des noix et noisettes broyées et à appliquer contre des troncs d’arbres (pour attirer les pics, mais ça marche aussi pour les mésanges et la sittelle), des noix et des noisettes (pour l’écureuil), des déchets de viande (pour les rapaces comme la buse)
– les chats ne font pas bon ménage avec les oiseaux et limitent fortement le nombre d’espèces et la quantité d’oiseaux accueillis
– ces quelques conseils marchent dans l’est de la France, où il fait très froid l’hiver, ailleurs c’est plus aléatoire et ça doit dépendre aussi des hivers, plus ou moins rigoureux.
En vingt cinq ans de nourrissage hivernal, en diversifiant le type de nourriture et en pratiquant cette activité dans des milieux favorables et variés, j’ai réussi à attirer environ cinquante espèces différentes d’oiseaux. Mais malheureusement, je ne pense pas que ça puisse marcher dans l’ouest de la France … Valou, il va donc falloir que tu viennes dans l’Est … pour notre plus grand plaisir et celui des oiseaux qui ne demandent qu’à te connaître !